Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège


La science politique à toute(s) épreuve(s)

22/09/2015

Qu’est-ce qu’un parti ? Une idéologie ? Une démocratie ? Les étudiants (mais pas seulement) pourront désormais trouver ces réponses dans « Fondements de science politique », un manuel cosigné par six enseignants issus de quatre universités francophones. Dont Jérôme Jamin, chargé de cours à l’Université de Liège, qui revient sur les évolutions récentes de la politique, de l’émergence du populisme à la résurgence des clivages gauche-droite, en passant par la recherche accrue de moyens d’action alternatifs. Autant de signes d’un certain désamour de la part des citoyens.

COVER fondements politiquesUne « boussole pour pénétrer la jungle politique ». Un « décodeur » pour « ne pas subir les événements sans les comprendre ». Dès la quatrième de couverture, l’ouvrage Fondements de science politique (1) donne le ton quant à ses intentions. Car il est vrai que la « chose publique » peut sembler assez obscure aux yeux de celui qui s’y intéresse. Conquête du pouvoir, jeux de stratégie, course à la popularité, alliances et antagonismes, parfum de scandale… On en oublierait presque que la première mission de nos représentants consiste à maîtriser l’art d’organiser le vivre-ensemble.

Si pas un jour ne se passe sans que l’on n’entende parler de politique, le rôle du politologue est de prendre de la hauteur, de s’élever au-dessus de cette mêlée qui ressemble souvent à une foire d’empoigne. Telle est précisément l’ambition de ce manuel, récemment publié aux éditions De Boeck : rappeler les concepts théoriques fondamentaux qui permettront de décrypter les remous de l’actualité.

Encore un énième opus sur la science politique ? Ce livre possède deux particularités. D’abord celle d’avoir été rédigé par six auteurs représentant quatre universités francophones belges. Jérôme Jamin pour l’ULg, Nathalie Schiffino, Vincent Legrand et Pierre Baudewyns pour l’UCL, Thierry Balzacq pour l’UNamur et Olivier Paye pour Saint-Louis Bruxelles. « Notre volonté était de créer un ouvrage unique qui serait utilisé dans différentes universités pour les cours d’introduction à la Science politique, raconte Jérôme Jamin. Un tronc commun que nous avons construit et validé ensemble, et auquel chacun apportera ses spécificités durant les cours en choisissant des exemples, en insistant davantage sur une partie plutôt qu’une autre… » La rédaction des chapitres a été répartie entre les professeurs, puis chaque texte produit a été relu et modifié par deux, voire trois autres signataires, pour parvenir à un consensus. En d’autres termes, aucun chapitre n’est signé d’un auteur, ils sont tous co-écrits, ce qui a nécessité de se mettre d’accord au préalable, d’où l’idée de « fondements » de Science politique, c’est-à-dire les bases sur lesquelles 6 auteurs sont tombés d’accord.

Eviter le franco-centrisme

La deuxième spécificité du livre réside dans sa volonté d’élargir le propos, alors que la science politique dans le monde francophone est habituellement évoquée à travers un prisme hexagonal. « Nous avons voulu sortir d’un approche souvent très franco-française, d’un certain ethnocentrisme, souligne le politologue liégeois. Nous parlons de tous les pays et ne donnons pas une place de choix à la France. Ni à la Belgique, d’ailleurs ».   

Au fil de ses 440 pages, ce manuel – qui s’adresse surtout aux étudiants, mais pas exclusivement – revient sur les grands concepts et théories clés de la discipline. Les différentes approches du pouvoir, l’État selon Max Weber, les clivages, les caractéristiques et évolutions des idéologies, la genèse des régimes démocratiques et autoritaires, les fonctions assumées par les parlements et gouvernements, la caractérisation des partis, la citoyenneté…

Le livre évoque aussi en filigrane les principales évolutions de la science politique. Une discipline dont les fondements théoriques sont bien ancrés, mais dont l’objet d’analyse mue continuellement. « Tous les outils d’analyse restent les mêmes, la littérature ne fait qu’enrichir de grands principes validés depuis parfois fort longtemps, résume Jérôme Jamin. Toutefois, dans les faits, on peut constater des changements très forts au bout de cinq, dix ans. Par exemple concernant la place toujours plus importante des sondages, l’évolution des partis ou encore le rôle des médias en politique ».

