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Du FDF à DéFI

13/11/2015

A l’heure où le FDF est devenu DéFI (Démocrates Fédéralistes et Indépendants), a-t-il réussi à dépasser son image de parti communautaire, focalisé sur les thèmes linguistiques, pour se positionner en mouvement « urbain et culturel » ?  L’analyse et rappel des faits par Catherine Lanneau, chargée de cours en histoire à l’Université de Liège (1).
 
FDF CRISP ILe FDF surgit sur la scène politique belge dans le contexte de résistance aux lois du 8 novembre 1962 et du 2 août 1963 qui, entre autres, fixent la frontière linguistique. Certains francophones considèrent alors que ces lois enferment Bruxelles dans un « carcan ». Initialement intitulé « Front démocratique des Bruxellois de langue française », il se présente sous le nom « Front démocratique des francophones » aux élections de 1965 avec une identité claire, celle d’un mouvement défensif et bruxellois.

Le parti évolue ensuite vers une logique d'acceptation du fédéralisme lors de la première grande réforme de l'Etat, en 1970, qui consacre les trois communautés culturelles. Il mène un combat pour la création d'une Région bruxelloise forte tout en promouvant la solidarité entre Wallons et Bruxellois francophones à travers la Communauté (culturelle) française (2). Dès 1968, il s’est rapproché d'un parti régionaliste, le Rassemblement Wallon, avec lequel il forme un groupe parlementaire et présente des listes communes lors de certaines élections.

Le plus actif à la Communauté française

Dans son analyse de l’action du FDF au sein de la Communauté française, Catherine Lanneau relève qu’entre 1971 et 1990, il est le parti le plus actif dans le dépôt de propositions de décrets à ce niveau de pouvoir. Le parti amarante est particulièrement attaché à l’autonomie culturelle obtenue par les communautés. « Le FDF fait montre de projets et d’ambition en la matière, à la fois par conviction (la « francité »), par pragmatisme (l’envie de transcender une logique territoriale au bénéfice des habitants francophones de la périphérie bruxelloise) et, surtout dans les années 1980, par esprit de survie, entre défaites électorales successives et « mise au frigo » de la région bruxelloise », écrit l’historienne de l’ULg. L’implication du FDF dans la création du CGRI (Commissariat Général aux Relation Internationales), devenu WBI (Wallonie-Bruxelles International), est l’exemple de la volonté de défendre l’idée d’une « patrie francophone ». Elle permet à Communauté Française de nouer des relations internationales avec d’autres régions francophones du même type, comme le Québec.

« Le FDF est le parti qui a le plus cru en ce niveau de pouvoir représenté par la Communauté française, souligne Catherine Lanneau. Il lui permettait notamment de faire passer certains messages, d’être visible avant la création de la Région Bruxelloise. Le FDF a aussi poussé l’adoption par la Communauté française de certains décrets pour tester les limites des questions linguistiques et de la possibilité de défendre le français en Flandre. Une partie de ces décrets seront cassés suite au déclenchement de la procédure de la sonnette d'alarme par le Parlement flamand ». C'est le cas lorsque la Communauté française touche à l’enseignement en français en Flandre, comme lors du « décret relatif aux institutions françaises d'enseignement dispensant un enseignement en dehors des limites territoriales de la Communauté française ».

Gommer son image de parti « communautaire »

La création de la Région bruxelloise, en 1989, coïncide avec une nouvelle phase dans l'histoire du FDF. Cette région ne correspond pas à ce que le FDF aurait souhaité : trop petite, représentation trop importante à ses yeux de la minorité néerlandophone, ordonnances de valeur inférieure à celle des décrets, etc. Au lieu d’entrer dans une logique d’opposition stérile, le FDF s'investit dans la nouvelle Région en entrant dans la majorité gouvernementale bruxelloise. Catherine Lanneau : « Durant ses quinze premières années de participation à la majorité bruxelloise (1989-2004), le FDF a tenté de gommer son image de parti « communautaire » pour devenir un parti « généraliste » qui se définit comme « réformateur social » et se veut en phase avec les problèmes urbains rencontrés dans une capitale : la mobilité, l’environnement, le logement, la mixité sociale… Lors de sa création, le parti avait de la peine à s'accorder sur un programme général, ses membres ne trouvaient pas de consensus sur grand-chose à part la défense des francophones. Le départ des ailes les plus divergentes au cours des années 1980 a permis de créer un accord plus facile entre ceux qui restaient, malgré certaines tensions, surtout perceptibles entre « régionalistes » et partisans d’une Communauté française forte ».  

