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Vagabondages de l'esprit et signes de conscience
09/12/2015

La détection d'une conscience résiduelle chez des patients gravement cérébrolésés représente un enjeu de taille sur les plans médical et éthique, mais aussi une mission difficile, tant l'erreur de diagnostic guette le praticien. En collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology, le Coma Science Group de l'Université et du CHU de Liège a montré récemment que l'IRM fonctionnelle à l'état de repos constitue un outil de choix en vue de préciser le niveau de conscience des patients cérébrolésés incapables de communiquer.

IRMf etat reposSe prononcer sur l'état de conscience de patients gravement cérébrolés, incapables de communiquer, demeure une gageure pour les praticiens. L'évaluation clinique de ces personnes se fonde traditionnellement sur l'examen de leurs réponses motrices à l'aide d'échelles comportementales. Mais elles peuvent être paralysées, sourdes, aveugles, aphasiques ou encore victimes de troubles de l'attention. Si l'on se fie aux résultats d'une étude publiée en 2009 dans BMC Neurology(1), le risque d'erreur de diagnostic est estimé à 40%. Employer de façon systématique une échelle comportementale standardisée et sensible, telle l'« échelle révisée de récupération de coma » (CRS-R), développée aux États-Unis par l'équipe de Joseph Giacino du New Jersey Neuroscience Institute, et validée en français et en néerlandais par Caroline Schnakers et Steven Laureys, du Coma Science Group de l'Université et du CHU de Liège, permet de réduire à 31% la proportion de diagnostics erronés.

Ce chiffre n'est évidemment pas satisfaisant. Aussi les chercheurs n'ont-ils de cesse d'élaborer des outils paramédicaux objectifs et indépendants du contrôle moteur afin de détecter d'éventuels signes de conscience que n'aurait pu mettre en évidence l'examen clinique. Réussir à opérer la distinction, chez un patient donné, entre ces deux entités que sont l'état végétatif/non répondant (VS/UWS) et l'état de conscience minimale (MCS) est au cœur du problème. Sans compter que des erreurs de diagnostic touchent aussi les patients en locked-in syndrome (LIS), parfois considérés à tort comme inconscients ou dotés d'une conscience minimale alors que leur niveau de conscience est intact bien qu'ils soient emmurés dans un corps immobile.

« Nous nous trouvons devant une zone de gris, les limites entre les deux entités VS/UWS et MCS étant difficiles à cerner par l'examen de la réponse motrice, explique le professeur Steven Laureys, responsable du Coma Science Group. D'où l'obligation de développer des marqueurs de conscience objectifs irréfutables, et ce d'autant que le pronostic relatif au devenir du patient, donc à ses chances de récupération, est plus favorable dans le cas d'un état de conscience minimale. » En outre, le traitement diffère, car si les patients en état végétatif/non répondant sont hermétiques à la douleur physique, les patients en état de conscience minimale la ressentent(2) - il convient donc de leur délivrer des antalgiques dans certaines circonstances, notamment lorsqu'on leur prodigue des soins pouvant se révéler douloureux.

Esprit vagabond

L'état de conscience minimale a été mis en évidence en 2002 par Joseph Giacino. Il est caractéristique de sujets incapables de suivre de manière « consistante » des instructions simples, mais qui ont néanmoins une conscience fluctuante de leur environnement. Par exemple, ils pourront exécuter de temps à autre des mouvements volontaires, sourire à des proches ou suivre du regard un objet qui se déplace ; en revanche, ils ne parviendront jamais à communiquer leurs pensées. Contrairement à eux, les patients en état végétatif/non répondant n'ont aucune conscience du monde extérieur et ne manifestent que des mouvements réflexes, involontaires. Il n'en demeure pas moins, nous l'avons vu, que les résultats de l'examen clinique réalisé au chevet du malade restent souvent coiffés d'un halo d'incertitude.

L'utilisation, en complément, des techniques de neuroimagerie fonctionnelle (IRMf et/ou tomographie par émission de positons) a permis de ramener le taux d'erreurs de diagnostic à une vingtaine de pour cent. Dans ce type d'examen, il est classiquement demandé au patient de suivre des consignes simples tandis que son activité cérébrale est enregistrée. Mais ces outils sont coûteux, relativement peu disponibles, non portables, très sensibles aux mouvements du patient dans le scanner et pénalisés par le temps nécessaire à l'acquisition des données. Dès lors, de nombreux projets ont mis à l'honneur l'emploi d'interfaces cerveau-ordinateur s'appuyant sur l'électroencéphalographie (EEG) et les potentiels évoqués cognitifs.

(1) Schnakers, C., Vanhaudenhuyse, A., Giacino, J. T., Ventura, M., Boly, M., Majerus, S., Moonen, G., & Laureys, S. (2009). Diagnostic accuracy of the vegetative and minimally conscious state: clinical consensus versus standardized neurobehavioral assessment. BMC Neurol, 9, 35.
(2) Boly, M., Faymonville, M.-E., Schnakers, C., Peigneux, P., Lambermont, B., Phillips, C., Lancellotti, P., Luxen, A., Lamy, M., Moonen, G., Maquet, P., & Laureys, S. (2008). Perception of pain in the minimally conscious state with PET activation: an observational study. Lancet Neurol, 7, 1013-1020.

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