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Diabète: la régénération du pancréas chez le poisson-zèbre

06/01/2016

Comment améliorer le traitement et la qualité de vie des patients diabétiques? Une des pistes  étudiées vise le renouvellement des cellules bêta du pancréas, responsables de la production de l'insuline. Une équipe du GIGA de l’Université de Liège, menée par Isabelle Manfroid et Marianne Voz, vient d'identifier, chez le poisson-zèbre, des cellules progénitrices qui permettent de régénérer ces cellules bêta, et ceci sans greffe ni médicaments.

Cinq cents mille diabétiques en Belgique, plus de 340 millions dans le monde, plus de 5 millions de décès chaque année... Le diabète n'est pas qu'une suite de chiffres effrayants, c'est aussi une communauté de chercheurs qui scrutent la maladie et essaient de lui trouver des parades. Comme les membres du laboratoire ZDDM (Zebrafish Development & Disease Models) du GIGA de l'Universitéde Liège: "Notre travail s'inscrit dans le contexte du diabète: au laboratoire, cela fait des années que l'on essaie de comprendre comment se forment les cellules bêta pancréatiques qui sont un acteur-clé dans le développement du diabète", précise Isabelle Manfroid, l'une des responsables du laboratoire ZDDM, au sein de l'unité de recherche Développement, Cellules souches et Médecine régénérative du GIGA.

Le diabète est caractérisé par la destruction des cellules bêta pancréatiques qui sécrètent l'insuline, l'hormone responsable de la baisse du  taux de sucre dans le sang. Il existe deux grands types de diabète. Celui de type 1 est provoqué par une dérégulation du système immunitaire qui détruit les cellules bêta: les malades deviennent hyperglycémiques et doivent s'injecter de l'insuline à vie. Celui de type 2 résulte d'une résistance à l'insuline: les tissus cibles de cette hormone (comme le muscle, le foie et les tissus adipeux qui normalement devraient consommer du glucose en réponse à l'insuline) n'y répondent plus, ce qui se traduit également par une hyperglycémie. A la longue, les cellules bêta essaient de compenser cette résistance à l'insuline, en tentant d'en fabriquer plus, elles s'épuisent et finissent par mourir. Les deux grands types de diabète se caractérisent donc par une hyperglycémie et une destruction des cellules bêta.

A côté des injections d'insuline à vie, il y a d'autres voies thérapeutiques. "Pour les cas graves, des greffes d'îlots de Langerhans sont parfois réalisées avec, malheureusement, une durée de vie des îlots transplantés et une stabilisation de la maladie assez limitées: ces patients n'ont d'abord plus besoin de s'injecter d'insuline pendant plusieurs mois voire quelques années puis la greffe n'est plus fonctionnelle et ils redeviennent à nouveau dépendants d'injections quotidiennes d'insuline. Une autre piste, seulement en cours de développement, vise à injecter des cellules bêta générées à partir de cellules souches humaines. Toutes ces thérapies ont de grosses limitations, et rien n'est curatif", poursuit Isabelle Manfroid.

zebrafish

Régénération tissulaire

"Une dernière voie thérapeutique, dans laquelle notre travail s'inscrit, serait de pouvoir stimuler la régénération de cellules bêta in situ, chez le patient, commente-t-elle. Et ceci à partir de cellules qui seraient déjà présentes in vivo dans le pancréas, soit des cellules souches pancréatiques ou des cellules progénitrices capables de régénérer les cellules bêta. Mais, il faut savoir que l'existence des cellules souches pancréatiques chez l'homme, et même chez la souris (modèle classique en laboratoire), est fortement controversée car elles sont difficiles à mettre en évidence..."

Comment se forment les cellules bêta pancréatiques chez le poisson-zèbre (Zebrafish), au cours du développement embryonnaire mais aussi chez l'adulte? Telle est la question qui occupe le laboratoire ZDDM depuis plusieurs années. Le modèle du poisson-zèbre peut paraître exotique, mais il très répandu dans la recherche. C'est un petit poisson d'eau douce d'origine tropicale, renommé pour sa capacité à régénérer ses tissus. Cette dernière propriété a particulièrement intéressé l'équipe du GIGA.
"Cette régénération n'est pas spontanée chez la souris: il faut injecter de l'insuline, cela prend beaucoup de temps et la régénération n'est pas complète. Cette capacité est aussi limitée chez l'homme. Nous aimerions comprendre la régénération dans un système où elle se fait efficacement et, si on trouve quelque chose permettant de régénérer les cellules bêta chez le zebrafish, ceci pourrait être appliqué à l'homme. A long terme, bien entendu. Nous voulons vraiment comprendre ces mécanismes de régénération et pouvoir à terme les réveiller ou les stimuler chez les patients diabétiques", espère-t-elle.

