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Les architectes du nano
30/09/2015

Propriétés surprenantes

ABO3Quels sont les résultats auxquels aboutissent Philippe Ghosez et son équipe ? Les matériaux sur lesquels ils travaillent principalement sont des oxydes complexes du type ABO3, possédant une structure cubique identique, appelée pérovskite.

L’élément A (souvent un métal alcalin, alkalino-terreux ou une terre rare)  occupe les coins de la structure tandis que B (souvent un métal de transition) est au centre, enfermé dans une cage octaédrique d’oxygène. Identifiée au 19e siècle, cette structure est commune à une de nombreux composés qui présentent une grande variété de propriétés intéressantes en fonction des métaux A et B choisis. Ces composés peuvent avoir un comportement isolant, semi-conducteur, métallique ou même supraconducteur. Ils sont utilisés dans de nombreux dispositifs (mémoires, transistors, senseurs, actuateurs) car ils comptent parmi eux certains des meilleurs composés ferroélectriques (BaTiO3, PbTiO3), piézoélectriques (PbZrxTi1-xTiO3), magnéto-électriques multiferroïques (BiFeO3), pour les applications diélectriques (BaxSr1-xTiO3), avec une magnétorésistance colossale (AMnO3) ou pour l’optique non-linéaire (BaTiO3, LiNbO3 avec une structure trigonale apparentée).

En 2008 (lire l’article Un nouveau nanomatériau),  les équipes de Philippe Ghosez et Jean-Marc Triscone avaient ainsi publié dans Nature (1) un article dans lequel les physiciens décrivaient la mise au point d’un nanomatériau artificiel aux propriétés ferroélectriques particulières. Les scientifiques découvraient alors que lorsqu’on empile différents oxydes en super-réseaux, les propriétés de l’ensemble peuvent être différentes de celles des oxydes pris séparément. En l’occurrence ici, ils avaient mis en évidence un nouveau mécanisme apte à produire une polarisation spontanée, un phénomène qui suscite depuis un intérêt croissant et auquel les chercheurs font maintenant référence sous la dénomination de ferroélectricité impropre hybride. Celle-ci résulte d’un couplage inédit entre différentes distorsions structurales permise par la structure en couches du matériau : les chercheurs ont en effet montré qu’elle résultait des interactions à l’échelle atomique aux interfaces entre les couches. « Cela a ouvert un champ d’investigation tout à fait neuf, se souvient le professeur Ghosez : on allait pouvoir imaginer de nouveaux matériaux sur base d’une ingénierie à l’échelle atomique des propriétés aux interfaces.» Pourquoi un tel enthousiasme ? Faisons une analogie. L’électronique actuelle est basée sur un matériau très simple, le silicium. A partir de ce composé unique, on a pu créé une variété incroyable de dispositifs : diodes, transistors, mémoires ! Comment ? En créant des interfaces entre des zones dopées différemment ou avec d’autres matériaux. La fonctionnalité est créée par l’interface ! Le défi était donc de contrôler ces interfaces de manière aussi fine que possible. « C’est ce que nous aimerions arriver à réaliser avec nos matériaux, les oxydes ABO3, qui sont plus complexes, possèdent naturellement des propriétés bien plus excitantes que le silicium, et peuvent être combinés et s’empiler comme des blocs Légo grâce à leur structure pérovskite identique. Un autre exemple spectaculaire est celui de l’interface entre deux isolants, le SrTiO3 et le LaAlO3 (2), au sein de laquelle on peut induire un gaz bi-dimensionnel d’électrons de manière réversible, ouvrant de nombreuses perspectives dans le domaine de l’électronique (lire l’article The interface between two non-conductive materials can be conductive). Contrôler (3) et agir sur les interfaces dans les nanostructures ABO3 devrait nous permettre de générer une multitude de dispositifs nouveaux avec des propriétés inédites et peut-être un jour de remplacer le silicium … Un rêve parfois appelé oxytronique ! »

(1) Improper ferroelectricity in perovskite oxide artificial superlattices, E. Bousquet, M. Dawber, N. Stucki, C. Lichtensteiger, P. Hermet, S. Gariglio, J.-M. Triscone and Ph. Ghosez, Nature (London) 452, 732 (2008).
(2) Tunable conductivity threshold at polar oxide interfaces. M.L. Reinle-schmitt, C. Cancellieri, D. Li, D. Fontaine, M. medarde, E. Pomjakushina, C.W. Schneider, S. Gariglio, Ph. Ghosez, J.-M. Triscone & P.R. Willmott, Nature Communications 3, 932 (2012).
(3) Atomically precise interfaces from non-stoichiometric deposition. Y.F. Nie, Y. Zhu, C.-H. Lee, L.F. Kourkoutis, J.A. Mundy, J. Junquera, Ph. Ghosez, D.J. Baek, S. Sung, X.X. Xi, K.M. Shen, D.A. Muller & D.G. Schlom, Nature Communications 5, 4530 (2014).

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