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Faut-il se méfier de la résonance magnétique cardiaque?

29/01/2016

Des chercheurs du laboratoire GIGA-cardiovasculaire de l’Université de Liège mettent en garde contre l'utilisation répétée de la Résonance magnétique cardiaque, un examen radiologique du cœur très prisé. Ils ont montré que cet examen induit des signaux qui miment des cassures double brin de l'ADN des lymphocytes T, mais que cet effet, léger et transitoire, disparaît après un an. Il leur reste, néanmoins, à démontrer la présence de telles cassures de l’ADN. Si leurs résultats se confirment, ils imposeront une certaine prudence.

IRMDans l'arsenal de l'imagerie médicale, la Résonance magnétique cardiaque (IRM cardiaque) est un examen radiologique de plus en plus utilisé pour le diagnostic et le suivi des affections cardiaques. "Elle permet non seulement d'étudier la structure du cœur mais elle donne aussi des informations sur sa fonction et sur une éventuelle maladie, c'est un examen extraordinaire avec une très grande définition. Par rapport à une radiographie thoracique, un scanner ou une scintigraphie, elle a l'avantage de ne pas émettre de radiations ionisantes", explique le Pr Patrizio Lancellotti, cardiologue et directeur du GIGA-cardiovasculaire (ULg)

Utilisée depuis une vingtaine d'années, l’IRM cardiaque a toujours été considérée comme un examen inoffensif parce qu'elle n'émet pas de rayons ionisants. Pourtant, il y a quelques années, des études in vivo et in vitro ont montré qu'il y avait peut-être des altérations de l'ADN cellulaire et notamment des lymphocytes T. "Je suis cardiologue, poursuit-il, je me suis donc dit qu’il était indispensable de vérifier, étayer et compléter ces études puisqu'on utilise de plus en plus cette technique. La question est importante parce que si ce n'est pas vrai, ça veut dire que c'est un examen tellement inoffensif qu'on peut vraiment l'utiliser beaucoup plus parce qu'il donne des informations très intéressantes".

L'équipe du GIGA-cardiovasculaire, menée par le Pr Lancellotti, le Dr Cécile Oury, biologiste et chercheur FNRS, et le Dr Alain Nchimi, radiologue au CHU de Liège, a donc évalué la réponse biologique, précoce et tardive, des cellules sanguines à une IRM cardiaque. (1)

Ces scientifiques ont enrôlé 20 hommes sains, d'âge moyen de 30 ans et non soumis à des conditions sportives importantes, chez qui ils ont fait des prélèvements sanguins avant et après (1-2 heures, 2 jours, 1 mois et 1 an) une IRM cardiaque. Le nombre de cellules sanguines (lymphocytes, monocytes, neutrophiles, plaquettes...) et leur état d'activation, ainsi que l'apoptose ont été mesurés. Ils ont utilisé un marqueur, un variant d’histone phosphorylé, le gamma-H2AX, considéré comme le meilleur marqueur des dommages à l'ADN induits par les radiations ionisantes: une augmentation du taux de gamma-H2AX dans les lymphocytes T circulants, par exemple, reflète très fidèlement l’induction de cassures double brin de l'ADN par les radiations ionisantes.

Les cassures disparaissent après un an

Résultats? Le Pr Lancellotti et ses collègues ont pu observer une augmentation, faible mais significative, des niveaux de gamma-H2AX après 2 jours et jusqu'à un mois après l'exposition à la résonance. Un effet qui a disparu totalement après un an. Ces dommages à l'ADN n'ont cependant pas induit l'apoptose des lymphocytes T et l’activation des lymphocytes T n’a pas été observée.

"Nous avons analysé les différentes sous-populations de lymphocytes: aucune n'était plus sensible qu'une autre. Mais, dans le cas présent, ce qui est plus important, ce sont les lymphocytes T parce que ce sont les cellules sanguines qui ont la plus longue durée de vie. Donc, s'il y a des dommages à l'ADN qui s'accumulent dans ces lymphocytes T, cela peut avoir réellement un impact à long terme. C'est pour cette raison qu'on a proposé de rester prudent si les examens devaient être répétés plusieurs fois dans le mois", commente Cécile Oury.