Au départ, pendant 10-12 ans, ces études étaient principalement focalisées sur le développement embryonnaire, donc la formation du pancréas où se trouvent les cellules bêta. C'est la partie de Marianne Voz. Plus récemment, le laboratoire a développé un modèle de régénération chez l'adulte sur lequel l’étude a été réalisée.

Des progéniteurs pancréatiques

Pancreas Poisson zebreDans l’article, paru dans BMC Biology (1), les chercheurs ont mis en évidence des progéniteurs pancréatiques: il ne s'agit pas exactement de cellules souches (même si on n'a pas exclu que cela puisse en être), ils correspondent à une étape ultérieure dans la différenciation vers des cellules bêta. Marianne Voz a identifié ces cellules-là chez l'embryon: elle a  montré que les cellules qui expriment nkx6.1, un gène codant pour un facteur de transcription exprimé très précocement dans le domaine pancréatique embryonnaire, donnaient naissance aux cellules bêta pendant l'embryogenèse.

Ensuite, l'équipe d'Isabelle Manfroid a regardé ce qui se passait chez l'adulte: "Nous avons pu voir que ces cellules qui exprimaient nkx6.1 sont des cellules des canaux pancréatiques et qu'elles possèdent la capacité de former des cellules bêta pancréatiques, en condition de régénération. Par exemple, après destruction sélective des cellules bêta dans le zebrafish, celui-ci est capable de les régénérer spontanément et rapidement. Nous avons montré que les cellules bêta régénérées, ou du moins une partie d'entre elles, provenaient des cellules qui expriment nkx6.1 dans les canaux pancréatiques".

En rassemblant leurs deux histoires et en les comparant, Marianne Voz et Isabelle Manfroid se sont rendu compte que les cellules nkx6.1, tant chez l'embryon que chez l'adulte, expriment certains gènes en commun et ont des propriétés similaires: ces cellules nkx6.1 peuvent former des cellules bêta à ces deux stades de la vie. "Ainsi, on retrouve des propriétés 'embryonnaires' dans les cellules des canaux chez l'adulte: ces dernières expriment une batterie de gènes présents chez l'embryon et dont on sait qu'ils sont nécessaires pour la formation des cellules bêta. C'est la première fois qu'on a pu démontrer cette propriété", ajoute Isabelle Manfroid.

Du poisson-zèbre à la souris?

Pour réaliser ces travaux, les chercheurs du GIGA ont créé un outil qui permet de marquer des cellules de façon indélébile. "On a rendu ces cellules progénitrices fluorescentes et, sur base de cette propriété, on a pu les isoler à partir de l'embryon ou de l'adulte et ensuite analyser leur transcriptome, c'est-à-dire voir quels facteurs, quels gènes, elles expriment, au cours du temps ou dans différentes conditions, comme la régénération. Grâce à cet outil très puissant, nous pouvons donc marquer les cellules, les suivre et voir ce qui se passe au niveau moléculaire. C'est vraiment un atout", se réjouit Marianne Voz.

A présent que ces cellules progénitrices ont été mises en évidence, comment les deux chercheuses vont-elles poursuivre leurs travaux? "Pour ma part, chez l'adulte, précise Isabelle Manfroid, après avoir identifié les cellules qui permettent de régénérer, de refaire de nouvelles cellules bêta, , reste à savoir comment. Une fois qu'on aura compris ces mécanismes, ou une partie d'entre eux, on pourra aller voir chez la souris (un modèle où l'ablation de cellules bêta peut-être réalisée aussi) si on peut les stimuler, par des composés pharmacologiques par exemple. Pour les cinq ans à venir, la tâche principale sera vraiment d'élucider ces mécanismes, le passage à un modèle murin sera peut-être pour dans 5-6 ans. Montrer que c'est transposable à des modèles de mammifères est un point clé".

"Pour nous, précise Marianne Voz, ce sera plutôt de comprendre quel rôle joue ce facteur nkx6.1 au niveau des canaux et au niveau embryonnaire. Comprendre sa fonction au niveau du développement de l'organisme".

(1) Progenitor potential of nkx6.1-expressing cells throughout zebrafish life and during beta cell regeneration, BMC Biology 2015;13(1):


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