Pourquoi certains élus s’engagent-ils au fédéral, alors que d’autres ne jurent que par la région ? Les trajectoires des élus sont-elles rectilignes ou en dents de scie ? Quelles sont leurs motivations ? Quel est le poids des partis ? Au fil de l’analyse de près de 2.200 carrières politiques, Jérémy Dodeigne a tracé le profil type des mandataires en Wallonie, en Catalogne et en Ecosse. Dans le sud de la Belgique, l’homo politicus lambda est souvent du genre étoile filante volatile.
Prenons un exemple, au hasard : Elio Di Rupo. Conseiller communal à ses débuts en 1982, puis échevin, député fédéral, député européen, sénateur, ministre à la Communauté française, ministre fédéral, ministre-président de la Région wallonne, bourgmestre, à nouveau ministre-président, député fédéral, député wallon, député fédéral, premier ministre, député fédéral.
Un autre exemple, toujours au hasard : Didier Reynders. Conseiller communal dès 1988, puis député à la Chambre et ministre fédéral, jusqu’à aujourd’hui. Entre celui qui a expérimenté quasiment tous les registres du pouvoir et celui qui reste fidèle à un seul échelon, quelles différences de trajectoires ? Où mènent les carrières de nos élus ? Y a-t-il une voie royale vers le pouvoir, un stade ultime que tous veulent atteindre ?
Dans d’autres pays, le parcours-type serait sans doute tout tracé : commune-région-fédéral, puis parfois Europe pour terminer « en beauté ». En Belgique, ce fut autrefois le cas. Mais désormais, des chemins de traverse ont fait leur apparition. État fédéral oblige. Le plat pays n’est pas le seul où plusieurs routes semblent mener à la gloire politique. Il en va de même pour toutes les contrées où le processus de régionalisation est à l’œuvre. Lorsque les entités fédérées acquièrent de plus en plus d’autonomie et de compétences, le niveau national reste-t-il le nec plus ultra ? Ou est-il devenu de meilleur ton de siéger à la région ?
L’arbre qui cache la forêt
Jérémy Dodeigne, aspirant FNRS à l’UCL et l’ULg, chargé de cours adjoint à l’ULg, a voulu savoir ce qu’il en était. Pas seulement en se penchant sur les cas les plus connus, comme les deux exemples précités. Mais en s’intéressant à l’ensemble des élus, à la partie immergée de l’iceberg, celle qui est habituellement laissée sous eau. « Les études sur le sujet ne tiennent compte en général que des gens qui bougent d’un échelon à l’autre. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt, elles loupent alors entre 80 et 90% de l’ensemble des députés ! L’innovation de mon travail fut de référencer tout le monde ».
Et pas uniquement en Wallonie. Le chercheur a également examiné la Catalogne et l’Écosse, où l’autonomie et les compétences des régions ont aussi gonflé sans discontinuer depuis les années 1960-1970. Soit 2.200 carrières électorales passées au crible (« je ne compte plus mes heures de travail ! »), et 83 interviews réalisées (dans la langue des élus, au cours de deux séjours à l’étranger). Sa thèse, défendue le 30 avril dernier, présentait deux hypothèses de départ. Option numéro 1 : en dépit du nouveau poids des régions, le stade national reste le plus attractif. Option numéro 2 : les régions sont devenues the new places to be.