On peut se poser la question de savoir si l'effet observé est dépendant de la dose utilisée. "Il existe probablement une relation avec l'énergie absorbée par le patient, répond le Pr Lancellotti. Nous avons montré qu’il existe une relation linéaire entre l’énergie absorbée ou délivrée au patient et la persistance d’un taux élevé de gamma-H2AX mesuré dans les lymphocytes T circulants un mois après l’examen. Il faut comprendre que si on fait des examens qui durent plus longtemps, ça pourrait avoir un impact sur l'énergie produite, libérée et puis absorbée. On pourrait donc imaginer théoriquement avoir plus de lésions".

"Cela ne dépend pas que du temps, mais aussi du type de séquence (2) ou d'excitation. La corrélation observée entre la quantité d'énergie et les lésions observées à un mois existe, mais il faudrait avoir un plus grand nombre de sujets pour en être absolument certain", ajoute Alain Nchimi.

D'autres phénomènes observés interpellent encore Patrizio Lancellotti: "On a remarqué que l’examen induisait une légère inflammation transitoire, caractérisée par une petite augmentation des neutrophiles et des monocytes inflammatoires, une diminution du nombre des lymphocytes natural killers (cellules lymphocytaires tueuses) et une activation des neutrophiles et monocytes. La chose positive, c'est qu'il n'y avait pas d'activation des plaquettes, donc pas de phénomène prothrombotique (qui favorise la thrombose) lié à l'examen".

Pas si inoffensif qu'on le dit?


Ces résultats laissent penser que cet examen n'est peut-être pas aussi dénué de risque qu'on le pense généralement: "Dans notre travail, on a montré chez la moitié des sujets, une augmentation de ces altérations qui se maintenait et qui était plus importante au suivi à un mois. Par contre, la chose rassurante c'est qu'après un an, il y avait une normalisation complète. Il est clair qu'il existe un phénomène et qu'il faut le confirmer", estime le cardiologue.

"La question que l'on se pose, ajoute-t-il, c'est de savoir quel patient serait le plus susceptible de développer des lésions de l'ADN liées à une résonance magnétique qui, dans ce cas de figure, a été faite sans injection de gadolinium. Celui-ci permet de mieux visualiser les structures cardiaques, mais il est aussi potentiellement toxique et pourrait donc accentuer les phénomènes délétères observés. C'est une vraie nouveauté parce que la plupart des données obtenues in vivo précédemment l'ont été après une injection de gadolinium: dans ce cas, vous ne pouvez pas faire la part des choses entre l'examen lui-même et le produit de contraste utilisé".

Autres questions soulevées par cette étude: les modifications vont-elles se reproduire si on répète l'examen? Quelles sont les conséquences de ces modifications, à court et long terme? "Le plus important à mes yeux, analyse Patrizio Lancellotti, c'est de savoir ce qui se passe si on cumule les examens. Imaginons que je fais un scanner thoracique, une IRM cardiaque et un PET scan pour une mise au point diagnostique: quel est l'impact sur les lésions de l'ADN lymphocytaire? Ce qu'on a recommandé -qui est plutôt une suggestion-, c'est d'éviter, peut-être dans le mois, en tout cas chez les sujets considérés comme sains, de faire une multitude d'examens par RM cardiaque parce qu'on n'en connaît pas les conséquences".

Cet avertissement vaut d'autant plus si des produits de contraste sont utilisés. "La prudence et des restrictions semblables sont déjà d'application pour les examens qui utilisent des rayons X et pour l'imagerie nucléaire", préviennent les chercheurs du GIGA. IRM CardiaquePar ailleurs, ce qui les inquiète, indépendamment des résultats, c'est que l'étude a porté sur une population jeune or, plus les sujets sont âgés, moins les mécanismes de réparation de l'ADN sont efficaces...

Comment confirmer le doute actuel?

Le chemin de l'équipe du GIGA ne s'arrête donc pas là, il faut à présent confirmer et préciser ce risque en passant par des tests in vitro et in vivo chez l'animal (souris). Pour le volet in vitro, ils comptent réaliser plusieurs tests directement sur du sang humain afin de voir l'effet de ces radiations non ionisantes sur les lymphocytes. "En conservant ces lymphocytes en culture pendant plusieurs jours après l'exposition au champ magnétique, nous pourrons étudier les mécanismes de réparation de l'ADN et voir si, oui ou non, on a bien eu des cassures de l'ADN induites par ce champ", détaille Cécile Oury qui se réjouit du cadre de travail offert par le Giga et le CHU de Liège: "L'environnement est idéal, il rend cette étude possible grâce à une collaboration étroite entre cardiologues, radiologues et biologistes (moléculaire et cellulaire)".