Amour/Haine

Ce dernier aspect ne fait pas l’objet d’un chapitre dans l’ouvrage. Si l’idée avait été initialement retenue, elle a dû être abandonnée faute de place. « Ce sera pour la prochaine édition ! » Mais le thème des médias est désormais étroitement lié à la politique. L’un et l’autre sont dans une relation d’interdépendance et d’amour/haine. Préférant s’éviter, mais finissant toujours par se rejoindre car ayant besoin l’un de l’autre. Pour le meilleur comme pour le pire. À commencer par la naissance du populisme, ce « discours au nom du peuple contre les élites », devenu omniprésent depuis une trentaine d’année. Un discours qui s’appuie notamment sur les médias, et plus particulièrement sur la télévision qui impose un style direct, simple voire démagogique et séducteur aux acteurs politiques.

« Un phénomène qui se généralise depuis la fin des années 1980, le début des années 1990, explique le co-auteur. Le populisme  n’est pas une idéologie, car il peut être tant de gauche que de droite. Il est apparu dans différents pays, notamment en lien avec le développement de la télévision. Le parti qui veut exister n’a pas vraiment le choix : il doit passer à l’écran. Et adapter son discours pour que les gens comprennent. »  Soit s’embarrasser le moins possible de complexité. Alors que le monde politique en est rempli… Ainsi fonctionne désormais le succès électoral : grâce à la médiatisation et moins en raison d’un programme.

Crise de foi politique

La presse n’est pas la seule responsable de l’émergence du populisme. La crise de la représentation n’y est certainement pas étrangère non plus. Rares sont de nos jours les citoyens qui vouent une confiance aveugle en leurs élus. Le crédit des élites s’effrite. La méfiance et le pessimisme se sont confortablement installés en démocratie. « L’histoire de la représentation n’est pas très vieille, relate Jérôme Jamin. Elle date de la fin du Moyen-Age et   des révolutions anglaise d’abord, puis française et américaine. Dès le moment où la parole a été donnée à la population s’est posée la question de la manière de la maîtriser. À l’époque, on pensait que l’expression directe des gens pourrait devenir incontrôlable ou être récupérée par des démagogues, des dictateurs. Il fallait donc contrôler ce risque grâce à un système où des professionnels de la politique se feraient élire par les citoyens. L’histoire même de la démocratie représentative commence par sa limitation ! »

Limitation d’autant plus marquée que seuls quelques privilégiés eurent au départ le droit d’inscrire un nom sur un bulletin. Ceux qui payaient des impôts, ceux qui détenaient un diplôme… En d’autres termes, la classe dominante. Mais minoritaire. L’issue du suffrage était donc sous contrôle. Les femmes ? Hors de question ! Elles devront dans de nombreux pays attendre les lendemains du conflit mondial de 1940-1945 (1948 pour la Belgique) pour obtenir le droit de vote. Une « compensation » à leur contribution majeure à l’effort de guerre.

De 1945 à 1970, la représentation politique semble donc faire tache d’huile. Dans un contexte social et économique au beau fixe. « C’est un peu le salut », confirme le politologue. La fin des trente glorieuses, le choc pétrolier et le ralentissement économique qui s’en suivit donnèrent le coup de grâce. « À partir de 1980, très lentement mais sans interruption, le discrédit s’est installé sur la représentation., Les citoyens ont pris l’habitude de considérer que les partis sont peu capables ou simplement incapables de faire baisser le chômage de résoudre les problèmes de la population, etc. »    

Dans les années 1990, le projet de construction européenne et la perte progressive de souveraineté des nations accentua cette méfiance. Désormais, le pouvoir ne se situe plus tout à fait au niveau national, mais pas encore vraiment à l’échelon supranational. La dépendance accrue du politique vis-à-vis des marchés financiers affaiblit également les partis comme acteurs traditionnels et intermédiaires entre le peuple et le pouvoir.

vote democratie

Actions alternatives

Autant d’éléments qui vont susciter la recherche de moyens alternatifs d’action, une caractéristique importante du champ politique actuel. Pétitions, comités de quartier, jurys citoyens, consultations populaires comme récemment à Namur dans le dossier de l’implantation d’un centre commercial au parc Léopold ou plus anciennement pour pousser Liège comme capitale culturelle 2015… Des tentatives de faire entendre les voix « d’en bas » qui s’organisent généralement à l’échelle locale. « Mobiliser trente personnes pour empêcher la construction d’une autoroute, c’est plus à portée de main que lutter contre le réchauffement de la planète ou la guerre en Irak, même si d’importantes manifestations citoyennes ont déjà été organisées pour ce type de causes, notamment à Londres ».  

