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La Méditerranée souffre

Par Sylvie Gobert, Marc Binard et Pierre Lejeune

2015 : des observations biologiques exceptionnelles, des événements météorologiques particuliers répertoriés à partir de la STARESO (La Station de Recherches sous-marines et océanographiques).En Baie de Calvi (Corse), 2015 a été une année particulière à plus d’un titre: une floraison exceptionnelle de l’herbier de posidonies, une tempête liée à une dépression subtropicale, des mortalités massives de mérou suite à un virus, une nouvelle espèce invasive,… ces évènements observés à partir de STARESO sont probablement à mettre en relation avec les effets de changements climatiques alliés à la pression anthropiques croissante en Méditerranée. La Grande Bleue souffre... ?

1.    Un herbier complètement fleuri

posidonie-fleurLa posidonie (Posidonia oceanica (L.) Delile) est une des rares plantes à fleur qui a colonisé le milieu marin. Cette plante qui réalise la photosynthèse comme les autres plantes, est essentielle pour le maintien de l’équilibre des côtes méditerranéennes car elle joue, en mer, les mêmes rôles que la forêt sur terre (production d’oxygène, stabilisation des sédiments, abris, habitat, source de nourriture pour des milliers d’espèces…). La posidonie forme des herbiers entre la surface et 40m de profondeur. (Lire : Ecouter les herbiers de posidonies et Méditerranée, des-sentinelles qui parlent vrai)

La posidonie est parfaitement adaptée au milieu marin mais elle a également gardé des caractéristiques des plantes à fleur terrestres.  Elle peut se multiplier de façon végétative (reproduction asexuée : formation de jeunes faisceaux sur un rhizome formant ainsi des clones) et elle réalise également la reproduction sexuée dans l’eau (à partir de fleur fécondée par du pollen qui produisent des fruits et ensuite des graines). La multiplication des clones et la reproduction sexuée permettent à l’espèce d’élargir la surface colonisée et de maintenir la population par remplacement des faisceaux âgés.

Contrairement aux plantes terrestres, les posidonies ne fleurissent pas chaque année et  le nombre de faisceau qui produit des fleurs (Indice de floraison) est très variable d’une année à l’autre. De plus, la présence de fleurs n’amène pas forcément à l’élaboration d’une graine, la fécondation n’a pas toujours lieu, les fruits peuvent avorter avant d’être à maturité, les graines font l’objet de prédation (par les oiseaux ou les poissons), les graines avant ou après germination peuvent être emportées par les courants dans des zones qui ne permettent pas l’enracinement..

Etudié depuis 1975 par l’Université de Liège et STARESO, l’herbier de la baie de Calvi semble exprimer les effets des changements climatiques. Alors que la floraison était un phénomène extrêmement rare et de faible intensité jusque dans les années nonante, depuis ces 20 dernières années le rythme mais aussi l’intensité des floraisons augmentent. Depuis septembre 2015 (la posidonie fleuri en hiver), on assiste à un phénomène exceptionnel où l’herbier est en fleur depuis la surface jusqu’à 25m de profondeur avec une intensité, jusque là jamais mesurée (30 à 40% des faisceaux sont fleuris).

Cette modification de la fréquence et de l’intensité de floraison des herbiers de posidonies n’est pas sans conséquence car si la reproduction sexuée maintient une diversité génétique et augmente aussi les chances de recolonisation des zones qui ont été altérées par l’activité humaine, elle induit aussi des modifications morphologiques et physiologiques de la plante.

En effet, les études menées en Baie de Calvi par le Laboratoire d'Océanologie, sur les floraisons précédentes ont montré que non seulement, la posidonie qui fleurit « investit » dans la floraison au détriment de la production du nombre de ses feuilles et aussi qu’elle a besoin de plus de nutriments (or ces plantes vivent dans un milieu très oligotrophe c-à-d qui est extrêmement pauvre en nutriments), ce qui l’oblige à puiser dans les réserves stockées pour amorcer la future croissance printanière.

Des prélèvements sont en cours afin de tenter de vérifier si ces floraisons répétées n’épuisent pas l’herbier.

