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L’insoupçonné herpèsvirus de la tortue
23/10/2015

En se penchant sur une thématique de recherche peu prisée dans le monde scientifique, Frédéric Gandar, doctorant à l’Université de Liège, et son promoteur de thèse Alain Vanderplasschen, ont eu une bonne intuition. L’étude de l’herpèsvirus testudinin 3 (Testudinid herpesvirus 3 en anglais, TeHV-3), un herpèsvirus causant des mortalités importantes chez plusieurs espèces de tortues terrestres protégées (dont la tortue d’Hermann) leurs ont permis de nombreuses découvertes, ainsi que la « une » de la revue Journal of Virology(1). Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, les quelques 250 génomes d’herpèsvirus étudiés – on en retrouve tant chez les huitres que chez les hommes  – se répartissaient tous autour de six structures génomiques distinctes. Tous, sauf… l’herpèsvirus testudinin 3. Frédéric Gandar et Alain Vanderplasschen n’osaient y croire, mais ils venaient en fait de découvrir une nouvelle structure de génome d’herpèsvirus. La septième. Les livres de référence en virologie vont devoir être adaptés ! Sans compter d’autres découvertes en matière d’immuno-évasion ou de phylogénie des espèces. Les chercheurs, eux, sont désormais en route vers l’élaboration d’un vaccin, qui pourrait permettre de contrer cette maladie qui décime ces tortues en voie de disparition.

COVER herpes virus tortuesLe top du top en virologie est le renommé Journal of Virology. Le jeune doctorant n’y est pas seulement publié, il fait la couverture de l’édition de novembre 2015. « Publier dans ce journal avec un herpèvirus de tortue, ce n’était pourtant pas gagné !, s’amuse son promoteur de thèse, Alain Vanderplasschen. C’était même un handicap. Cela rend la prouesse encore plus belle ». Ce chercheur en immunologie et vaccinologie de la Faculté de Médecine Vétérinaire de l’Université de Liège l’admet sans détour : aucun industriel n’aurait misé un euro sur ces recherches. C’est comme ça : les tortues meurent sans que cela ne tracasse grand monde. Pour les firmes pharmaceutiques, cette thématique représente un retour insuffisant sur investissement, et donc elles passent leur chemin.

Heureusement pour Frédéric Gandar, Alain Vanderplasschen n’est pas un industriel. Même s’il n’y a aucun espoir de retombées économiques pour son département, il a investi dans le projet, en collaboration avec les professeur Didier Marlier, responsable de la clinique des nouveaux animaux de compagnie et Marianne Diez, responsable du service de Nutrition. Au bout de cinq ans de travail, le placement s’est avéré judicieux : les chercheurs espèrent parvenir à mettre au point un vaccin capable d’immuniser les tortues contre ce fléau qui les tue.

Ce fléau, c’est donc l’herpèsvirus TeHV-3. Mettez-le en présence d’une cohorte de jeunes tortues et le résultat sera fatal pour 80 à 100% d’entre elles. Au départ, rien ne trahira leur infection. Au bout d’une période d’incubation d’une vingtaine de jours, les premiers symptômes apparaîtront. Ecoulement nasal, abattement, parfois des plaques blanchâtres dans la bouche. Des surinfections secondaires se manifestent. Puis le système nerveux central est touché, les empêchant de manger, de se déplacer. L’infection finit par affecter tous les organes, de la rate aux reins en passant par le cerveau. La mort devient inéluctable après une dizaine de jours. Celles qui parviennent à survivre deviennent des « porteuses asymptomatiques ». Sans crier gare, le virus les habitera toutes leur vie et se propagera aux tortues rencontrées.

Quand collection rime avec propagation

Les premières descriptions de cette maladie dans la littérature scientifique remontent aux années 1980. Sa propagation s’est sans doute accélérée en même temps que les collections de ces reptiles terrestres vivant essentiellement dans le bassin méditerranéen. Les amateurs n’hésitent pas à débourser 200 à 250 euros pour une espèce classique, voire près de 1.500 euros pour certains spécimens. Voilà pour les tarifs pratiqués dans les filières officielles. Or il existe également un marché parallèle. D’insouciants touristes en achètent au coin d’une rue en vacances, lorsqu’ils n’en ramassent pas au bord de la route pour les ramener dans leur valise. Ignorant qu’elles sont infectées. Résultat, le virus voyage. Beaucoup plus vite que s’il s’était propagé naturellement. « Les gens l’ignorent souvent, mais pas mal d’espèces souffrent d’être devenues des animaux de collection, pointe Alain Vanderplasschen. Certaines maladies deviennent mondiales alors que si elles avaient évolué au rythme de la nature, cela aurait été bien plus lent et l’espèce aurait peut-être eu le temps de s’y adapter. Sans oublier que des espèces très différentes se rencontrent artificiellement. Tous ces mélanges dans les terrariums… Comme si on réunissait un caribou et un crocodile ! Il n’est pas impossible que ce qui se passe pour les tortues Testudo soit l’expression de la non-adaptation d’un virus à un nouvel hôte et donc les conséquences d’un transfert récent d’un virus d’une espèce animale à une autre ».

(1) Gandar F., Wilkie G., Gatherer D., Kerr K., Marlier D., Diez M., Marschang R., Mast J., Dewals B., Davison A., Vanderplasschen A., The genome of a tortoise herpesvirus (Testudinid Herpesvirus 3) has a novel structure and contains a large region that is not required for replication in vitro or virulence in vivo. Journal of Virology, 89, 22, october 2015.

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