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Le profane, juge éclairé de la justesse vocale
03/12/2015

Qu’est-ce qui fait que l’on perçoit la justesse d’un chanteur ou d’une chanteuse ? Difficile de le définir objectivement. C’est pourtant ce à quoi parvient Pauline Larrouy-Maestri, chercheuse à l’institut Max Planck et collaboratrice scientifique du département de psychologie de l’Université de Liège. En quantifiant des critères objectifs de justesse à l’aide de programmes informatiques, et en comparant les jugements subjectifs de professionnels de la musique et de profanes, elle a pu évaluer la perception de la justesse chez les deux groupes de juges. Ces recherches nuancent grandement l’idée communément admise selon laquelle les professionnels de la musique auraient de meilleures capacités à déterminer la justesse de la voix.

singing voiceQue ce soit en écoutant la radio, en regardant l’une des nombreuses émissions de télé réalité cherchant à débusquer la prochaine célébrité de l’été, ou même en entendant un proche s’époumoner sous la douche, nous sommes quotidiennement amenés à juger l’habileté de nos semblables à chanter juste. Que ce soit consciemment ou non, de manière objective ou non, appuyés de connaissances approfondies ou non, nous avons tous nos critères et nos armes pour graduer des échelles de jugement allant du statut de casserole à celui de chanteur professionel. Distinguer grossièrement les deux extrêmes semble être une tâche enfantine pour le commun des mortels. La question devient plus épineuse quand elle est réquisitionnée pour des recherches d’ordre scientifique. Parce que, dans le fond, que signifie « chanter juste » ? Et que signifie « percevoir la justesse d’un chant » ? La réponse peut être plurielle. Des phénomènes différents s’entrecroisent. Il y a des questions d’ordre physique, d’ordre acoustique, des questions liées à nos héritages culturels, des critères très objectifs et d’autres liés à des appréciations individuelles, etc. Difficile, donc, de savoir à quoi renvoie le jugement de la justesse du chant.

C’est à ces questions complexes que s’intéresse Pauline Larrouy-Maestri, chercheuse au département des neurosciences du Max Planck Institute en Allemagne, et au département de psychologie de l’Université de Liège. Elle a publié dans PLOS ONE un article (1) consacré à la comparaison des jugements de profanes et de professionnels de la musique. Une étude sur base de critères quantitatifs rigoureux, dont les conclusions en étonnent plus d’un. Car à bien des égards, les personnes « non musiciennes » n’ont pas à rougir de leurs facultés à discerner le faux du juste. Une étude surprenante, qui s’inscrit à la suite de plusieurs années de recherches.

Une identification de critères objectifs

Entre des études de musique au conservatoire royal de Mons et un master en logopédie obtenu à l’ULB, la voie était presque tracée pour Pauline Larrouy-Maestri. Attirée par la recherche scientifique, elle rencontre Dominique Morsomme, chef de service à l’unité de logopédie de la voix à l’ULg, et amorce une thèse de doctorat sur la perception de la justesse. « Je me demandais ce qui faisait que nous estimions d’un chant qu’il était faux ou juste. Il y a un tas d’émissions de télévision qui nous exposent à ce type d’évaluation mais personne ne sait réellement identifier les phénomènes qui rendent un chant juste ou faux. »

Pour la jeune chercheuse, il fallait donc dans un premier temps se concentrer sur une mesure objective et quantifiée de la justesse. Elle s’est pour cela penchée sur des programmes informatiques consacrés à l’acoustique et à la musique, optimisés pour satisfaire ses propres recherches. La voix, comme tous les sons, est un signal acoustique mesurable. Dans le cas de voix non entraînées, il s’agit essentiellement d’extraire la fréquence fondamentale de chaque note chantée et de mesurer la relation entre ces différentes fréquences pour vérifier si un chant était juste ou faux. « Ces outils m’ont permis de quantifier trois critères musicaux : les erreurs de contour mélodique, donc quand la fréquence de la note varie dans une direction inattendue, les erreurs d’intervalles, d’écarts trop grands ou trop petits entre deux notes, et enfin les changements de tonalité au cours du morceau. Ces changements arrivent quand une erreur d’intervalle n’a pas été compensée par la suite. Le chanteur ne l’a pas corrigée et poursuit donc dans une autre tonalité. »  

L’ordinateur contre les experts

Une fois le programme informatique développé, il fallait, pour l’alimenter, créer une base de données. La logopède, aidée d’étudiants, s’est rendue dans la rue, et a enregistré 166 volontaires, qui acceptaient de chanter « Joyeux anniversaire ». Un morceau facile et connu de tous. Dans cet échantillon se trouvaient des hommes, des femmes, des jeunes, des personnes âgés, des gens timides, d’autres qui aiment chanter… « La seule condition, souligne la chercheuse, était qu’ils n’aient pas une voix entraînée. Je voulais que l’échantillon soit exclusivement composé de gens qui n’ont pas formellement appris à chanter. »

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