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Carences en vitamine D : y voir plus clair !

14/10/2015

Souvenez-vous : en 2013, la même équipe d’Axelle Hoge, chargée de recherche à l'Ecole de Santé Publique de l'Université de Liège, se basait sur l’étude NESCaV pour établir que 44.7% de la population de Wallonie manquaient de vitamine D. Un constat qui n’étonne pas les chercheurs, étant donné la faible luminosité qui règne dans notre pays durant de longs mois de l’année et la faible consommation de produits alimentaires riches en vitamine D.

« Une vitamine est une substance que l’on trouve dans les aliments et dont on a besoin dans des processus biologiques. Par exemple, nous avons besoin de vitamine C pour l’hydroxylation du collagène ; sans cela, c’est le scorbut… Pour ce qui est de la vitamine D, c’est un peu plus particulier car, contrairement aux autres vitamines, nous pouvons la synthétiser. Ainsi, la vitamine D3 est soit puisée dans l’alimentation, soit synthétisée à partir du cholestérol, qui est vital puisqu’il est impliqué notamment dans les membranes cellulaires. Le cholestérol elle est transformé par réactions biochimiques dans a peau, le foie l et le rein pour aboutir à la production de vitamine D3 active », explique le Pr Philippe Kolh, chargé de cours en biochimie et physiologie humaines à l’Université de Liège, co-auteur de cette étude. Le précurseur de la vitamine D3 passe donc par la peau où interviennent les rayons ultraviolets de la lumière. « Et puisqu’en hiver, la luminosité est moindre avec des UV moins intenses, la synthèse de vitamine D est très limitée. Il faut au moins une exposition cutanée des membres entiers (le visage et les mains, c’est insuffisant), pendant 30 minutes par jour pour produire suffisamment de vitamine D, en dehors des apports alimentaires. »

summerfield

A quoi sert la vitamine D ?

La vitamine D sert à absorber le calcium au niveau de l’intestin. « Comme elle est liposoluble, elle peut donc entrer dans les cellules, se fixer sur l’ADN de cette cellule et stimuler la synthèse de protéines. En cas de manque de vitamine D, l’absorption intestinale de calcium sera insuffisante, ce qui peut être problématique, surtout chez les personnes dont les besoins sont plus importants, comme les femmes qui allaitent, les enfants ou les personnes souffrant d’une pathologie qui nécessite une régénérescence osseuse… », poursuit le Pr Kolh. Car le calcium est indispensable à l’homéostasie. « Si l’organisme manque de calcium, parce qu’il n’a pas été suffisamment absorbé au niveau de l’intestin du fait d’un manque de vitamine D, alors le corps va aller le chercher où il peut. La calcémie étant principalement régulée par la parathyroïde, celle-ci va libérer la parathormone qui agit notamment sur les os, et puiser dans les réserves de calcium et de phosphate de l’os ; par ailleurs, elle va avoir une action sur le rein pour éviter les fuites du calcium dans les urines – tout en augmentant l’excrétion rénale de phosphate. C’est pourquoi mesurer les taux sanguins de parathormone peut indiquer s’il y a un déficit en vitamine D : car même si le taux de calcium est normal, vu qu’il a été puisé dans l’os, si en parallèle le taux de parathormone est élevé, cela indique que le processus pour contrer une carence en vitamine D est en marche. »

Qui manque de vitamine D ?

Les études épidémiologiques sur la part de la population qui manque de vitamine D manquent encore en Belgique. Mais l’équipe d’Axelle Hoge (premier auteur de l’étude) a mené l’enquête dans notre pays : près d’une personne sur deux est en déficit de vitamine D. « On considère qu’il y a déficit en vitamine D lorsque les concentrations sériques de 25-hydroxyvitamine D (25(OH)D) sont inférieures à 50 nmol/litre ; entre 50 et 75, on considère toutefois que le taux est encore insuffisant. Les chiffres montrent que les déficits sont enregistrés davantage chez les hommes (56% contre 45.1% chez les femmes, lorsqu’ils ne prennent pas de compléments en vitamine D ; 29.1% contre 21.4% respectivement lorsqu’ils prennent des compléments). On voit aussi que ceux qui font des séances de banc solaire sont moins carencés : 38.4% contre 55.7% des personnes qui ne s’exposent pas et sans compléments ; mais tout de même 27% contre 8.4% chez les personnes qui en prennent. Ceux qui s’exposent au soleil sont également un peu moins touchés faisant passer le taux de personnes en déficit de 60 à 49% ; mais ils restent dans une proportion importante, même s’ils prennent des compléments, autour de 20%. Enfin, chose intéressante, on constate que le BMI (Indice de Masse Corporelle) des personnes étudiées intervient : 45.7% des personnes de poids normal ne prenant pas de complément souffrent d’un déficit en vitamine D (elles sont environ 17% avec complément) ; celles en surpoids sont 52.7% (22% avec complément) ; quant aux personnes obèses, elles sont 63.3% (et tout de même 45% malgré la prise de compléments !). » Et pour préciser les chiffres, l’étude montre que l’incidence du déficit en vitamine D est très élevé en hiver : 62.1%, contre 29.6% en été.

