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Des gouttes sur des réseaux

05/11/2015

Ses gouttes font la une de la revue Soft Matter publiée ce 28 septembre 2015(1). Qu’ont-elles de si particulier ? Elles sont les premières de ce type à avoir été créées par une méthode aussi simple et modulable. Pharmaciens et chimistes voient déjà grand pour ces gouttelettes microscopiques.

Soft Matter GouttesAspirante FNRS au sein du GRASP dirigé par Nicolas VandewalleFloriane Weyer a entamé voici deux ans un doctorat portant sur les gouttes à plusieurs composantes et, de manière plus générale, sur la microfluidique sur réseau de fibres. Rappelons que la microfluidique est la manipulation de très petits volumes de fluides, en l’occurrence ici des gouttelettes de l’ordre du micro jusqu’au picolitre (10-12 litre). Et une goutte à plusieurs composantes désigne simplement une goutte dans laquelle sont enfermées plusieurs de ces gouttelettes sans qu’elles se mélangent.

Il existe deux types de microfluidiques, dont celle en canaux est la plus courante. Il s’agit dans ce cas de créer des petits canaux de l’ordre de la centaine ou dizaine de micromètres dans lesquels on fait circuler les fluides. On parle alors d’une microfluidique fermée puisque le liquide n’a pas de contact avec l’air. L’inconvénient est de devoir utiliser pompes, seringues et autres dispositifs assez volumineux et contraignants pour pourvoir introduire les fluides dans les canaux. « Notre but, explique Floriane Weyer, était de trouver un dispositif plus simple : la microfluidique sur fibres. Les fibres permettent de guider les gouttelettes qui se divisent ou se recombinent aux intersections, etc. Comme les gouttes de rosée sur un fil d’araignée ! C’est un système ouvert puisqu’en contact avec l’air. Il est donc plus simple à manipuler que les systèmes de canaux ».

Un système qui a cependant deux faiblesses. Les gouttelettes sont en général de l’eau ; elle s’évaporent donc très vite au contact de l’air vu leur faible volume et on ne peut donc les manipuler longtemps. En outre, toujours au contact de l’air ambiant, elles peuvent être contaminées par des poussières. Pour éviter ces écueils, la chercheuse a recouvert les gouttelettes d’eau d’une coque d’huile (huile et eau ne sont pas miscibles).

Encore fallait-il trouver une méthode de production efficace, simple, reproductible à tout coup. C’est ce que la chercheuse liégeoise a réussi et fait l’objet de la publication dans Soft Matter.

Réseau de fils de pêche

Il faut d’abord créer les différentes gouttelettes d’eau. Pour cela, elle a utilisé un réseau de fibres, en fait des fils de pêche en nylon. Déposer une goutte sur une fibre n’est, en principe, pas très compliqué, il suffit d’une seringue. Mais cela n’est pas possible pour les volumes très petits qu’on veut atteindre en microfliuidique. « Il faut alors se tourner vers des réseaux de fibres, explique Floriane Weyer. Lorsqu’une goutte arrive sur un croisement de deux fils, si elle a un volume suffisamment important, elle passe à travers le noeud, elle n’est pas retenue par lui et continue son chemin. Mais ce faisant, elle dépose un petit résidu autour du noeud, vraiment beaucoup plus petit que la goutte initiale. On a étudié la formation de ces gouttelettes d’eau au niveau des nœuds, leur géométrie, leur volume, etc. »

Le dispositif expérimenté par la chercheuse, celui qui fonctionne à tout coup est le suivant. Le réseau est constitué d’une fibre horizontale et plusieurs verticales de diamètres différents. Une goutte d’eau est lancée sur chaque fibre verticale, créant ainsi  plusieurs résidus et donc plusieurs gouttelettes d’eau qui peuvent être de nature différente puisque on a des fibres différentes. On peut donc passer d’une composante à l’autre sans contamination, sans mélange. Le dispositif doit ensuite être retourné de 90° puis on lâche une goutte d’huile sur la grosse fibre horizontale devenue verticale (voir animation). Celle-ci va ramasser, collecter chaque résidu et les englober.

Le but de l’étude était d’arriver à créer de telles gouttes simplement et de manière très modulable : si on veut davantage de composantes internes par exemple, il suffit de rajouter autant de fibres qu’on veut de composantes supplémentaires. Cela a l’air simple, mais en fait, il a fallu procéder à de nombreuses expériences par essais et erreurs pour arriver à déterminer le dispositif optimal. Si on n’utilise pas des fibres de diamètres différents, si on ne tourne pas le dispositif pour inverser la symétrie, alors on n’arrive pas à encapsuler. La goutte d’huile passe au-delà du nœud sans rien emporter du volume d’eau piégé. C’est l’astuce qu’il a fallu trouver.

Mouvement gouttes reseaux

Applications

Le point le plus intéressant est le fait qu’on a plusieurs gouttelettes différentes à l’intérieur d’une même goutte. « C’est ce qui est recherché par l’industrie pharmaceutique, explique Floriane Weyer. Dans une gélule, il y a souvent plusieurs principes actifs et pour l’instant, les producteurs de médicaments sont obligés de les mêler. Ils sont intéressés par le fait de les mettre dans des compartiments distincts pour qu’ils puissent agir l’un après l’autre par exemple. C’est le cas avec notre système : si, à la place de l’huile vous utilisez un composant qui se polymérise (durcit), la capsule est solide et les gouttelettes sont séparées les unes des autres. Et elles vont le rester alors que dans le cas de l’huile, elles finissent par fusionner à cause de la gravité. » Une propriété qui a attiré l’attention de l’industrie chimique, intéressée à placer des réactifs différents dans les gouttelettes ; lorsqu’elles fusionnent, la réaction chimique peut alors se produire. Ces gouttes sont donc de véritables micro-réacteurs.

La production de telles gouttes offre aussi des perspectives en matière de recherche, en biologie par exemple. Elles sont ainsi étudiées, toujours au sein du GRASP, pour étudier le passage à travers les membranes cellulaires. Les cellules sont représentées par les gouttelettes d’eau tandis que la membrane est le film d’huile qui les sépare. On peut ainsi étudier le transport membranaire en étudiant le passage d’un composant d’une gouttelette à l’autre au travers du film d’huile. Nul doute qu’on reparlera de ces gouttelettes.

(1) F.Weyer, M.Lismont, L.Dreesen and N.Vandewalle, Compound droplet manipulations on fiber arrays, Soft Matter, 2015, 11, 7086.


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