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La cryothérapie contre le cancer du col de l’utérus 

06/10/2015

Les deux vaccins actuellement disponibles contre le cancer du col de l’utérus n’offrent pas une protection satisfaisante contre cette maladie. Notamment dans les pays en voie de développement  où les citoyens ne peuvent assumer le coût de ces vaccins et où ce cancer fait quelque 250.000 morts chaque année. La cryothérapie qui consiste à détruire les cellules du col de l’utérus pourrait être une solution sans risque et abordable pour lutter plus efficacement contre le cancer du col de l’utérus.

Il y a peu, le cancer du col de l’utérus faisait régulièrement la une des journaux. Tout d’abord pour annoncer la mise sur le marché de vaccins permettant de lutter contre cette maladie. Quelques mois plus tard, de nombreux articles dénonçaient ou mettaient en garde contre des risques d’effets secondaires sérieux de ces mêmes vaccins. Depuis lors, « l’affaire » du cancer du col de l’utérus et ses vaccins fait nettement moins de bruit, au point que l’on pourrait croire que la problématique est résolue et que l’on peut désormais cocher cette maladie sur la liste de celles qui ne doivent plus effrayer la population. Pourtant ce n’est pas le cas.
« Les deux vaccins sur le marché ont le mérite d’exister et d’offrir une certaine protection s’ils sont effectués chez des jeunes filles avant leur premier rapport sexuel. Mais ce n’est pas suffisant », explique Michaël Herfs, chercheur au sein de l’Unité Anatomie et cytologie pathologiques du GIGA de l’Université de Liège.

Les vaccins disponibles, pas la panacée universelle !

Les vaccins ne sont pas une solution satisfaisante pour diverses raisons. Premièrement ces vaccins ciblent les virus HPV 16 et HPV 18 responsables de deux tiers des cas de cancer du col de l’utérus. Mais il existe environ 15 virus HPV qui sont susceptibles de provoquer cette maladie. Les vaccins existants ne couvrent donc pas un large spectre et n‘offrent qu’une protection de 50 à 60% chez les jeunes femmes vaccinées. « Ce n’est pas parce qu’une jeune fille est vaccinée qu’elle ne peut pas développer de cancer du col de l’utérus. Un suivi gynécologique et un dépistage fréquent de la maladie restent donc nécessaires », précise Michaël Herfs. Une seconde raison pour laquelle ces vaccins en question ne sont pas une solution suffisante pour lutter contre le cancer du col de l’utérus est qu’ils ne sont pas efficaces une fois que la lésion a commencé à se développer. En d’autres termes il faut impérativement les administrer aux jeunes filles n’ayant pas encore eu de rapports sexuels. incidence cancers pappilomavirusEnfin, la dernière raison concerne le coût et la logistique de la vaccination : 3 doses  coûtant chacune 70 euros sont nécessaires pour que le vaccin fasse l’effet escompté. « Si ce problème du coût des vaccin ne concerne pas la Belgique où nous bénéficions d’une bonne sécurité sociale, il est bien réel pour les pays en voie de développement où le cancer du col de l’utérus est nettement plus fréquent qu’ici », indique Michaël Herfs. En effet, alors qu’on compte environ 800 cas par an en Belgique (donc on pourrait en éviter maximum 400 à 480 si on compte sur la protection maximale qu’offrent les vaccins), ce chiffre explose en Afrique subsaharienne et aux Caraïbes notamment. « Au total on compte 500.000 cas de cancer du col de l’utérus dans le monde dont 400.000 cas dans des pays en voie de développement. On dénombre au total 250.000 morts par an. C’est le troisième cancer le plus mortel chez la femme », souligne le chercheur.

 

Une population de cellules plus vulnérables aux HPV

En 2012, Michaël Herfs et ses collègues découvraient une population de cellules jusque là inconnue au niveau du col de l’utérus (Lire l’article « Les origines du cancer du col de l’utérus »). Ils ont également mis en évidence que c’est à partir de ces cellules que la grande majorité (>90%) des cancer du col de l’utérus se développe.  Après cette découverte, les scientifiques ont bien évidemment voulu comprendre pourquoi cette population cellulaire est plus sensible aux virus HPV et donc plus susceptible d’engendrer des cellules cancéreuses.  « Il existe une multitude de raisons qui expliquent cela. Nous avons notamment démontré que cette population cellulaire est plus facilement infectée par les virus HPV que les autres populations cellulaires présentes dans le col de l’utérus pour des raisons « physiques » d'accessibilité, explique Michaël Herfs. «  Les cellules qui la composent expriment plus de récepteurs sur lesquels peuvent s’ancrer les virus et expriment par exemple moins d’inhibiteurs immunitaires », précise le chercheur.

