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Le musée de société : histoire et enjeux
08/01/2016

Des premières expositions de folklore aux musées de société

Dans le second chapitre de son ouvrage, Noémie Drouguet rappelle l’héritage historique des musées de société, en dressant leur évolution depuis le siècle dernier. A la fin du XIXe, le paysage muséal est principalement occupé par les musées d’art — dont la présentation surchargée contribue à sacraliser les oeuvres et à sélectionner les visiteurs —, et par les musées de sciences naturelles, qui s’apparentent parfois à de véritables cabinets de curiosités. Ce siècle voit également l’apparition des musées techniques, d’industrie et de métiers, étendards des bienfaits de l’innovation technologique. Quant aux musées d’ethnologie, ils forment alors principalement des vitrines coloniales, lieux de stigmatisation des peuples extra-européens au profit de la mise en valeur de la civilisation européenne. Dans ce contexte émergent les premières tentatives d’expositions de folklore : si elles fonctionnent sur le même principe d’accumulation et de surcharge que les musées déjà cités, leur absence de luxe ostentatoire vise à élargir le cercle des visiteurs potentiels.

Illustration de la permanence de la tradition ou glorification d’une région particulière, ces premiers musées de folklore sont mis au service d’une certaine idéologie, avec parfois des visées politiques : le musée de folklore est avant tout conçu comme un outil d’éducation du peuple, ou comme le réceptacle d’un savoir populaire à revaloriser. Ainsi, parmi la cinquantaine de musées cantonaux actifs en France à partir de 1876, se nichent des expositions sur l’hygiène, l’agriculture, l’industrie ou encore le commerce — consolidant, derrière une apparence progressiste, l’imposition des valeurs bourgeoises. Quelques modèles marquants, qui seront régulièrement copiés, voient le jour à la fin du XIXe siècle : outre les tableaux vivants de scènes rurales scandinaves au Nordiska Museet de Stockholm, le Museon Arlaten en France reste un des plus imités. Inspiré par la salle de France au musée du Trocadéro de Paris, ce dernier est le premier musée d’ethnographie régionale dans le domaine francophone. Né dans le sillage des Expositions universelles, sous la houlette de l’écrivain Frédéric Mistral, ce musée convoque costumes, meubles et outils pour reconstituer des scènes de la Provence.

Musee-Noordiska

Dès le début du XXe siècle, de nombreuses institutions s’appuient sur l’exemple de ces musées pionniers, tout en introduisant des évolutions dans la mise en exposition. Si l’essor de la typologie (sous l’influence de l’archéologie) se marque dans les vitrines par un classement plus rigoureux des collections, les dioramas connaissent encore quelques beaux développements, comme au Musée alsacien de Strasbourg (avec, dès 1907, ses intérieurs reconstitués). Les intentions des musées régionaux sont toujours empreintes de la volonté d’affirmer une identité locale et d’éduquer le public ; leur multiplication dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres coïncide d’ailleurs avec une exaltation grandissante du patriotisme (et une forme de radicalisation après l’arrivée au pouvoir du parti nazi).

Dans ce continuum temporel, 1937 constitue une date charnière, marquée entre autres par la création du Musée national des Arts et Traditions populaires. Fondé sur les restes de l’ancien Musée du Trocadéro, sous l’impulsion de George-Henri Rivière, il est à l’origine conçu comme un musée de synthèse, illustrant par son classement thématique les points communs entre les différentes régions de France — et non plus leurs particularismes. Si son aménagement se prolonge finalement pendant plus de trente ans, de nombreuses expositions temporaires se succèdent au cours de cette période, et lancent les bases d’un nouveau « modèle » muséal. Sous l’impulsion de Rivière, la fonction de recherche du musée devient prépondérante, favorisant l’émergence du concept de musée laboratoire avec une forte assise scientifique. Quoique l’influence majeure de cette nouvelle démarche lui vaut l’appellation d’ « école », elle ne fait pas l’unanimité et certaines institutions proposent d’autres choix — comme le Musée dauphinois de Grenoble dès les années 1970, avec ses expositions temporaires de longue durée autorisant une grande rotation des collections permanentes.

La seconde moitié du XXe siècle voit encore émerger de nouveaux courants, dans le sillage des bouleversements sociaux des années 1960 ; ainsi apparaissent la Nouvelle muséologie, ou encore l’écomuséologie. Derrière cette dernière forme muséale (dont la conceptualisation doit, à nouveau, beaucoup à Rivière) se cache l’idée de présenter « l’homme dans son milieu, qu’il soit naturel, industriel, et plus tard urbain, en croisant le temps et l’espace, l’histoire et la géographie, les perspectives diachroniques et synchroniques et en adoptant un point de vue interdisciplinaire ». Dans cette optique, l’écomusée développe une relation particulière avec son public, et est décentralisé sur le territoire concerné ; il diffère du musée en plein air par la participation attendue de ses usagers à tous les niveaux de la programmation muséale. En tentant de sensibiliser un large public par son approche interdisciplinaire, et de sortir l’institution de ses murs, l’exemple de l’écomusée illustre bien l’évolution historique qui a mené à l’apparition du concept de « musée de société ». Néanmoins, cette transformation reste dans le cas de l’écomusée relativement théorique, voire utopique — cette forme muséale se heurtant en effet à un manque de participation de la part du public. Toutefois, ces tentatives ne sont pas sans conséquences sur le devenir des musées d’ethnographie « classiques », contribuant de facto à l’émergence du concept de « musée de société » au tournant des années 1990. Cette nouvelle approche — qui peut concerner tous les types de musées évoqués — se veut plus ancrée dans le tissu culturel et social régional. Avec la remise en cause de la culture dite « dominante », le musée s’efforce également de s’ouvrir davantage au public : démocratisation et diffusion deviennent alors les maîtres mots de la politique muséale. D’autres tendances se sont également dessinées au cours des dernières années, comme l’importance nouvelle de la scénographie, l’implication des nouvelles technologies, ou encore la multiplication des activités en marge des expositions temporaires — au risque de voir parfois le musée s’apparenter au « parc d’attractions ».

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