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Les aurores martiennes dévoilées

10/02/2016

A la suite d’une analyse détaillée de dix années - de 2004 à 2014 - des données de l’instrument SPICAM  placé à bord de la sonde européenne Mars Express, Lauriane Soret, chercheuse au Laboratoire de Physique Atmosphériques et Planétaire de l’Université de Liège et ses collègues ont mis en évidence l’existence d’aurores localisées dans l’atmosphère de Mars. Un phénomène rare qui reste largement inexpliqué et qui intéresse fortement la communauté scientifique. C’est sans doute un prototype d’un phénomène fréquent dans l’Univers, sur les exoplanètes qui ont perdu leur champ magnétique global.

Dès les années 1960, l’Institut d’Astrophysique de l’Université de Liège, sous la houlette du Professeur André Monfils, fait partie des pionniers de l’Europe spatiale en participant à des expériences à bord de fusées-sondes pour l’étude « in situ » des aurores boréales. Toute une école de chercheurs est née à la faveur de son expertise en spectrographie dans le rayonnement UV (Ultra Violet).

Aurore boreale

A la suite du Professeur Jean-Claude Gérard qui a consacré sa thèse de doctorat au processus auroral, le LPAP (Laboratoire de Physique Atmosphériques et Planétaire) du Département AGO (Astrophysique, Géophysique et Océanographie) de l’ULg a acquis un renom international dans la connaissance de ces draperies célestes aux diverses couleurs (vert, rose, rouge et indigo violet…) : ce sont des excitations de molécules dues à l’interaction dans l’atmosphère des particules chargées du vent solaire piégées et accélérées par le champ magnétique terrestre. La lueur aurorale est produite par la collision de ces particules avec le gaz atmosphérique. Si la planète n’a pas d’atmosphère, il n’y aura pas d’aurores.

Dans un second temps, le LPAP a étudié les manifestations d’aurores très lumineuses sur les planètes géantes Jupiter et Saturne. L’un de ses chercheurs, Arnaud Stiepen, a étudié l’atmosphère martienne avec la sonde américaine MAVEN (Mars Atmosphere & Volatile EvolutioN) qui évolue autour de la Planète Rouge depuis le 21 septembre 2014. En ayant accès aux données de la NASA, il a fait la découverte d’aurores « diffuses » dans l’Hémisphère Nord de Mars. On en a par ailleurs trouvé sous forme de taches sur Uranus. « Le phénomène auroral trahit la présence d’un champ magnétique autour d’une planète », explique J.-C. Gérard. « C’est la règle générale, mais on a des exceptions qu’on vient de mettre en évidence : elles concernent les voisines de la Terre que sont Vénus et Mars. »

Sur la Planète Rouge, il existe notamment des aurores, qualifiées de « localisées » ou de « discrètes » car elles ne couvrent que des régions très limitées de la planète, contrairement aux aurores diffuses qui recouvrent occasionnellement une large étendue de la planète. Elles sont confinées aux régions de l’hémisphère sud où du magnétisme résiduel a été observé par les sondes en orbite autour de Mars. Elles ont été traquées  par Lauriane Soret, chercheuse au LPAP. Cette ingénieure physicienne française les a mises en évidence en effectuant une analyse détaillée de dix années - de 2004 à 2014 - des données de l’instrument SPICAM (Spectroscopy for the Investigation of the Characteristics of the Atmosphere of Mars) placé à bord de la sonde Mars Express de l’ESA. Cette sonde européenne évolue autour de la Planète Rouge depuis décembre 2003.

SPICAM est un spectromètre partiellement conçu et construit à l’IASB (Institut royal d’Aéronomie Spatiale de Belgique) pour procéder à des observations atmosphériques dans l’UV (0,118 à 0,320 µm) et dans l’infrarouge (1 à 1,7 µm). Son principal objectif consistait en la détermination en 3 dimensions, en fonction de l’altitude, des composants et de la température de l’atmosphère martienne. En passant en revue ce qui avait été observé lors de survols de Mars, Lauriane Soret a pu déceler une vingtaine d’aurores localisées dans l’hémisphère austral martien. Il s’agit bien de processus de collisions qui induisent des émissions lumineuses.

Des traces du paléomagnétisme martien ? 

Sur les planètes voisines de la Terre, pourtant dénuées de champ magnétique qui piège les particules chargées du vent solaire, les manifestations d’aurores prennent une tournure particulière. Sur Vénus, un spectromètre UV de la sonde Pioneer Venus, en orbite vénusienne entre juillet 1980 et août 1992, a mis en évidence la lueur d’aurores dites « diffuses», c’est-à-dire, à très large échelle. Sur Mars, des aurores « diffuses » ont également été observées dans l’hémisphère Nord, mais ce sont des aurores « localisées» qui ont été détectées dans l’hémisphère Sud.  A quoi ces dernières sont-elles dues ? L. Soret et J.C. Gérard ont mené leur enquête sur ces draperies ou arcs de lumière qui ont une morphologie bien typée. Le phénomène serait lié aux éruptions solaires qui atteignent l’atmosphère. « Le ciel devient plus lumineux, mais on a affaire à un mécanisme de formation qui est différent des lueurs aurorales terrestres, vu qu’il n’y a pas de champ magnétique global », constate Lauriane Soret.

