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Les micro-plastiques dans les estomacs de poissons

04/12/2015

Les recherches menées par France Collard, doctorante au laboratoire de morphologie fonctionnelle et évolutive de l’Université de Liège, s’intéressent à la présence des micro-plastiques dans le système digestif de trois espèces de poissons commerciaux évoluant respectivement en mer du Nord, Manche, et Méditerranée, à savoir le hareng, la sardine et l’anchois. Les recherches ont été centrées sur l’expérimentation d’une nouvelle méthode de détection et d’isolation de ces particules de plastique dans les estomacs des poissons. Une prochaine étape viendra renforcer les résultats de cette étude en identifiant précisément le type et le nombre de micro-plastiques ingérés ainsi que la manière dont les poissons les avalent. Pour l’heure, la méthode proposée par France Collard offre une amélioration considérable de la recherche sur la détection de la pollution marine par les micro-plastiques (1). Avec en prime un résultat étonnant : dans l’estomac des poissons, on trouve davantage des fibres de cellulose que de plastique !

sardinesLa production mondiale de plastique a été estimée à 299 mégatonnes en 2013. On considère que 10% de ces plastiques terminent dans les mers et les océans. La pollution marine par le plastique est une problématique désormais connue du grand public. Cela d’autant plus que cette dégradation de l’environnement marin peut prendre une apparence spectaculaire et monstrueuse : l’ensemble des plastiques correspondrait à  un « septième continent ». En plus de déchets visibles à l’œil nu, il faut aussi compter ceux qui restent invisibles. Enfin, il faut considérer que si cet état de fait est déjà très préoccupant, on doit lui ajouter la problématique de l’ingestion de ce plastique par les espèces animales marines (mammifères, poissons, tortues, oiseaux). Cette question reste très peu fouillée en ce qui concerne les poissons, ce qui peut paraître surprenant si l’on songe au fait que les premiers plastiques industriels remontent aux années 50. Il est vrai que les préoccupations d’ordre environnemental sont, elles, beaucoup plus récentes. Toujours est-il qu’en débutant sa thèse, il y a trois ans, France Collard, chercheuse au laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Evolutive et au laboratoire d’Océanologie de l’Université de Liège, ne pouvait s’appuyer que sur « sept ou huit études dans le monde sur l’ingestion de plastiques par les poissons. J'ai choisi d'étudier la relation micro-plastiques/poissons car, malgré l’importance économique et écologique des poissons, on ne connaissait quasiment rien de cette relation. On ne savait pas en premier lieu s'ils ingéraient même du plastique, si cela les impactaient, s'ils choisissaient de le faire ou s'ils étaient leurrés et croyaient que c’était des proies classiques ». Beaucoup de questions restent ainsi actuellement sans réponse ou font l’objet d’hypothèses. Par exemple, que deviennent les plastiques une fois ingérés ? Sont-ils digérés ou non ? « Au vu de ce que j’ai vu dans les estomacs, je peux dire qu’il y a peu de plastiques ce qui me fait dire qu’ils ne seraient pas digérés et seraient excrétés naturellement. Bien sûr, si le plastique est trop gros, il peut obturer le conduit digestif. Cela n’a pas été démontré chez les poissons mais plutôt chez les mammifères marins, les tortues, les oiseaux. » Mais le problème ne se limite pas seulement au mécanisme de digestion. En effet, le plastique est une matière qui fait office d’aimant pour les polluants comme les PCB et DDT. « Quand le poisson ingère le plastique, il ingère aussi les polluants et une fois dans le système digestif, ceux-ci peuvent se détacher de ce plastique et éventuellement passer dans les tissus et organes du poisson. En ce qui concerne les PBDE, il a été montré que chez une espèce de poisson en particulier, ces PBDE une fois avalés se retrouvaient dans les muscles ou autres tissus du poisson. »