Ensuite, pour déterminer l'effet de l'agent de contraste, les chercheurs estiment qu'il faudra prendre de vrais patients. "Il n'est plus légitime de recommencer une étude chez des sujets sains mais peut-être peut-on prendre des sujets qui vont être soumis à l'examen dans le cadre d'un dépistage, par exemple, pense Patrizio Lancellotti. Il faudrait aussi confirmer si c'est quelque chose qui existe uniquement au niveau cardiaque ou s'il se passe la même chose au niveau cérébral, ostéoarticulaire... C'est une grande question".

Plus généralement, il convient de démontrer les effets des radiations non ionisantes sur la santé. On sait déjà qu'elles peuvent provoquer des nausées, des vertiges... "Il y a des alertes sur l'usage intensif de ces radiations non ionisantes pour le grand public et les travailleurs qui y sont exposés, raconte Alain Nchimi. D'un côté, on n'a pas encore démontré le lien formel entre l'utilisation ou l'exposition aux radiations non ionisantes et des effets cliniques tels que le cancer ou autre. D'un autre côté, comme pour toute théorie, il y a son pendant qui dit que ces radiations non ionisantes sont protectrices (de l'ADN par rapport aux attaques extérieures)".

gamma-H2XA-

Des résultats sources de polémique

Cette étude qui prouve pour la première fois le lien de causalité entre une augmentation et une persistance du gamma-H2AX et la RM cardiaque, a été publiée dans une revue de l'American Hearth Association, Circulation Cardiovascular Imaging. Si certains, dont l'éditorialiste de la publication, Philip Kaufman, qualifient ces résultats de remarquables, d'autres se montrent plus critiques. Toutefois, s'il existe un problème, il faut le mettre en évidence et il faut prévenir la communauté. Par exemple, il serait inadmissible de ne pas parler des effets des radiations ionisantes sur les cellules alors qu'on les connaît. Pour diminuer leurs effets, on adapte les doses, on diminue les temps d'exposition, etc. Peut-être que pour l’ IRM cardiaque ce serait similaire, peut-être qu'il faudrait utiliser des marqueurs spécifiques de sensibilité..."

Le directeur du GIGA-cardiovasculaire reconnaît qu'il y a là une ambivalence: "On n'a pas voulu créer de polémique. Nous sommes tous confrontés à la clinique de tous les jours et on ne veut pas non plus donner un message trop fort sans savoir si il existe ou pas un risque".

"Nous n'affirmons pas qu'il y a des problèmes, insiste Alain Nchimi, nous disons que nous avons observé un certain nombre de faits troublants et que nous ne sommes pas les seuls. Avant nous, plusieurs études ont observé les mêmes, y compris en laboratoire dans des éprouvettes. Ces études-la n'ont pas eu, à part une, un grand écho auprès de la communauté médicale et il est troublant que les constructeurs n'aient pas réagi à ces résultats. Il est important de susciter une réaction des constructeurs et d'autres scientifiques qui souhaitent investiguer la question pour savoir s'il y a un effet des radiofréquences au sens large".

Actuellement, l'argument des constructeurs n'est pas de nier les études publiées, nuance encore Alain Nchimi: "Leur argument -qui se tient- est que les anomalies qu'on peut enregistrer après examen avec des radiations non ionisantes sont de l'ordre du physiologique (causées par une activité physique intense, par exemple), à savoir qui existent chez n'importe quel individu soumis au même type de radiations. Statistiquement, ça peut se tenir mais ça nécessite d'être étudié". De quoi alimenter encore de nombreux projets de recherche qui permettront de réaliser ces examens en toute sécurité...

1 Biological Effects of Cardiac Magnetic Resonance on Human Blood Cells , Circ Cardiovasc Imaging 2015;8:e003697

2. Une séquence IRM c'est l'ensemble des paramètres définissant les impulsions de champ magnétique et les caractéristiques des mesures effectuées en imagerie par résonance magnétique.


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