Les risques d’une carence en vitamine D

Vitamine DOr, une carence en celle-ci est suspectée d’être impliquée dans différentes maladies, comme les maladies osseuses, mais aussi les maladies cardiovasculaires, la sclérose en plaques ou encore le cancer. Autant de possibilités qui méritent néanmoins encore d’être précisées et confirmées : « Pour certaines pathologies, le lien de cause à effet est clairement démontré : c’est le cas du rachitisme chez l’enfant ou de l’ostéomalacie chez l’adulte », précise le Pr Kolh. De même, la carence en vitamine D est également présente chez les personnes qui développent une sclérose en plaques. Des études montrent qu’il ne s’agit pas d’une simple corrélation, ni même une conséquence de la maladie, mais que la carence en vitamine D est bien un facteur de risque d’apparition de la maladie, d’autant qu’elle est présente bien avant l’apparition des symptômes.

Par contre, d’après différentes revues de la littérature scientifique, l’apport de compléments de vitamine D ou de vitamine D + calcium n’a pas encore fait preuve de son efficacité dans la prévention des cancers, des maladies cardiovasculaires, de la maladie de Parkinson ou encore de diabète. Les auteurs de ces études précisant que la diminution des taux de vitamine D peut cependant être considérée comme un marqueur de la détérioration de la santé, et ce pour un grand nombre de maladies, sans en être la cause.

Plus surprenant, au vu des recommandations classiques entendues : ces suppléments n’apportent pas de bénéfice notable en termes de prévention des fractures (de la hanche, tout particulièrement) ni de traitement de l’ostéoporose chez les personnes âgées, excepté chez les personnes qui vivent en maisons de retraite.

Quel rôle des compléments ?

On pourrait chercher à augmenter les apports alimentaires ou l’exposition à la lumière, les deux sources de vitamine D, mais cela risque d’être difficile chez nous : « Dans l’alimentation, on retrouve la vitamine D essentiellement dans les poissons gras, ou encore dans des aliments enrichis, comme des margarines. Mais en Belgique, la législation ne permet pas d’ajouter de la vitamine D dans un grand nombre d’aliments comme par exemple au Canada ou aux États-Unis. Quant à l’apport par les rayons UV, on comprendra que même si l’on peut parfois bénéficier chez nous d’un été ensoleillé, l’exposition intense aux rayons du soleil ou aux bancs solaires n’est pas à conseiller, vu le risque de mélanome… »

Du coup, l’étude suivante qui vient de paraître (1) a cherché à connaître l’impact d’une supplémentation en vitamine D sur la population, afin d’atteindre les niveaux recommandés. « Cette étude a mis en lumière que 23.1% des personnes étudiées affirmaient prendre des compléments de vitamine ; pourtant 99.8% de ces personnes se situaient au-dessus des valeurs recommandées par l’IOM, à savoir 600 IU/jour. Il n’existe aucune recommandation pour une population générale, mais seulement pour des personnes souffrant d’une pathologie », poursuit le Pr Kolh.

Population à part ?

Mais il semble qu’une partie de la population pourrait ne pas tirer de bénéfice des suppléments de vitamine D : les personnes obèses. L’étude montre une relation inverse entre les concentrations de 25(OH)D dans le sang et l’IMC (indice de masse corporelle) de la personne : plus elle est en surpoids, moins elle a de vitamine D. Et cela, qu’elle prenne ou non des compléments. « Cela pourrait s’expliquer par le fait que la vitamine D est liposoluble, et qu’elle est donc stockée dans le tissu adipeux, la rendant moins disponible pour l’hydroxylation… Cela signifierait alors que les personnes obèses doivent recevoir des doses plus importantes. »

Le message de cette étude est donc que même sous supplémentation, aux doses habituellement proposées par les compléments, nos besoins ne sont pas nécessairement satisfaits. Faut-il dès lors promouvoir la supplémentation dans la population générale ? D’autant que ses bienfaits pourraient être décevants, comme nous l’avons vu : « Par cette étude, nous montrons que l’intérêt scientifique pour la vitamine D est croissant, qu’il faut approfondir son rôle sur le calcium et la minéralisation osseuse, sur la prévention qu’elle pourrait jouer sur une série de pathologies. Si son rôle physiologique sur l’os est bien documenté, on peut se demander encore si la supplémentation en vitamine D et/ou en calcium va avoir un effet sur l’os. Tout dépend de la population qui est visée : les femmes enceintes, ménopausées ou allaitantes, de même que celles qui ont eu un cancer du sein trouvent un intérêt à prendre ces suppléments, à raison de 800 IU/jour. Pour le reste, si la vitamine D ne réduit pas le risque de développer certaines pathologies, elle ne l’augmente pas non plus. Des recherches sont encore à mener dans ce sens, car si elle agit sur l’expression de certains gènes des cellules, on peut concevoir que cela puisse avoir des impacts sur le fonctionnement – normal ou anormal - de cette cellule… », poursuit le Pr Kolh.

(1) Hoge A., Donneau AF, Streel S., Kolh P., Chapelle JP, Albert A., Cavalier E., Guillaume M., Vitamin D deficiency is common among adults in Wallonia (Belgium, 51°30′ North): findings from the Nutrition, Environment and Cardio-Vascular Health study. Nutrition Research 35 (2015) 716 – 725


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