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Pour analyser la qualité des médicaments

12/10/2015

Technique permettant de décortiquer les caractéristiques chimiques et physiques des molécules, la spectroscopie vibrationnelle est précieuse dans le domaine pharmaceutique. Les chercheurs du laboratoire de Chimie Analytique de l’Université de Liège, spécialistes dans ce domaine de recherche, collaborent régulièrement avec des entreprises pharmaceutiques pour contrôler leurs matières premières, produits finis et procédés.

Le terme « spectroscopie vibrationnelle » pourrait facilement faire penser à une méthode de torture d’un autre temps ou encore à une méthode d’exploration des cavités de notre corps s’apparentant à l’endoscopie…Coupons court aux élucubrations : la spectroscopie vibrationnelle est une technique permettant d’obtenir des informations chimiques et physiques grâce à l’analyse des vibrations du milieu étudié, qu’il s’agisse de molécules en solution ou d’un solide. C’est une des grandes thématiques de recherche du laboratoire de Chimie Analytique du Département de Pharmacie de l’Université de Liège dirigé par le Professeur Philippe Hubert et dont les recherches se concentrent sur la qualité des médicaments, de la matière première jusqu’au produit fini. « Au sein du laboratoire de Chimie Analytique se dégagent trois grands axes de recherche : le développement, l’optimisation robuste et la validation de méthodes permettant d’analyser des échantillons pharmaceutiques et biologiques, la chimiométrie qui consiste en l’application d’outils mathématiques et statistiques permettant d’obtenir un maximum d’informations à partir d’un grand nombre de données et enfin la spectroscopie et l’imagerie vibrationnelle », explique le Docteur Eric Ziemons, spécialiste de ce dernier axe de recherche. « La spectroscopie vibrationnelle s’est fortement développée depuis le début des années 2000 et est maintenant très répandue dans le milieu pharmaceutique pour le contrôle des matières premières, des produits finis mais aussi des étapes clés d’un procédé afin d’obtenir des produits répondant aux normes de qualité réglementaires », indique le chercheur.

Spectre infrarouge moyen

Faire vibrer les molécules pour les mettre à nu

Il existe trois grandes techniques de spectroscopie vibrationnelle appelées moyen infrarouge (MIR), proche infrarouge (NIR) et Raman. Dans le cadre de la Technologie de contrôle des procédés ou « PAT », la première est utilisée pour des applications plus spécifiques, et les deux suivantes sont souvent considérées comme complémentaires. « La spectroscopie proche infrarouge est une technique tout à fait mature à l’heure actuelle tandis que celle basée sur la diffusion Raman en plein développement et offre des avantages au niveau de l’interprétation des signaux obtenus. C’est une technique également très prometteuse dans le secteur des biotechnologies », explique Eric Ziemons.  Sans entrer dans le détail de ces différentes techniques, elles sont toutes les trois basées sur le même principe : faire vibrer les molécules d’un échantillon et récolter des informations sur les liaisons chimiques des molécules qui le composent. « Nous obtenons ainsi deux types d’information : des caractéristiques chimiques et également physiques (structure cristalline, taille des particules, dureté d’un comprimé) », reprend le spécialiste. « Ces techniques présentent de grands avantages par rapport aux méthodes classiques telle que la chromatographie liquide. Alors que l’analyse d’un médicament par cette dernière nécessite plusieurs minutes, celle par spectroscopie vibrationnelle ne prend que 5 à 10 secondes, et ce, sans avoir à préparer l’échantillon auparavant. Couplée à de l’imagerie, elle permet de cartographier précisément un ou plusieurs composés de la matrice pharmaceutique », indique Eric Ziemons. Autre avantage non négligeable, notamment dans le cadre du suivi des procédés ou dans la lutte contre la contrefaçon des médicaments : la spectroscopie vibrationnelle est une méthode non destructive. L’échantillon analysé peut donc être récupéré pour être soumis à d’autres analyses.