Comme le mouvement des « Indignés », qui s’était répandu telle une traînée de poudre en 2011 depuis Madrid jusqu’au parvis de Wall Street à New-York en passant par Athènes, Bruxelles ou Paris. Par ailleurs, Internet peut devenir une caisse de résonnance pour ces pratiques politiques non-conventionnelles. Plus un jour ne se passe sans que d’énièmes pétitions émergent en ligne. Les nouvelles technologies semblent « leur avoir donné une nouvelle efficacité à la fois sociologique et institutionnelle », remarquent les six professeurs dans le dernier chapitre de leur ouvrage dédié aux citoyens. Ils citent l’exemple d’une pétition signée en 2009 par 93.000 personnes suite à la candidature de Jean Sarkozy comme responsable de l’Epad (Etablissement public pour l’aménagement de la région de la Défense). Le fils de l’ancien président français, qui était alors toujours en exercice, avait fait marche arrière, ce qui avait été considéré comme une première victoire de l’e-démocratie.  

parlement UE

Surcharge de négociations

Les élus ne sont pas toujours ravis de ce regain de démocratie alternative. Qu’ils considèrent souvent comme une perte de temps. « Une bonne partie du travail politique consiste à élaborer des décisions en négociant avec la majorité, l’opposition… Lorsqu’un accord a été trouvé au terme de longues discussions, il n’est pas toujours bien vu qu’un mouvement citoyen vienne contester la décision, pointe Jérôme Jamin. Mais, après-tout, c’est une question d’habitude. Prenez la Suisse : la vie politique traditionnelle basée sur les partis fonctionne en parallèle d’un système de démocratie directe via les votations. »  

Pour contrer la crise de légitimité qui les frappe, les partis ont entamé une course au centre. Plus le discrédit à leur égard s’accroît, plus ils doivent tenter de limiter l’hémorragie des électeurs. « En flattant le plus possible au centre, résume le politologue liégeois. Dans un premier temps, on est marqué à gauche ou à droite pour rassurer les militants. Ensuite, on assouplit sa position pour convaincre les indécis. » Une stratégie particulièrement visible dans le cas de Syriza, la coalition de la gauche radicale désormais au pouvoir en Grèce, qui avait tenu des propos très durs à l’égard de l’Europe dès l’entame de la campagne électorale. Puis qui avait radouci le ton au fur et à mesure de l’approche du scrutin, réaffirmant par exemple que son souhait n’était pas de quitter la zone euro.

L’exemple de Syriza illustre également une autre évolution récente de la politique : la résurgence des clivages gauche-droite. « Sans doute depuis la crise financière de 2008, juge Jérôme Jamin. Le degré d’inégalité au sein de la société est devenu insupportable dans beaucoup de pays. Cela signifie donc à nouveau quelque chose d’être pour ou contre le fait de payer plus d’impôts, de redistribuer les richesses, d’avoir davantage de logements sociaux, de limiter les allocations de chômage… »

Un terreau d’autant plus fertile pour  les partis extrêmes. « Ou en tout cas suffisamment alternatifs ». À gauche comme à droite. Le FN en France, Podemos en Espagne, Syriza en Grèce, le Mouvement 5 étoiles en Italie… Sans oublier la N-VA, devenue en une dizaine d’années à peine le premier parti de Flandre, ou le PTB en Wallonie. « On pourrait imaginer que le Parti socialiste soit demain complètement désossé d’une part par le développement du MR et du CDH, et d’autre part par la montée en puissance du PTB. Au PS, ce risque de traversée du désert n’est pas qu’une hypothèse».  

Tous les moyens semblent bons pour sanctionner les partis traditionnels, pour faire valoir un  désarroi, pour exiger du changement. Signe, sans doute, que le lien entre les citoyens et la politique est certes distendu, mais pas rompu. Et qu’il pourrait se renforcer. Car après tout, le désamour vaut mieux que l’indifférence.

(1) Fondements de science politique, Bruxelles, De Boeck, 2015.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_398488/fr/la-science-politique-a-toute-s-epreuve-s?printView=true - 27 avril 2024