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La Belgique, la France et l’Allemagne

26/10/2015

S’il est une figure française qui a marqué notre imaginaire, c’est sans doute celle du général de Gaulle. En Belgique, en Wallonie en particulier, la stature du général s’est imposée dans les esprits de ceux qui connurent la Seconde Guerre mondiale puis les nostalgiques « sixties ». Mais au-delà du mythe, quel était le rapport particulier que nous entretenions avec le personnage et la France d’alors ? Le gaullisme et le militantisme wallon étaient-ils proches ? Et comment cette France nous considérait-elle ?
Francophilie, oui, mais jusqu’où ? Un second ouvrage montre bien que la Wallonie a cependant longtemps hésité entre ses deux puissants voisins. Jusqu’en août 1914, l’aigle impérial allemand offrait en effet à l’admiration des Wallons ses réalisations économiques, sociales et techniques. De quoi compenser l’engouement populaire pour les principes de la Révolution française.

COVER Wallonie Coq et aigleLa Wallonie, prise de passion pour l’Allemagne ? C’est peut être difficilement concevable aujourd’hui, mais c’est une réalité historique qui ne peut être niée. Encore que…. Comme le fait remarquer le professeur Francis Balace, qui enseigna longtemps l’histoire de l’Allemagne au sein de l’Université de Liège, la fascination pour la culture allemande est très inégalement répartie en Wallonie et elle a sans doute toujours eu un plus grand écho dans les terres de l’ancienne principauté de Liège qu’ailleurs en Belgique et en Wallonie. Ensuite, comme il le rappelle dans un très intéressant petit ouvrage (1), « les fréquentes, et souvent étonnantes, manifestations de germanophilie intellectuelle (…) ne doivent pas occulter une vérité aveuglante. Ce courant, volontairement oublié, occulté ou même nié après 1914, a été certes présent mais s’est avéré rigoureusement incapable de contrebalancer la véritable inondation de livres, brochures et surtout publications illustrées d’Outre-Quiévrain ». Autrement dit, pour tous ceux, et ils sont nombreux en Wallonie, qui n’ont pas eu l’occasion de connaître l’Allemagne impériale par eux-mêmes, la communauté de langue et la forte présence de ressortissants français sur le sol wallon font que l’image qu’ils se forgent de l’Allemagne est celle véhiculée par la France depuis la défaite de 1871. Cela dit, comme le souligne Francis Balace, l’université de Liège constitue une véritable tête de pont de la culture allemande en Wallonie. Au cours de ses premières décennies d’existence, nombre de ses professeurs sont en effet allemands. Ils vont réformer l’enseignement, y introduire une rigueur scientifique qui faisait parfois défaut et fournir à la Wallonie nombre de personnalités scientifiques de premier plan.

L’industrie n’est pas en reste de « germanisation » même si les filières sont ici plus difficiles à reconstituer. Mais il est certain que capitaux, ingénieurs et techniciens voyagent de part et d’autre de la frontière, surtout en région liégeoise. Des liens qui vont éclater au grand jour à l’occasion de l’Exposition Internationale de Liège (encore !) de 1905. La présence allemande est imposante et comme le dit Francis Balace, « Dans le Livre d’Or de l’exposition, Alfred Tilmant entonnait, à quelques années de la Grande Guerre, un hymne dithyrambique à la gloire de l’Allemagne impériale ».

La culture n’est pas épargnée, loin s’en faut. Les familles de la bonne bourgeoisie engagent des Fraulein pour que leurs rejetons pratiquent la langue de Goethe, des Deutscher Club s’ouvrent, accueillant tout qui pratique l’allemand pour des conférences et autres activités.

Donc, les Wallons, et les Liégeois en particulier, connaissent bien l’Allemagne impériale et sont imprégnés de son art de vivre ? Pas vraiment : ils s’y rendent peu et s’ils y vont, ils se limitent souvent à la Rhénanie…. Dont les habitants passent alors pour de « bons » Allemands au contraire des Prussiens jugés arrogants. D’un côté, on craint une Allemagne conquérante, de l’autre on aime le mythe d’une Allemagne éternelle, romantique. Août 14 va se charger de faire disparaître cette seconde branche de l’alternative.

Et du côté de la France ?

L’autre facette de l’ouvrage, consacrée aux relations entre la Wallonie et la France, est due à la plume de Catherine Lanneau, chargée de cours à l’Université de Liège. A priori, on est tenté d’écrire que, de ce côté, c’est le fol amour : quoi de plus francophile qu’un Wallon, un Liégeois en particulier ? Ce serait aller vite en besogne. Longtemps a existé, parmi les intellectuels wallons, le désir de s’affirmer, se définir comme Belge face à une France perçue comme une menace pour l’indépendance du pays. Et même ceux qui, comme Maurice Wilmotte, tentent de définir l’âme wallonne, insistent sur le fait que la culture française n’est pas intrinsèquement celle de la Wallonie. Rares sont ceux qui considèrent l’âme wallonne comme intégralement française. Dans l’entre-deux-guerres, l’heure est plutôt à dire que la France ne doit pas être l’unique référent. L’issue du second conflit mondial va encore renforcer cette tendance : la France a perdu de sa superbe et nos libérateurs américains (pour la Wallonie) ont introduit un autre horizon. La régionalisation du pays, quant à elle, amènera une autre évolution : les rapports noués entre la Communauté française (ou la Wallonie) et la France vont désormais être plutôt de type contractuel que passionnel… pour autant que la France accepte de jouer le jeu régional, ce qui lui répugne pendant longtemps.

COVER De Gaulle et BelgiqueCette France de l’après-guerre est marquée par un homme, Charles de Gaulle. S’intéresser aux rapports entretenus entre lui et la Belgique est en quelque sorte résumer les rapports entre les deux pays. C’est l’objet du second ouvrage (2) co-dirigé par Catherine Lanneau. Au passage, quelques mythes sont écornés comme celui qui voudrait que la Belgique ait été une base arrière de l’OAS (Organisation de l’Armée secrète, mouvement nationaliste français luttant contre l’indépendance de l’Algérie) pendant la guerre d’Algérie. Ou celui du soutien à la cause wallonne et rattachiste : de Gaulle ne s’y est guère personnellement impliqué (aucun « Vive la Wallonie libre » ne fut lancé depuis le balcon de l’hôtel de ville de Liège !). Ce sont plutôt des « strates inférieures, paragaullistes » qui ont été mobilisées en ce sens. Et si parfois la Wallonie surestime l’investissement français à son égard, un chapitre de l’ouvrage montre que le contraire est également vrai : la France de de Gaulle surestime constamment le soutien belge à son égard, notamment dans le jeu européen. Et si, finalement, le Belge le plus gaullien avait été… le Roi Baudouin. Même s’ils ne se sont guère fréquentés, les deux hommes apparaissent en effet en phase sur bien des dossiers. Bien davantage que ne le fut la classe politique belge !

(1) La Wallonie entre le coq et l’aigle, Catherine Lanneau & Francis Balace, Province de Liège/Musée de la Vie wallonne, 46 pp. Nbs. illustrations.

(2) De Gaulle et la Belgique, sous la direction de Catherine Lanneau & Francis Depagie, Avant-propos, 192 pp.


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