Résultat : le HPV infecte ces cellules, utilise leur machinerie pour produire ses propres protéines dont les protéines oncogéniques qui vont rendre ces cellules immortelles. « Les protéines oncogéniques induisent la prolifération des cellules et inhibent l’apoptose, c’est-à-dire la mort, de celles-ci. C’est comme cela qu’on aboutit à l’apparition de cellules cancéreuses qui vont ensuite devenir invasives. Ce processus prend environ 7 à 10 ans ».

Les recherches des scientifiques et la lecture de la littérature disponible à ce sujet les ont menés sur la piste des pratiques exercées avant la découverte du HPV dans les lésions utérines en 1983. Dans les années 70, une pratique courante pour éviter le cancer du col de l’utérus était de recourir à la cautérisation ou à l’électrocoagulation pour détruire une partie des cellules du col de l’utérus. « Cela s’effectuait par exemple suite à un accouchement et permettait de réduire de 4 à 6 fois le risque que les patientes ainsi opérées développent un cancer du col de l’utérus par la suite », indique Michaël Herfs. Lorsqu’on compare le bénéfice d’une telle pratique à celui des vaccins actuellement disponibles sur le marché qui réduisent seulement 3 à 4 fois le risque de cancer du col de l’utérus, uniquement s’ils sont administrés à des jeunes filles vierges qui doivent malgré tout procéder à un dépistage régulier auprès de leur gynécologue…Il y a de quoi s’interroger sur les raisons qui ont poussé à arrêter la pratique de la cautérisation/électrocoagulation. « A la découverte du HPV, tous les efforts de recherche se sont concentrés sur la mise au point de tests à HPV et sur les moyens de contrer ces virus. Le principal était de comprendre et d’expliquer les mécanismes liés au développement du cancer du col de l’utérus. Les procédures de cautérisation et d’électrocoagulation ont été abandonnées ».

cancerisation muqueuse uterus

La cryothérapie, une solution préventive simple et abordable

Aujourd’hui, lorsqu’une patiente présente une lésion précancéreuse suite à une infection par HPV au niveau du col, les médecins procèdent à une ablation de la lésion ou à une cryogénisation du col de l’utérus. « La cryothérapie consiste à détruire les cellules du col de l’utérus au moyen d ‘un gaz comprimé réfrigérant comme l’azote liquide. C’est une méthode simple et rapide », explique Michaël Herfs. « Nous souhaiterions lancer un test clinique dans les pays en voie de développement afin de valider la cryothérapie comme solution pour éviter chaque année des centaines de millier de cas de cancer du col de l’utérus dans ces pays », poursuit le chercheur. Mais une telle étude clinique est difficile à mettre en place et pourrait déplaire à l’industrie pharmaceutique au vu de l’alternative à faible coût que la cryothérapie pourrait représenter pour lutter contre cette maladie. Si la cryothérapie s’avère en effet être efficace pour réduire le risque de développer le cancer du col de l’utérus, elle pourrait être utilisée de manière prophylactique auprès des femmes des pays où la maladie fait les plus gros dégâts. C’est ce que Michaël Herfs suggère dans une étude publiée dans Nature Reviews Clinical Oncology (1) « Nous avons tous les outils pour le faire. C’est sans risque et abordable. Il faut juste que ça rentre dans les mœurs d’agir de manière préventive  grâce à la cryothérapie plutôt que d’y avoir uniquement recours pour soigner une fois que la lésion précancéreuse est là », souligne le scientifique.  

Pour revenir à la solution des vaccins sur laquelle « se repose » actuellement le monde pharmaceutique, au-delà d’avoir un spectre de protection limité, d’être très chère et de ne pas être applicable pour des jeunes filles ayant déjà une vie sexuelle active, elle ne s’attaque qu'en partie à la source du problème. « Les virus HPV sont transmis par les garçons aux filles lors de rapports sexuels et vice versa », explique Michaël Herfs. « Une solution serait donc de vacciner les hommes également ou de trouver un traitement médicamenteux qui permettrait de supprimer le virus ou d’empêcher sa propagation à la source », précise le chercheur. Ce dernier s’étonne encore toujours du fait que 30 ans après la découverte des virus HPV aucun médicament antiviral préventif ou thérapeutique n’est encore commercialisé. « C’est clairement le prochain défi dans ce domaine sur lequel devraient se concentrer les entreprises pharmaceutiques… ».

(1) Michael Herfs & Christopher P. Crum. Cervical cancer: Squamocolumnar junction ablation—tying up loose ends? Nature Reviews Clinical Oncology 12, 378–380 (2015) doi:10.1038/nrclinonc.2015.104.


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