Analyses pharmaceutiquesAnalyse pharma RAMAN

Des signaux complexes, difficiles à interpréter

Si les côtés positifs de l’utilisation de la spectroscopie vibrationnelle pour l’analyse des médicaments sont indéniables, cette méthode a aussi certains inconvénients. « Le signal qu’elle fournit est très complexe à interpréter. Il donne de nombreuses informations chimiques et physiques pour tous les composants de la matrice analysée. On a donc besoin d’outils chimiométriques très poussés pour exploiter ces informations et extraire celles qui nous intéressent », explique Eric Ziemons. « L’utilisation de la chimiométrie requiert donc une expertise supplémentaire afin d’être capable d’en interpréter les résultats ». Un autre point faible de la spectroscopie proche infrarouge et Raman est qu’elles ne permettent pas de détecter des composés dont la teneur est inférieure à 1%.

Pas parfaite mais suffisamment convaincante, les techniques vibrationnelles ont séduit le monde pharmaceutique et nombreuses sont les firmes à y avoir recours pour contrôler leurs matières premières, produits et procédés. Le laboratoire de Chimie Analytique de l’ULg collabore d’ailleurs régulièrement avec des sociétés pharmaceutiques en quête d’expertise dans ce domaine. Dernièrement, en collaboration avec l’entreprise UCB, Pierre-François Chavez, un doctorant du laboratoire, s’est notamment penché sur l’implémentation de la spectroscopie vibrationnelle pour le contrôle d’un médicament que produit l’entreprise. Son travail visait à améliorer la qualité d’un comprimé à l’aide d’une approche basée sur l’espace de conception ou « Design Space », de la spectroscopie proche infrarouge ainsi que de l’imagerie Raman. Les résultats de cette étude ont récemment été publiés dans International Journal of Pharmaceutics (1).  

Dans le cadre de cette même collaboration entre les chercheurs liégeois et UCB, une seconde étude a été également publiée dans Talanta (2). Ces travaux visaient à suivre la teneur en principe actif, c’est-à-dire la teneur du ou des composés à effet thérapeutique, dans les comprimés au cours de la production de ces derniers. « Les résultats de cette étude démontrent la pertinence et les performances analytiques de la spectroscopie proche infrarouge comme outil « PAT » pour contrôler le contenu en principe actif des comprimés durant l’étape de compression », révèle Eric Ziemons.

Actifs medicaments
Afin de développer davantage les techniques de spectroscopie vibrationnelle au sein du laboratoire de Chimie Analytique, le chercheur vise à améliorer le traitement des données. « Nous sommes capables de suivre des procédés mais pour l’instant nous n’avons pas d’outils statistiques qui permettent de garantir le contrôle de ce dernier », explique le scientifique. « Nous voudrions développer une stratégie de contrôle plus efficace en terme de traitement de l’information, capable de définir des bornes et alertes afin de corriger des déviations observées au niveau d’un procédé ».

Analyse paracetamol infrarouge

 

Les systèmes portables pour des contrôles sur le terrain

Eric Ziemons et son équipe vont également concentrer leurs efforts sur des systèmes de spectroscopie vibrationnelle portables. « Ceux-ci sont en plein développement et intéressent beaucoup les différents acteurs du secteur pharmaceutique dans le cadre de contrôles sur le terrain », indique le spécialiste. « Ils permettent de réaliser des analyses de première ligne et donc d’orienter plus facilement le choix vers d’autres méthodes d’analyse plus pointues ». Plus spécifiquement, le laboratoire de Chimie Analytique souhaiterait améliorer dans un premier temps le traitement des données collectées et par la suite ces systèmes portables en vue d’une utilisation pour lutter plus efficacement contre la contrefaçon des médicaments (lire l’article Le fléau des faux médicaments).

(1) Chavez PF, Lebrun P, Sacré PY, De Bleye C, Netchacovitch L, Cuypers S, Mantanus J, Motte H, Schubert M, Evrard B, Hubert P, Ziemons E. Optimization of a Pharmaceutical Tablet Formulation based on a Design Space Approach and using Vibrational Spectroscopy as PAT Tool. Int J Pharm., 486, 2015, 13-20. doi: 10.1016/j.ijpharm.2015.03.025.
(2) Chavez PF, Sacré PY, De Bleye C, Netchacovitch, Mantanus J, Motte H, Schubert M, Hubert P, Ziemons E, Active Content Determination of Pharmaceutical Tablets using Near Infrared Spectroscopy as Process Analytical Technology Tool, Talanta 144, 2015, 1352-1359. doi :10.1016/j.talanta.2015.08.018


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