Voir  http://hdl.handle.net/2268/11517http://hdl.handle.net/2268/11516

2.    Une tempête liée à une dépression subtropicale

Début octobre 2015, STARESO est au centre d’une dépression avec des vents atteignant 110 km/h (Force 8 à 9 sur l’échelle de Beaufort).

Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2015, une dépression subtropicale (à coeur chaud) s'est développée sur les côtes de l’Afrique du Nord. Ce centre dépressionnaire est ensuite remonté vers l'est de la Corse puis a franchi l'île de beauté avant de se retrouver entre la Corse et le continent dans l'après-midi du 2 octobre (carte). Des rafales de vent tempétueuses atteignant 100 à 130 km/h sur le littoral et en montagne voire 150 à 160 km/h au Cap Corse ont été enregistrées. ( Lire l'article : Très fortes pluies orageuses en Corse les 1er et 2 octobre 2015)

Des vagues impressionnantes déferlent sur la station STARESO, nos appareils mesurent des vents violents (mesures via le programme  RACE)

Voir : http://hdl.handle.net/2268/181058


3.    Echouage de mérous

merou-STARESODurant cette même période de début octobre, 6 mérous  Epinephelus marginatus  s’échouent en Baie de Calvi, les individus ont les yeux vitreux, la peau abimée et la vessie natatoire gonflée (des poissons ayant au moins 10 ans).

Les résultats des analyses anatomopathologiques démontrent la présence d’un nodavirus responsable d’une encéphalopathie et de rétinopathie (atteignant le cerveau et les yeux). Un mois plus tard, alors qu’une analyse dans un des mérous de Calvi échoué en octobre confirme l’infection par le nodavirus (Unité de pathologie virale des poissons, Plouzané-France), 16 autres individus sont morts présentant les mêmes symptômes.

4.  Espèce invasive

Le 20 juillet 2015, un petit crabe étrange est ramassé à faible profondeur aux abords de STARESO. Sa détermination nous révèle qu’il s’agit de l’espèce Percnon gibbesi. Introduit en Méditerranée il y a une quinzaine d’année,  il est actuellement répertorié comme une espèce invasive que nous signalons ainsi pour la première fois sur la côte occidentale corse.

Conclusions 

Pris séparément, ces évènements ne sont que des curiosités scientifiques, des « faits divers »  mais:

-la floraison de posidonies est liée à une plus grande quantité de lumière et/ou à une augmentation de température,
- le Nodavirus, suspecté de s’exprimer particulièrement lors d’épisodes chauds, est transmissible à d’autres espèces de poisson, les poissons ayant survécu restent porteurs de l’infection,
- la violence de la dépression a été alimentée par des températures de surface de l’eau de mer anormalement élevée,
- la Méditerranée, hotspot de la biodiversité, est soumise à une pression croissante de nouvelles espèces introduites (amenées par les bateaux, l’aquaculture, la canal de Suez…) qui peuvent devenir envahissantes…

Ces évènements semblent être liés aux changements climatiques. Conscients de ces modifications, les océanographes de l’Université de Liège et STARESO ont lancé depuis 2010, un programme multidisciplinaire qui s’appuie sur la base de données acquises à STARESO (débutée dès 1970) et le caractère exceptionnel du site. Ce projet STARE-CAPMED (STAtion of Reference and rEsearch on Change of local and global Anthropogenic Pressures on Mediterranean Ecosystems Drifts )  a pour objectif d’établir sur ce site reconnu comme référence, un site atelier à long terme pour la compréhension, par la recherche fondamentale, des processus de l’évolution des écosystèmes méditerranéens côtiers (et proche large) en réponse aux changements actuels, locaux et globaux, des pressions anthropiques. Il doit permettre, à la fois la mise au point ou la vérification d’indicateurs pertinents d’évaluation, de méthodologie de recherches nouvelles et l’établissement d’une base de référence à visée opérationnelle en temps réel afin de fournir des données et une expertise scientifique permettant d’aider à la gestion des eaux côtières. (Coordinateur : Pierre Lejeune; Directeur, STARESO Président : Gérard Bonifacio)

Voir : http://hdl.handle.net/2268/58948 - http://hdl.handle.net/2268/187710

STARESO vue


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