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Le profane, juge éclairé de la justesse vocale
03/12/2015

Ces séquences ont ensuite été quantifiée selon les trois critères développés. Pour chacune des 166 performances, Pauline Larrouy-Maestri disposait ainsi d’une analyse objective de trois types d’erreurs possibles, et donc de trois valeurs. Dans la foulée, la chercheuse a sélectionné 18 experts ayant suivi plusieurs années d’études de musique classique ou ayant une expertise vocale. Ils ont évalué les 166 chants selon une échelle de 1 à 9 allant de « pas juste du tout » à « très juste ». « Nous disposions donc d’une part de trois critères de justesse objectifs, et d’autre part, de 18 évaluations subjectives de juges experts. Nous pouvions comparer ces données entre elles, appliquer des analyses statistique pour observer la relation entre les avis des différents juges et la valeur des trois critères mesurés. » Il en résultait une forte corrélation entre le critère objectif et le jugement des différents experts. Par exemple, si l’ordinateur identifiait pour une performance de nombreuses erreurs d’intervalle ou de tonalité, les juges cotaient cette même performance d’une mauvaise note (voir pour plus de détails « Les profanes se joignent à l’étude », ci-dessous). Une première étape dont les résultats, publiés en 2013 dans le Journal of Voice, ont été reconvoqués pour la présente étude. Car si la chercheuse venait de trouver un modèle capable de quantifier et d’expliquer la perception de la justesse par l’oreille humaine, ses expériences, qui ne touchaient alors que des experts, ne faisaient que commencer.

Bon nombre d’études montrent les bienfaits de l’apprentissage de la musique. Les musiciens ont de meilleures performances d’attention, de concentration, dans la perception des sons, dans l’apprentissage d’autres langues, et développent des facultés qu’ils parviennent à transférer pour d’autres activités. « Je ne dis pas que ces études ne sont pas fondées, nuance la logopède. Mais de leur point de vue, elles dressent le portrait du musicien comme une personne aux facultés cognitives particulières. Et pourtant, j’ai des amis non musiciens qui chantent mieux que moi, ou qui ont une acuité auditive sensible, et qui peuvent repérer et reproduire des sons, ou retrouver un thème sur un piano sans ne jamais avoir appris à jouer de cet instrument. A force d’entendre des systèmes musicaux qu’on ne connaît pas, on finit par les intégrer. Et toute notre vie, nous chantons ou nous écoutons de la musique. A l’école, on en crée ensemble, on s’amuse à écrire des chansons… Donc, quelque part, nous sommes tous musiciens. Et de la même manière, nous sommes tous amenés à évaluer, à juger les performances des autres. »

Les profanes se joignent à l’étude

« Nous sommes tous musiciens ». C’est donc cette intuition que la logopède a suivie pour vérifier scientifiquement que les non musiciens avaient une formation musicale implicite. Pour mener à bien son expérience, elle a réitéré l’évaluation des 166 versions de « Joyeux anniversaire » auprès de 18 juges, profanes, cette fois-ci. Les juges devaient ne pas avoir eu de formation musicale, mais devaient toutefois entendre correctement (audiométrie normale et pas de score déficitaire à la batterie de Montréal d’évaluation de l’amusie). Ils ont aussi été choisis de manière à pouvoir proposer des profils similaires à ceux des experts. Même proportion d’hommes et de femmes, de jeunes et de personnes âgées, mêmes milieux socioculturels… La seule différence majeure était l’absence de formation musicale. Contrairement aux experts, les non experts ont dû passer le test deux fois, à quinze jours d’intervalle. La manœuvre devait permettre de vérifier qu’ils ne changeaient pas leurs critères de jugement d’une fois à l’autre, ce qui aurait signifié que l’expérience était en elle-même un processus d’apprentissage trop influent.

Experts non expertsLes grandes lignes de la recherche se lisent dans la figure ci-dessus, qui recense les relations entre les avis des différents juges et les résultats des trois critères objectifs. La première colonne représente les données du groupe d’experts (remontant à l’article de 2013), la deuxième et la troisième colonne les données des deux récoltes des non experts. Sur l’axe des ordonnées, la gradation allant de 0 à 1 représente le coefficient de corrélation entre les résultats objectifs et les avis des juges. Plus le coefficient est proche de 1, plus les critères objectifs analysés par l’expérimentateur sont corrélés au jugement des juges. Par exemple, le premier cube en haut à gauche représente les avis des experts et le critère « déviation des intervalles ». Avant d’avoir été soumis au jury, les 166 versions de « Joyeux anniversaire » ont été analysées objectivement selon ce critère. En d’autres mots, les approximations autour des intervalles entre deux notes ont été quantifiées. Le coefficient de corrélation pour cette case se situe aux alentours de 0.8. « Un tel résultat signifie que les deux opérations sont liées, explique la chercheuse. Plus l’ordinateur enregistre une grande précision dans les intervalles, plus les juges, de leur côté, donnent une bonne note, ce qui est plutôt attendu et rassurant. »

La ligne rouge, présente sur chacune des cases, correspond au taux de significativité des résultats. Tout ce qui se trouve en dessous de cette ligne est considéré comme statistiquement significatif. « La relation entre le jugement et les critères objectifs ne tient pas du hasard. Si on reproduisait la même expérience, on aurait plus de 95% de chances d’obtenir les mêmes résultats ou, autrement dit, que le résultat observé a moins de 5% de chances d’être obtenu par hasard» Un autre point général à comprendre sur cette figure est la gradation des abscisses, allant de 1 à 18. « La boîte noire au-dessus du nombre 18 représente la moyenne de l’ensemble des avis des 18 juges. A sa gauche, elle représente la moyenne de 17 des 18 juges, pris au hasard, etc. Tout à gauche, il s’agit de l’avis d’un seul juge, toujours pris au hasard. Dans chacun des cas, on a observé la relation, la corrélation entre ces groupes de juges allant de 1 à 18 et les analyses objectives réalisées avec nos programmes informatiques. On remarque par exemple que dans la première case, il nous suffit d’avoir 3 juges pour avoir une très forte corrélation entre la mesure objective et l’évaluation. »

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