Mais avant de parvenir à ce stade d’analyse, il faut d’abord prouver que les particules retrouvées sont bien du plastique. Cela est d’autant plus difficile qu’il s’agit en l’occurrence de micro-plastiques, de moins de cinq millimètres. L’observation à l’œil nu paraît par conséquent hasardeuse et pourtant c’est cette méthode qui s’avère être la plus utilisée par les scientifiques jusqu’à présent. « C’est un problème. Certains scientifiques agissent par facilité. S’ils voient des couleurs ou des formes un peu particulières, ils classent cela dans les micro-plastiques. D’un autre côté, il est vrai qu’il est difficile d’analyser des choses aussi petites. » Difficile ou pas, France Collard a travaillé sur la mise au point d’une méthode efficace de détection et d’isolation des micro-plastiques dans les estomacs de poisson et elle a pleinement réussi. Il fallait pour cela parvenir à dégrader toutes les matières organiques de l’estomac pour qu’il ne reste que les particules suspectes. Celles-ci ont ensuite été analysées chimiquement afin de déterminer s’il s’agissait bien de plastique.

Un procédé ingénieux

Le procédé employé est simple mais il fallait y penser : « un mélange d’eau de Javel et d’acide fort » avec lequel le contenu de l’estomac est traité. Cette réussite est le fruit d’une étroite collaboration entre des biologistes comme France Collard et des chimistes comme Bernard Gilbert et Gauthier Eppe, du département de chimie de l’ULg. Néanmoins, le travail en amont a été particulièrement ardu car il fallait en premier lieu identifier ce que les poissons mangent afin de savoir ce qu’il allait falloir « digérer » chimiquement, et en fonction, décider des substances adéquates. « De fil en aiguille, j’ai trouvé que la solution la plus adaptée et qui agit le plus rapidement c’est la Javel. Là où la Javel prend une nuit pour tout décomposer et dégrader, d’autres composants comme l’hydroxyde de potassium prennent 3 semaines. » L’autre avantage de la javel est bien sûr son prix et la facilité avec laquelle on la trouve dans le commerce.

schema methode isolation

Quant aux résultats, ils ont réservé quelques surprises. Rappelons en effet que l’un des objectifs de départ de la thèse est de constater si les poissons ingèrent du plastique. Si oui, lesquels ? Répondent-ils à certains critères de taille, de forme, de couleur ? Or, au bout du compte, France Collard a trouvé surtout des fibres de cellulose dans les estomacs. Ceci montre bien la faiblesse de l’observation visuelle qui biaise les résultats. « Nous avons mis en évidence que beaucoup de particules que l’on pensait être du plastique n’en sont pas. En fait, il y a plus de fibres que toutes autres formes de pollution causées par les activités humaines.» La cellulose existe à l’état naturel et cela aurait pu en être si les fibres n’avaient pas été colorées. Ces teintures étant obtenues avec des colorants artificiels, il n’y a par conséquent aucun doute possible sur l’origine de ces fibres de cellulose (des fibres textiles par exemple). De plus, au cours de sa thèse, France Collard a pu remarquer le même phénomène chez certains crustacés (2). Le plastique est donc supplanté par les fibres de cellulose artificielle. Il est vrai qu’il a été prouvé scientifiquement qu’avec un seul lavage en machine classique, on pouvait larguer « plus de 1900 fibres dans l’eau » !

Cela posé, les résultats, même s’ils diffèrent quelque peu de ceux escomptés au départ, illustrent bien l’efficacité de la méthode mise au point qui réunit trois précieux avantages : la rapidité, un coût réduit et la fiabilité.

(1) Detection of anthropogenic particles in fish stomachs : an isolation method adapted to indentification by Raman spectroscopy, Collard France, Bernard Gilbert, Gauthier Eppe, Eric Parmentier, Krishna Das, 20 août 2015, in Archives of Environmental Contamination & Toxicology, http://hdl.handle.net/2268/184719

(2) When microplastic is not plastic : ingestion of artificial cellulose fibers by macrofauna living in seagrass macrophytodetritus, Collard France, Remy François, Gilbert Bernard et al., in American Chemical Society, http://hdl.handle.net/2268/185549


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