Dans ce Courrier hebdomadaire du CRISP, Catherine Lanneau passe aussi en revue l'action du seul élu francophone au Parlement flamand, Christian Van Eycken (FDF), député depuis 1995 sous l'étiquette Union des francophones (UF). Si son cheval de bataille est la défense des francophones vivant en Flandre, il relaie dans les débats la politique générale du FDF dans des domaines plus sociétaux, comme l'environnement ou la mobilité. Il plaide régulièrement pour la ratification de la convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la protection des minorités nationales.

Quel avenir pour le seul élu francophone de Flandre ?

« Isolé, l’élu UF ne peut constituer un groupe parlementaire, note Catherine Lanneau. Il est davantage un témoin qui essaie de porter la voix des francophones de Flandre. Il est parfois sollicité par certains élus bruxellois, pour qui il constitue un relais intéressant dans des questions comme celle de la mobilité. Sa présence permet aussi d'entendre tout ce qui se dit dans l'hémicycle flamand, d'avoir accès à tous les documents. A terme, l'enjeu pour cet élu et l'UF est de savoir si les francophones de Flandre vont continuer encore longtemps à se considérer avant tout comme tels, à voter pour une liste d’intérêt presque corporatif, ou s'ils se tourneront vers des listes flamandes. L’UF ne progresse pas dans les scrutins. Les nouvelles générations de francophones de Flandre réagissent différemment... et une série de francophones de la périphérie sont partis parce qu’ils ne se sentaient plus les bienvenus dans ces communes ».
 
Catherine Lanneau souligne que le FDF semble avoir mieux (ou moins mal) tiré son épingle du jeu  que les autres partis régionaux ou communautaires des années 1960, qui ont souvent mal résisté à la transformation de la structure institutionnelle de la Belgique. Cette meilleure adaptation s’explique parce que le FDF a su négocier certains virages idéologiques, faire évoluer son programme en fonction des nouvelles réalités belges et européennes et nouer des alliances indispensables sur le plan électoral. « La formation de la fédération PRL-FDF en 1993, puis la période passée au sein du MR (2002-2011), a donné au FDF une visibilité médiatique et un poids sur la scène politique qu’il n’aurait peut-être pas eus s’il était resté seul, tout en le sauvant sur le plan financier », note l’historienne.   

La rupture des Fédéralistes démocrates francophones (nouveau nom des FDF depuis 2010) avec les libéraux est consécutive à l’acceptation par le MR de l’accord institutionnel menant à une sixième réforme de l’Etat, qui comprend notamment la scission de la circonscription électorale Bruxelles-Hal-Vilvorde. Catherine Lanneau remarque que depuis cette réforme, les FDF semblent moins placer l’accent sur la périphérie bruxelloise, actant la scission de la circonscription BHV. FDF DeFI« Ils ont refusé cette réforme mais on sent que, confrontés à la réalité des faits, leur discours évolue. Ce changement d’attitude est aussi dû à leur volonté d’être proactifs dans la manière de s’adresser aux populations issues de l’immigration, en intégrant des élus issus de la diversité. Pour ces nouveaux candidats sur les listes FDF, certains thèmes historiques du parti comme la défense des francophones de Flandre ne sont pas une priorité. L’évolution est peut-être due également à leur volonté de se développer en Wallonie, où ils n’ont jamais obtenu de résultats très importants. Ils ont réalisé des sondages qualitatifs qui ont montré que les discours liés à la défense des francophones de la périphérie et des Bruxellois ne trouvent pas d’écho chez les Wallons. C’est sans doute aussi pour cela que le mot « francophone » a disparu du nouveau nom du parti ».

 

(1)    « L’action du FDF dans les Régions et Communautés (1971-2014) – I. Parlement de la Communauté française et Parlement flamand »; Courrier hebdomadaire n° 2258-2259, par C. Lanneau, 60 p., 2015.
« L’action du FDF dans les Régions et Communautés (1971-2014) – II. Institutions bruxelloises » ; Courrier hebdomadaire n°260-2261, par C. Lanneau, 61 p., 2015
(2)    L’ancêtre de la Fédération Wallonie-Bruxelles


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