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L’insoupçonné herpèsvirus de la tortue
23/10/2015

Génomes bâtards

Passionné par les nouveaux animaux de compagnie, Frédéric Gandar entendait aller à contre-courant du désintérêt scientifique à l’égard de cette problématique. En commençant à séquencer le génome du TeHV-3, il ne savait pas ce qu’il allait trouver. Et, de fait, au début il ne trouva… rien. La souche à laquelle il s’était attaqué – celle que tous les scientifiques utilisent – semblait n’avoir ni queue, ni tête. Il lui faudra deux ans pour comprendre qu’en réalité il ne s’agissait pas d’une souche, mais d’un mélange de trois souches au génome incomplet.

Une autre complication vint s’y ajouter. « Lorsqu’on séquence un génome, on doit organiser les séquences obtenues. Évidemment, on a toujours le réflexe de raccrocher ce que l’on découvre à ce qui est connu. Ici, on n’arrivait pas à raccrocher l’ensemble des "blocs" qu’on trouvait à des modèles établis. Rien ne collait, il y avait toujours une boîte qui n’était pas à sa place », se souvient le jeune chercheur. Les 250 génomes d’herpèsvirus étudiés à ce jour – on y retrouve des virus qui infectent de l’huitre à l’homme  – se répartissent tous autour de six structures génomiques distinctes. Tous, sauf… l’herpèsvirus testudinin 3 (TeHV-3). Frédéric Gandar et Alain Vanderplasschen n’osaient pas y croire, mais ils venaient en fait de découvrir une nouvelle structure de génome. La septième. « Les ouvrages de références en virologie vont devoir être mis à jour ! Qui aurait pu croire qu’un virus de tortue allait révéler çela ? »

Le TeHV-3 n’avait toutefois pas encore livré tous ses secrets. Lorsque les chercheurs ont compris qu’ils avaient affaire à un mélange de trois souches, ils ont tenté de les séparer les unes des autres, afin de savoir si elles restaient malgré tout capables d’induire la maladie isolément. Cela semblait peu probable, puisque ces souches étaient « délétées », il leur manquait des régions importantes du génome allant de 12000 à 22000 paires de bases. « C’est comme si on prenait une voiture de 100 kilos et qu’on lui enlevait 10 ou 20 kilos de matière », compare Alain Vanderplasschen. Peu de chances qu’elle roule encore.

« Surréel au niveau viral ! »

Et pourtant, les souches ont continué à se multiplier. Comme si de rien n’était. Non seulement deux d’entre elles semblent toujours capable d’infecter, mais aussi de tuer. « C’est surréel au niveau viral ! On enlève de larges morceaux du génome mais cela n’empêche pas le virus de tuer son hôte ». La troisième, toutefois, semble plus mal en point. Dans une boîte de culture, aucun problème ! Elle continue à proliférer. Dans la tortue, par contre, elle ne parvient pas à l’envahir.

Tant mieux. C’est peut-être grâce à elle que Frédéric Gandar parviendra à mettre un vaccin au point. La prochaine étape sera d’inoculer cette forme du virus aux tortues afin de voir si, au contact de l’infection, leur système immunitaire développera ou non une réponse immune qui pourrait in fine les protéger contre les attaques létales.  « Dans l’année qui vient, on saura si on a un vaccin ».

Les découvertes auraient pu s’arrêter là et sans doute auraient-elles déjà suffi à séduire le prestigieux Journal of Virology. L’herpèsvirus testudinin 3 a toutefois permis d’autres trouvailles. D’abord en matière d’ « immuno-évasion ». C’est une caractéristique commune à tous les virus : ils volent des gènes aux animaux qu’ils infectent, à différents moments dans l’évolution. Le TeHV-3 a réussi une belle prise. Il s’est accaparé le gène codant pour une interleukine 10 (IL 10), une molécule qui sert à réduire l’inflammation. Le système immunitaire doit déclencher des mécanismes de lutte contre les agents pathogènes dès qu’il détecte leur présence. L’inflammation est un des mécanismes de lutte contre les agents pathogènes. Mais il est primordial pour l’organisme de stopper ces mécanismes de lutte dès qu’ils ne sont plus nécessaires. Comme un pompier qui doit couper l’eau une fois le feu éteint sous peine de détruire ce que le feu n’a pas détruit. L’interleukine 10 est une molécule qui calme la réponse du système immunitaire. « Le virus a donc volé cet IL 10. Du coup, quand il envahit l’organisme, le système immunitaire veut se déclencher mais cette protéine inhibe l’activation. C’est un phénomène qui était connu mais qui n’avait jamais été décrit dans cette sous-famille de virus », explique Frédéric Gandar. Plus étonnant encore : la structure de l’interleukine 10 volée à la tortue est  très similaire à celle de l’homme. Lorsqu’on les superpose, elles s’épousent presque parfaitement.

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