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La microcéphalie livre ses secrets

08/12/2015

La microcéphalie, malformation du cerveau liée à une insuffisance du nombre de neurones dans le cerveau, est une maladie rare et peu connue. L’unité de recherche de neurosciences du GIGA de l’Université de Liège vient toutefois de lever un coin du voile sur les mécanismes génétiques qui conduisent à ce sous-développement du cerveau et du cortex cérébral en particulier. Ils ont  en effet découvert que lorsqu’un complexe de protéines appelé Elongator est absent des cellules souches du cortex, celles-ci vont donner naissance à des neurones exclusivement de manière directe (neurogenèse directe), faisant l’impasse sur la production indirecte de neurones. Elles ne produisent donc plus de progéniteurs intermédiaires via la neurogenèse indirecte, dont le rôle est de multiplier le nombre de neurones. Au total, il y aura donc moins de neurones dans le cortex. D’où la microcéphalie. Ce faisant, les découvertes de ces chercheurs liégeois vont peut-être contribuer au développement d’un traitement de cette maladie rare.

Cortex (c)Dany VisentinC’est le genre de maladie face à laquelle les médecins se retrouvent impuissants. Ce n’est pas tant le diagnostic qui leur pose problème. Souvent, la microcéphalie se détecte en cours de grossesse, lors d’une échographie. Mais il est déjà trop tard : cette malformation congénitale du système nerveux ne se guérit pas. Avoir un cerveau bien plus petit que la normale ne les empêche pas de vivre, si ce n’est avec un retard mental léger souvent associé à de l’épilepsie. Les causes peuvent être multiples : anomalie génétique, consommation d’alcool durant la grossesse, infection virale de la mère…

Et si, un jour, un médicament permettait de soigner la microcéphalie ? De la contrer dès que les premiers signes sont détectés dans l’embryon ? « Pour le moment, c’est encore de la science-fiction, sourit Laurent Nguyen, chercheur FNRS et superviseur de l’unité de recherche neurosciences du GIGA. En tout cas, on est en train de tester cette hypothèse. Cela vaut la peine ! » Rendez-vous dans quelques années. En attendant, la recherche fondamentale a déjà permis de lever un coin du voile sur les raisons moléculaires de cette malformation corticale. Les résultats de ce travail de longue haleine (l’équipe liégeoise planche sur ce sujet depuis cinq ans) viennent d’être publiés dans la revue américaine Developmental Cell(1) et s’inscrivent dans le prolongement de recherches menées sur Elongator et d’un article publié dans la prestigieuse revue Cell en 2009.

Elongator ? Rien à voir avec le titre d’un blockbuster américain interprété par un acteur tout en muscles.  Ce terme désigne un complexe – un « groupement » de protéines – qui est composé de 6 sous-unités. Dont deux sont particulièrement importantes : « Elp 1 » dont le rôle est l’assemblage du complexe, et « Elp 3 », la sous-unité enzymatique qui possède la capacité d’acétyler les substrats, d’ajouter un groupement acétyle sur une molécule.

Il suffit d’un défaut…

Un petit défaut de « développement » pendant la gestation chez l’un ou chez l’autre peut être lourd de conséquences. « C’est comme pour le plan d’un architecte, compare Laurent Nguyen. Si une erreur se glisse dans le dessin du plan, on risque des problèmes de stabilité voire d’effondrement du bâtiment. En génétique, c’est un peu la même chose ». Ainsi, on sait qu’une mutation dans le gène qui code pour Elp 1 conduit à la dysautonomie familiale, une pathologie génétique très rare caractérisée par des problèmes de développement et de survie de certains neurones du système nerveux périphérique, qui touche principalement la population juive ashkénaze. La mutation du gène de Elp2 a récemment été associée à la déficience intellectuelle, qui caractérise également les patients microcéphales. Pour sa part, l’altération d’Elp 3 conduit notamment à la sclérose latérale amyotrophique, mieux connue sous le nom de maladie de Charcot, cette maladie neurodégénérative des motoneurones.

Bref, Elongator et ses différentes sous-unités sont liés au développement et à la survie des neurones. Dans le premier papier publié dans Cell en 2009, l’équipe de l’ULg avait démontré qu’il avait un rôle important dans le cortex en développement. « Lorsqu’on induisait une réduction de l’expression aigue du complexe au milieu de la corticogenèse (processus de construction du cortex cérébral, NDLR), on observait des défauts de migration, de maturation, de différenciation des neurones de projection du cortex, relate Laurent Nguyen. Par contre, on ne comprenait pas pourquoi les cellules souches et les progéniteurs » étaient épargnés et ce malgré l’expression du complexe dans ces dernières.

Une cellule souche donne naissance à des neurones. Soit directement (on parle de neurogenèse directe, qui se déroule surtout au début de la corticogenèse) ou indirectement (neurogenèse indirecte, surtout présente à la fin de la corticogenèse). Dans le second cas de figure, la cellule souche produit alors des « progéniteurs intermédiaires » qui fonctionnent comme des amplificateurs qui servent à produire plus de neurones.

Cibler Elongator

En 2009, les chercheurs liégeois étaient surpris que la manipulation génétique utilisée dans le but d’altérer l’expression d’Elongator entraînait des conséquences dans les neurones mais pas leurs progéniteurs. « On s’est dit que l’approche technologique n’était probablement pas appropriée pour l’analyse des progéniteurs». Auparavant, l’expression d’Elongator était modifiée par « électroporation in utero » et présentait toutefois un inconvénient : elle permettait de diminuer l’expression du gène, mais pas de le faire disparaître complètement. « Cette activité résiduelle pourrait expliquer pourquoi on n’avait pas de défaut dans les progéniteurs. Ceux-ci n’ont peut-être pas besoin qu’Elongator soit présent à 100% pour fonctionner correctement, à la différence des neurones, détaille Laurent Nguyen. On travaillait aussi à un moment du développement cortical assez tardif. Peut-être était-il nécessaire d’altérer l’expression d’Elongator plus tôt ?».

