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Jeux vidéo et livre
1/13/16

The Elder ScrollsPlusieurs clés permettent de comprendre l’engouement si soudain pour le jeu vidéo comme objet culturel. Il a d’abord fallu attendre qu’une génération qui a grandi avec les jeux vidéo soit en âge de les étudier. « Mais ce n’est pas la seule raison, tempèrent les chercheurs. On observe aussi une évolution du jeu en tant que tel. En 1983, une première crise de l’industrie vidéoludique a cantonné le média du côté des jouets, l’a infantilisé et réduit à un objet de loisir destiné aux plus jeunes. Il a fallu attendre que le média mûrisse à nouveau, que les moyens économiques investis soient plus importants pour qu’on arrive à reconsidérer le jeu comme un potentiel objet de recherche. Et cet intérêt vorace vient comme s’il y avait du temps à rattraper. Le jeu vidéo est la plus grande industrie culturelle. Plusieurs dizaines de millions d’euros sont parfois investis dans un seul jeu. Il serait étonnant que personne ne l’étudie. » Les premiers centres de games studies se sont alors composé de littéraires, de chercheurs en communication, de sociologies, d’historiens, et chacun est arrivé avec ses propres questions, ce que saluent les chercheurs. « Le jeu vidéo est un objet hybride par essence. Il gagne à être approché par différentes méthodes et disciplines ».  

Des espaces de littérature vidéoludique à la transposition

Dans l’ouvrage, quatre grandes parties agencent les différents articles et leur offre une cohérence transversale. Les premiers articles se regroupent sous la question de la représentation et de la figuration. En invoquant des exemples concrets, ces textes épluchent la présence formelle de livres dans les jeux vidéo. Dans certains jeux, le livre porte une fonction narrative importante, qu’elle soit au second plan de l’histoire ou non. Dans The Elder Scrolls, une série de jeux souvent citée dans l’ouvrage, il est impossible de passer à côté de l’objet livre. « Il y a dans ces jeux une vraie importation du format livre, explique Fanny Barnabé. Les livres sont des objets qu’on peut ramasser et lire au cours de la partie. Par contre, ils ne forment pas le fil conducteur du jeu. Ils servent de background et contribuent à tisser un univers, un monde propre au jeu. » Ces « livres » ont tous été écrits pour le jeu et n’existent que dans cet univers. Même si certains fans se les sont réappropriés pour les publier sur des forums ou sous d’autres formats numériques. « Il ne s’agit pas de romans, ponctue Bjorn Olav Dozo, mais plutôt de nouvelles, de légendes, de monographies de héros historiques, ou encore de recettes de cuisines, que l’avatar (personnage que manie le joueur pour évoluer dans le jeu, Ndlr) peut réaliser plus loin dans le jeu. Le travail de scénario et d’écriture demeure toutefois énorme, puisque le jeu compte plusieurs centaines d’ouvrages et 47 000 lignes de dialogue ». D’autres jeux placent davantage le livre au centre de l’intrigue. Dans certains cas, ce sera un avatar amnésique, qui pour avancer doit lire des textes et apprendre son passé, d’autres jeux exigent de retrouver les pages manquantes d’un vieux grimoire, etc. Au terme de cette première partie, un tour d’horizon sur la figuration et les fonctions de l’objet livre permet de se rendre compte d’efforts d’hybridation importants. Même si, comme le soulève Hélène Sellier, « les natures différentes des deux médias rendent impossible une totale uniformité de l’expérience »(3). Pour lire, le joueur doit sortir son personnage de l’action, une nécessité qui, dans un autre article, pousse Benjamin Peuch(4) à se demander si un objet textuel comme interface ne devient pas davantage une interférence à l’expérience du jeu.
 
La deuxième partie affine encore la question de l’hybridation entre le jeu vidéo et une forme littéraire, par la question de la transposition formelle entre la bande dessinée, cette fois, et l’univers vidéoludique. Les auteurs n’abordent pas encore ici la notion d’adaptation, mais bien de transécriture. Comment, dans un média, est-il possible d’utiliser les codes d’un autre média ? Un premier texte reprend l’exemple d’auteurs qui sont parvenus à révéler certains codes formels du jeu vidéo pour les convertir en bande dessinée. Par exemple, une vue subjective et la présence d’un acolyte servant de guide. Le deuxième article donne la réciproque et retrace la mécanique inverse, à savoir l’adoption de codes bédéiques dans la forme de jeux vidéo. « L’approche par la bande dessinée semblait pertinente, intervient Bjorn Olav Dozo. Beaucoup d’études ont par exemple souligné l’hybridation entre jeux vidéo et cinéma. C’est entre autres pour des questions d’analogies et d’accointances formelles évidentes. Le cinéma et le jeu vidéo sont tous deux des médias visuels. » La bande dessinée, également visuelle, offre un lien formel entre littérature et jeu vidéo. « Bien sûr, il y a aussi des liens très forts entre le livre et le jeu vidéo, mais les discours scientifiques se sont jusqu’ici davantage intéressés à une approche narratologique. »

Adaptations et transmédiations, entre fictions étoffées et stratégies sérielles

Le titre de la troisième partie, « Adaptation », ne permet pas de souligner la diversité des sept textes qui la composent. Les premiers articles explorent bien cette piste de l’adaptation de romans ou de mythes, posant au passage des questions de fidélité au contenu original, et de concessions entre préservation d’une légitimité intellectuelle et ambitions avant tout ludiques, qui peuvent dans certains cas se rencontrer dans une même construction formelle, comme prendre des chemins tout à fait antagonistes. Mais très vite, l’adaptation laisse place à la transmédiation. « La différence s’opère au niveau des perspectives et du processus créatif, précise Fanny Barnabé. L’adaptation est la déclinaison d’une œuvre originale pour un autre média, mais dans un processus de mimétisme, en altérant peu le contenu existant. Par exemple, on adapte un livre au cinéma. La transmédiation, c’est l’utilisation de plusieurs médias pour étoffer et prolonger un même univers fictif. Mais les contenus diffèrent. »

(4) Hélène Sellier, Les représentations et les effets de la littérature dans The Elder Scrolls, Jeu vidéo et livre, Bebooks, 2015
(5) Benjamin Peuch, Livré à soi-même : interfaces et interférences textuelles dans Amnesia : The Dark Descent, Jeu vidéo et livre, Bebooks, 2015

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