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Merci les gorilles !
26/01/2016

Pendant quatre années, au rythme de missions étalées sur plusieurs mois en brousse, la jeune chercheuse s'est attelée à chercher les nids des gorilles, à récolter leurs fèces (profitant de leur abondance sur les lieux de repos), à y prélever les graines, à les identifier et à tester leurs conditions de germination dans divers types de substrats et d'environnements. Ardu, voire quelque peu aventureux, ce type de travail est facilité par l'approche de partenariat  développée par le Laboratoire de foresterie des régions tropicales et subtropicales de Gembloux, aujourd'hui intégré à l'Axe de gestion des ressources forestières de Gembloux Agro-Bio Tech: en échange d'un appui scientifique spécialisé (particulièrement pour les plans de gestion élaborés dans les cadre de certification de type "Forest Stewardship Council", FSC), les chercheurs et les doctorants de la cité universitaire bénéficient de facilités logistiques au sein de terrains d'études gigantesques et relativement préservés. En l'occurrence, c'est dans une concession forestière de 600.000 hectares, gérée par l'entreprise suisse Precious Woods, que Barbara Haurez a pu mener à bien ses travaux.  

"Je m'étais familiarisée à la forêt tropicale, au Cameroun, dans le cadre d'un stage pour la préparation de mon travail de fin d'études, déjà consacré à la dispersion des graines par le gorille des plaines au Gabon. Au Cameroun, j'avais accompagné des équipes de recherche dans le suivi des pistes de gorilles entre les sites de nidification et j'avais participé à la mise en place d'une pépinière. Au Gabon, la principale difficulté de départ a été la même qu'au Cameroun: trouver une quantité suffisante d' excréments. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin! C'est la méthode des transects linéaires, assez classiquement, qui m'y a aidée". Ces outils de quadrillage systématique (en lignes droites) de vastes territoires sont mis en place par les prospecteurs forestiers pour inventorier les essences de bois d'œuvre. Ils ont permis à la jeune chercheuse de parcourir méthodiquement un espace de près de 13.500 hectares, au sein duquel elle a comptabilisé un peu moins de 150 sites de nidification construits par des gorilles. "Un logiciel informatique m'a ensuite permis de calculer la densité de nids, convertie en une densité d'animaux à l'aide de facteurs de conversion".

Nettoyage des crottes à l'eau claire

Une fois les fèces collectées (jusqu'à un kilo l'unité, transportées sur le dos...), celles-ci ont été nettoyées à l'eau de rivière au moyen de simples tamis utilisés généralement pour la cuisine locale. Objectif: récolter les graines et entamer le travail d'identification, essentiellement visuelle, grâce à l'aide d'un botaniste. "Au cours des vingt mois de récolte, j'ai comptabilisé 59 espèces végétales dispersées par le gorille. Un tiers de ces espèces présentait un intérêt économique en raison de leur utilisation comme bois d’œuvre ou produits forestiers non-ligneux (l'Omvong - Dialium pachyphyllum; l'Ossabel - Dacroydes normandii; l'Adjouba - Dacroydes klaineana; etc). Les crottes contiennent couramment plusieurs dizaines, voire centaines de graines intactes (jusqu'à 500). Mais elles renferment en moyenne deux espèces différentes. Les plus courantes étaient l'Ebo (Santiria trimera), c'est-à-dire un petit arbre (dix à vingt mètres de hauteur) de couleur grise à jaunâtre, dont le fruit est également consommé par l'homme, le Longhi (Chrysophyllum lacourtianum) et l'Omvong (Dialium pachyphyllum), une essence plus grande (jusqu'à 30 mètres) dont les gros individus sont généralement des indicateurs de forêts âgées. Le fruit du Longhi et la pulpe entourant la graine de l'Omvong sont appréciés tant par le gorille que par l'homme. J'y ai également trouvé une grande quantité d'Aframomum Sp.  c'est-à-dire le gingembre sauvage. Le fruit de cette herbacée se présente sous la forme d'une coque peu rigide renfermant des graines disposées dans un tissu spongieux légèrement sucré. "  La dispersion par les gorilles de ces quatre types de graines est une bonne chose pour les communautés locales. Car, en marge de cultures comme la banane ou le manioc, les villageois s'approvisionnent fréquemment dans la forêt tant pour leur alimentation que pour la médecine traditionnelle. Les gorilles participent clairement à la régénération d'espèces qui fournissent des fruits, des racines, du bois... aux populations humaines.

La deuxième étape a consisté à étudier l'impact du passage des graines dans le tractus digestif. Pour des raisons méthodologiques, deux espèces ont été choisies: l'Ebo et le Longhi rouge (dont le bois est utilisé occasionnellement comme bois d’œuvre). "Pour ces deux espèces, j'ai comparé le taux de germination et la vitesse de germination de quatre catégories de graines: celles récoltées dans les fruits et laissées comme telles, celles récoltées dans les fruits mais débarrassées de la pulpe, celles récoltées dans les excréments et nettoyées et, enfin, celles récoltées dans les excréments mais enrobées de matière fécale. Gorilles ramassageToutes ont été semées en pépinière. Il s'est avéré que les graines ayant passé par le système digestif de l'animal ont systématiquement mieux germé. J'ai également observé que la matière fécale a  favorisé le développement de la plantule". Barbara Haurez estime que cette conclusion positive vaut probablement pour d'autres graines que celles de l'Ebo et du Longhi, mais cela reste à vérifier en bonne et due forme. Les processus physico-chimiques à l’œuvre dans le tube digestif, eux, n'ont pas encore été identifiés. Mais il s'est avéré que le passage dans le tractus du gorille annihile l'impact négatif d'un champignon (en cours d'identification) sur la germination des graines de Longhi.

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