Un changement de méthode s’imposait.  L’équipe de l’ULg a mis au point une souris modifiée génétiquement, capable de faire « disparaître » complètement l’activité d’Elongator de ses progéniteurs via l’édition enzymatique du génome (système de recombinaison Cre-Lox). De façon innatendue, les souris invalidées présentaient une microcéphalie sévère !

Les chercheurs ont découvert que lorsqu’Elongator est absent des cellules souches du cortex, celles-ci vont avoir tendance à se mettre en mode « neurogenèse directe » exclusivement. Elles ne produisent donc plus de progéniteurs intermédiaires via la neurogenèse indirecte, dont le rôle est de multiplier le nombre de neurones. Au total, il y aura donc moins de neurones dans le cortex. Donc de la microcéphalie.

Après les souris, l’expérience a été réitérée chez la mouche. Mêmes résultats. Restait alors à confirmer  sur des souches humaines, ce qui fut fait grâce à des cellules souches de patients souffrant d’une mutation du gène de Elp1. « On les a reprogrammées en cellules souches pluripotentes induites(2), qui ont été cultivées de manière à ce qu’elles génèrent du système nerveux. Lorsque Elp 1 et Elp 3 ne sont plus exprimés correctement, ces cellules souches possèdent un programme de neurogenèse affecté qui mime partiellement le défaut observé chez l’animal microcéphale. ».

Balance restaurée

Homme, mouche, souris : même constat ! Un complexe Elongator altéré vient chambouler les processus de neurogenèse directe et indirecte. Mais quel en était le mécanisme ? Cortex cerebral murinCe fut la deuxième phase du travail de recherche. Une analyse moléculaire par séquençage ARN couplée à une analyse morphologique fine a démontré que l’absence d’Elp 3 induisait un stress au niveau du réticulum endoplasmique, cette « partie » de cellule faite de tubules membranaires. Ce stress est d’abord ressenti au niveau de la membrane du réticulum endoplamsique. Ensuite, différents récepteurs vont transduire (soit répondre en envoyant un signal) sous forme de voie de signalisation, ce qui va in fine permettre de réduire l’impact du stress sur la physiologie de la cellule. En d’autres termes, cette voie de signalisation va permettre de corriger le défaut qui avait causé le stress initial. « Ce qui est intéressant, c’est qu’en bloquant la transduction avec des outils génétiques, donc en empêchant la voie de signalisation d’être activée, on restaure la balance de neurogenèse », pointe Laurent Nguyen.

Les chercheurs ont donc mis le doigt sur le mécanisme qui pousse la cellule à produire un neurone directement ou indirectement via le progéniteur intermédiaire. « Dans notre système, lorsqu’on exacerbe la voie de signalisation en aval du stress, on force la neurogenèse directe, poursuit-il. Dès lors, peut-être qu’au cours du développement cortical une voie de signalisation physiologique similaire existe, indépendamment du stress. Et que l’intensité de cette signalisation, lorsqu’elle est réduite, permet le basculement du comportement des cellules souches de la neurogenèse directe vers l’indirecte ». 

microcephalie schema

« Bingo ! »

L’étape suivante fut de vérifier que cette voie de signalisation était présente aux différents stades du développement cortical. « Bingo ! Jackpot ! Ça l’était. En plus, on a une diminution progressive au fur et à mesure du développement. On a même réussi à perturber l’expression physiologique de cette voie de signalisation et donc à changer le comportement de la cellule souche précocement ».  

Cette découverte pourrait servir à développer un moyen de contrer la microcéphalie. Il s’agit maintenant de passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Des collaborations viennent de commencer avec les cliniciens, afin de déterminer si cette fameuse voie de signalisation est altérée chez les patients microcéphales. Par ailleurs, le syndrome d’alcoolisation fœtale (caractérisé par une microcéphalie syndromique) va être étudié : l’abus d’alcool de la mère durant la grossesse induit-il du stress et, par conséquent, une altération de la voie de signalisation qui aboutit à la malformation corticale ? « C’est la prochaine étape. On en est encore aux balbutiements. La beauté de cette recherche, c’est qu’en partant d’une analyse de base, non orientée, on découvre des mécanismes intéressants pour la pathologie humaine ».  

De là à imaginer qu’un remède est sur le point d’être concocté, il y a un pas à ne pas franchir trop hâtivement. D’abord, il faudrait augmenter la qualité de la résolution de l’imagerie cérébrale pour que tous les indices de microcéphalie puissent être détectés lors de l’échographie et qu’il soit possible d’intervenir à temps. Ensuite, on pourrait imaginer un traitement curatif (ou permettant d’alléger la pathologie) à base de molécules capables de bloquer la transduction du stress. Mais il faudrait encore qu’une fois injecté chez la mère, ce « cocktail » chimique puisse passer la barrière du placenta pour atteindre l’embryon. Ce n’est pas gagné. Des tests viennent de commencer sur les souris. À suivre…

(1) Sophie Laguesse et al., A dynamic unfolded protein response contributes to the control of cortical neurogenesis, Developmental Cell, décembre 2015

(2) Procédé qui consiste à reprogrammer génétiquement une cellule souche « adulte » pour lui redonner les mêmes propriétés qu’une cellule souche embryonnaire. Une technique qui avait valu le Prix Nobel de médecine en 2012 au professeur japonais Shinya Yamanaka. 


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