Aurores MARSL’étude des observations de SPICAM a permis de détecter une vingtaine de points où apparaissent des aurores localisées. Leur détection est difficile, voire aléatoire, car leur apparition est temporaire, sur  des étendues de quelques dizaines de km seulement. L’origine de ces aurores n’est pas clairement élucidée. Le Professeur Gérard explique leur développement dans des zones où les roches anciennes ont gardé la mémoire d’un magnétisme passé, emprisonné depuis près de 4 milliards d’années.

L’étude des aurores de Mars est malaisée, car elles sont volatiles et ne se reproduisent pas de façon régulière. Et il demeure beaucoup de questions sans réponses. Combien d’aurores se forment-elles ? S’illuminent-elles en même temps ? Quelle énergie contiennent-elles ? Afin de mieux définir le fil des événements qui conduisent à ce que des particules chargées précipitent dans l’atmosphère, guidées par le champ magnétique local, il faudra obtenir de nouvelles observations sur la face nocturne avec un instrument plus sensible. En attendant, Lauriane Soret s’est lancée dans un travail de modélisation pour mieux cerner la spécificité des aurores discrètes. Ainsi, elle a réussi à déterminer l’altitude à laquelle des particules chargées produisent le phénomène auroral martien : entre 125 km et 135 km, les électrons sont accélérés en descendant dans des sortes d’entonnoirs magnétiques. Pour comparaison : sur Terre, elles se manifestent généralement entre  90 et 300 km.

En attendant NOMAD

Le fonctionnement « localisé» des aurores sur la Planète Rouge, qui se produisent dans des zones précises, reste donc à élucider. Comme SPICAM de la sonde européenne Mars Express ne fournit plus de données, les espoirs reposent sur NOMAD (Nadir and Occultation for MArs Discovery) qui équipe le satellite martien TGO (Trace Gas Orbiter ) d’ExoMars 2016, mission réalisée conjointement par l’ESA et l’agence spatiale russe Roscosmos. L’intérêt de NOMAD est d’être un triple instrument qui comprend deux spectromètres IR et un senseur dans le visible et l’UV.

Dans le cadre de cette mission, l’équipe du LPAP  exploitera les possibilités d’observations au-dessus de régions martiennes plongées dans la nuit. Officiellement, ce type d’observations n’est pas dans le planning de l’ESA. « La détection de phénomènes atmosphériques simultanément dans l’UV, le visible et l’IR constituera une première dans la découverte de Mars», fait remarquer la chercheuse du LPAP. Celle-ci compte sur du temps et les moyens de l’ESA pour multiplier et intensifier les observations.

Phénomène auroral : plus général qu’on ne croit

En quoi découvrir les aurores « discrètes » sur Vénus et sur Mars constitue-t-il un plus en astronomie et en physique ? « C’est sans doute un prototype de ce qui se passe des milliards de fois dans l’Univers, sur les exoplanètes qui ont perdu leur champ magnétique global, explique Jean-Claude Gérard. Chaque fois qu’une planète, notamment à cause de sa petite taille, possède un noyau qui s’est refroidi rapidement, son magnétisme s’arrête. Ce qu’on a découvert sur la Planète Rouge dépourvue de champ magnétique en fait un modèle de ce qui pourrait se produire sur les nombreuses planètes extra-solaires  de petite taille et de faible masse, qui possèdent une atmosphère. »

La finalité d’établir un catalogue des différents types d’aurores vise à comprendre  les interactions entre la planète, son atmosphère, son magnétisme, le vent d’une étoile, le comportement de particules chargées… ce sont des processus qu’on ne peut pas réellement simuler en laboratoire. En fait, notre Terre se comporte comme un énorme laboratoire qui met en jeu le Soleil, son éloignement, le champ magnétique, les composants atmosphériques… Pour L. Soret, le but en étudiant divers phénomènes d’aurores est d’arriver à leur compréhension générale avec une physique commune qui s’adapte à des conditions différentes. Le comportement de l’atmosphère où se produisent les lueurs aurorales en est le thème commun.

L’exploration du système solaire continuera d’être marquée par l’étude des phénomènes auroraux. Plus que jamais, le LPAP sera au rendez-vous des prochaines missions scientifiques qui contribueront à comprendre leur fonctionnement. Les énormes aurores de Jupiter seront au menu des recherches de sondes de la NASA et de l’ESA. Juno est, depuis le 5 août 2011, en route vers la planète la plus imposante du Soleil pour se satelliser autour d’elle le 4 juillet 2016. Elle est équipée des spectromètres imageurs  UVS et JIRAM (Jovian Infrared Auroral Mapper) qui fourniront des données rapprochées des aurores joviennes. La future mission JUICE de l’ESA devrait également se concentrer sur les aurores de Jupiter, mais aussi sur celles de ses satellites Europe et Ganymède. Ce dernier possédant, comme une planète, un champ magnétique global.

EDM NOMAD

D’ores et déjà, dans le cadre d’une collaboration entre les instituts fédéraux et les universités, les chercheurs du LPAP à Liège et de l’IASB à Bruxelles se trouvent mobilisés pour faire progresser la science des phénomènes lumineux qui se produisent dans l’atmosphère des planètes. La Politique scientifique belge a retenu parmi les actions de recherche thématique pour des réseaux interdisciplinaires le projet SCOOP (towards a SynergistiC study Of the atmOsphere of terrestrial Planets). Ayant démarré en mars 2015 pour une période de quatre ans, il exploitera notamment les données de l’instrument NOMAD à bord de la sonde TGO - ExoMars 2016.  Ainsi, au cours des décennies à venir, les chasseurs d’aurores devraient en avoir plein les yeux.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_410358/fr/les-aurores-martiennes-devoilees?printView=true - 27 avril 2024