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Les architectes du nano
30/09/2015

Vers la spintronique

Un des nouveaux articles qui vient d’être publiés par Philippe Ghosez et son groupe exploite les découvertes réalisées en 2008. Dans celui-ci (4), écrit en collaboration avec Nicholas Bristowe maintenant à l’Imperial College de Londres et Julien Varignon actuellement à l’Unité CNRS-Thalès à Paris, les physiciens liégeois montrent que certains matériaux à base de titane ont des propriétés magnétiques inédites. Ce qui est remarquable car le titane n’est pas habituellement magnétique. Ce que les chercheurs ont montré, c’est que s’il est combiné de manière spécifique avec certains éléments (par exemple du barium et du lanthane au sein d’une structure pérovskite : (Ba,La)TiO3), le composé présente alors une magnétisation spontanée faisant de lui un ferromagnétique s’apparentant à un aimant permanent. Si le ferromagnétisme est assez rare dans la nature, ce qui accroît encore l’intérêt pour cette découverte c’est le mécanisme ici à l’origine de cette propriété. La plupart des matériaux ferromagnétiques sont des métaux. « Dans notre oxyde, explique le professeur Ghosez, les électrons ne sont pas mobiles et le système est donc en fait un isolant électrique. Ce que nous avons découvert, c’est une interaction particulière entre les électrons et la structure atomique de cristal à même de forcer le ferromagnétisme. Outre ses propriétés magnétiques inattendues, ce composé est également un ferroélectrique impropre hybride. Nous avons donc en fait réussi à concevoir –théoriquement- un matériau qui est à la fois ferroélectrique et ferromagnétique. Cela présente un intérêt non seulement dans le domaine de l’électronique mais aussi celui émergent de la spintronique. Par exemple, cela signifie qu’on peut y stocker de l’information à la fois sous forme électrique et magnétique, faisant de lui un matériau très intéressant pour fabriquer des mémoires d’ordinateur plus performantes que les dispositifs usuels. Ces mémoires pourraient également être moins gourmandes en énergie. »

Transformer la chaleur en électricité

Dans un autre article (5) publié cette fois dans Physical Review Letters, Philippe Ghosez, cette fois en collaboration avec Daniel Bilc actuellement à l’INCDTIM à Cluj-Napoca (Roumanie) et  l’équipe du Professeur Gian-Marco Rignanese de l’UCLouvain, ont décelé des propriétés thermoélectriques exceptionnelles dans certains composés Heusler à base de fer. La thermoélectricité est la capacité de certains matériaux à convertir l’énergie thermique en énergie électrique. Une aubaine en ces temps d’incertitude quant à notre approvisionnement en électricité, particulièrement celle d’origine durable. Cet effet est connu depuis presque deux siècles mais ses applications (hormis par exemple dans le secteur spatial) restent rares car cette manière de produire de l’énergie ne pouvait concurrencer ni les hydrocarbures ni le nucléaire par exemple. « Les matériaux aptes à réaliser une telle conversion sont rares et relativement inefficaces, explique Philippe Ghosez. En effet, un « bon » thermoélectrique doit combiner des propriétés apparemment antagonistes. D’une part, il doit être un bon conducteur électrique et un mauvais conducteur thermique alors qu’une bonne conductivité électrique va habituellement de pair avec une bonne conductivité thermique. D’autre part, il doit idéalement être un semi-conducteur qu’on peut venir « doper » avec des charges qui doivent être à la fois aussi nombreuses et mobiles que possible. » Et c’est bien là qu’est le problème. Pour le comprendre, Philippe Ghosez cite l’analogie de l’autoroute : s’il y a peu de voitures, elles peuvent se déplacer rapidement ; mais s’il y en a trop, leur vitesse va diminuer jusqu’à l’engorgement et l’arrêt. Pour remédier à cela, il n’y a qu’une solution : créer des bandes de circulation supplémentaires. « C’est un peu ce que nous avons réussi, explique Philippe Ghosez. Nous avons trouvé une solution inédite pour augmenter le nombre de porteurs de charge tout en conservant leur grande mobilité. Pour cela, nous avons joué sur la composition chimique du matériau de manière à construire un réseau ultra-dense et tri-dimensionnel d’autoroutes pour les électrons en tirant profit du caractère directionnel et anisotrope de certaines orbitales électroniques ». Fe2YZRésultat ? Les performances thermoélectriques des matériaux testés ont été considérablement amplifiées. Les simulations à l’échelle atomique ont été effectuées pour des composés intermétalliques à base de fer, de formule chimique Fe2YZ (comme Fe2TiSi ou Fe2TiSn). Bien sûr, il s’agit ici de simulations et non de fabrication à grande échelle. Mais ces matériaux devraient avoir un avenir. D’abord parce que leur thermoélectricité est bien plus importante que ce qu’on connaissait jusqu’à aujourd’hui ; ensuite parce qu’ils sont composés d’éléments abondants, bon marché et non toxiques. Sans oublier le fait qu’il existe déjà une demande explicite de la part de l’industrie qui cherche des dispositifs thermoélectriques  permettant la récupération de l’énergie thermique dissipée au cours de nombreux processus industriels dans des gammes de température ou aucune autre alternative n’existe à ce jour. Une part de notre futur se cache au sein des équations complexes de la physique quantique.

(4) Ferromagnetism induced by entangled charge and orbital orderings in ferroelectric titanate perovskites , N.C. Bristowe, J. Varignon, D. Fontaine, E. Bousquet and Ph. Ghosez, Nature Communications 6, 6677 (2015).
(5) Low-dimensional transport and large thermoelectric power factors in bulk semiconductors by band engineering of highly directional electronic states. D. I. Bilc, G. Hautier, D. Waroquiers, G.-M. Rignanese and Ph. Ghosez, Physical Review Letters 114, 136601 (2015).

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