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Quand Google défie le droit

25/10/2011

Du haut de ses 29,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour l’année 2010, Google convertit chaque jour un peu plus d’internautes au chapelet de services qu’il développe sur Internet. Dans son récent essai (1), Alain Strowel, chargé de cours à l’Université de Liège et avocat au barreau de Bruxelles, spécialiste des droits intellectuels et des nouvelles technologies de l’information, jette un éclairage juridique sur les grands  défis que le géant américain adresse au droit.

COVER StrowelPlus audacieux, plus entreprenant, mais moins attentif à la règle du droit que d’autres opérateurs de l’Internet, Google a vu les actions en justice intentées contre lui se multiplier au cours des dernières années – avec une actualité particulièrement riche en 2010. Le culte de l’ingénieur et de l’innovation qui règne à l’intérieur des bâtiments de la firme de Mountain View en Californie n’y est sans doute pas étranger : les jeunes ingénieurs de Google lancent avec enthousiasme de nouveaux services, mesurent leur attractivité, collectent des données, puis seulement s’interrogent sur le respect des règles juridiques, quitte à se rétracter au besoin, lorsque les réactions sont trop fortes. Google teste ainsi en permanence les limites du droit mais contribue aussi à dessiner les règles du jeu en ligne, et plus généralement l’avenir d’Internet. Parmi les adversaires de Google, des éditeurs, des médias traditionnels, des titulaires de marques, des annonceurs, des défenseurs de la vie privée dénoncent tour à tour des atteintes au droit d’auteur, au droit de marque, au droit de la concurrence ou encore au droit à la vie privée. Autant de litiges qui témoignent d’un conflit entre, d’un côté, une approche du web ostensiblement libertaire – mais aussi hyper-commerciale –  et, de l’autre, un système plus traditionnel. Dans son essai, Alain Strowel décortique les grands défis adressés au droit par Google autour de sept chapitres.

Le droit d’auteur en question

« Tout accessible à tous gratuitement ». S’il séduit presqu’aveuglément la plupart des usagers de l’Internet, le leitmotiv qui traverse la nouvelle économie du contenu proposée par Google n’en bouscule pas moins les éditeurs de livres, la presse, le monde audiovisuel. « Les nouvelles pratiques de Google, fait remarquer Alain Strowel et les nouveaux modes de distribution de contenus protégés ont le mérite de poser de bonnes questions au droit d’auteur et d’interroger son application aux nouvelles technologies de l’information, notamment. » Les outils Google Books, Google News, YouTube et Google Image nous plongent dans le défi adressé par Google au droit d’auteur.

1. Google Books. Comme l’indique Alain Strowel, l’écrivain Jorge Luis Borges évoquait déjà en 1941 dans La Bibliothèque de Babel le rêve d’une bibliothèque universelle qui rassemblerait l’ensemble des savoirs. Septante ans plus tard, Google Books, pressenti comme « la future bibliothèque numérique de référence mondiale », effleure ce rêve du bout des doigts. « Google est en train de réaliser ce superbe projet à la faveur de partenariats passés avec plus d’une quarantaine de bibliothèques et d’accords signés avec plus de 35.000 éditeurs. » Les deux volets de Google Books, le Projet Bibliothèque (bibliothèques) et le Programme Partenaires (éditeurs) ont cependant donné lieu à toute une série de litiges. « Les bibliothèques partenaires, américaines comme européennes, autorisent Google à emprunter leurs livres pour les numériser afin de les rendre disponibles ensuite en ligne. Cependant, les bibliothèques américaines ont accepté la numérisation non seulement d’ouvrages tombés dans le domaine public mais également de livres encore protégés par le droit d’auteur – lesquels n’apparaissent certes pas dans leur intégralité mais quand même sous forme d’informations bibliographiques (titre, nom de l’auteur, couverture, etc.) ou sous l’apparence de snippets, c’est-à-dire des extraits présentés comme des bandelettes de papier déchirés. Des ouvrages européens disponibles dans les bibliothèques américaines se retrouvent donc sur Google Books sans l’accord de leur auteur. »

Un deuxième problème tient au déséquilibre des contrats passés entre les partenaires. « En échange de la numérisation par scannage, les bibliothèques reçoivent une copie du livre sous la forme d’un fichier numérique. La copie remise par Google est une simple reproduction en « mode image » et non en « mode texte. » En fait, Google ne fait pas bénéficier les bibliothèques partenaires de ses innovations et de la valeur ajoutée qu’il apporte aux fichiers numérisés. » Le Programme Partenaires a lui aussi fait apparaître des divergences de vue entre les cosignataires. « Certains éditeurs s’inquiètent effectivement de ce que la partie du livre rendue visible en « aperçu limité » sur Google Books – par exemple, 30% du livre – n’est pas fixe, ce qui permet, si on multiplie les demandes d’ « aperçus limités » d’avoir accès à une grande partie de l’ouvrage. » En France, une action en justice a été introduite en juin 2006 par le groupe La Martinière, dont font partie les éditions Le Seuil. Dans sa décision de décembre 2009, le juge a considéré que la numérisation et mise en ligne sans autorisation ni rémunération portait atteinte au droit d’auteur, et que Google ne pouvait ni se prévaloir d’une exception, ni se contenter de retirer des livres en cas de refus des ayants droit. La décision rappelle que le droit d’auteur nécessite d’obtenir une autorisation préalable (opt-in), qu’un distributeur ne peut proposer un modèle reposant sur une opposition a posteriori (opt-out). Depuis, les parties ont signé une transaction en août 2011. L’accord autorise Google à numériser les ouvrages que l’éditeur a préalablement sélectionnés et à en tirer des revenus qui sont pour partie reversés aux éditeurs et auteurs. Ce qui préserve le droit d’auteur tout en organisant un partenariat commercial a priori favorable à tous.

Google books
2. Google News. En proposant une « sélection réactualisée en permanence d’articles provenant de multiples médias en ligne », les agrégateurs de flux d’actualités comme Google News posent quant à eux un défi à la presse : celui d’une « concurrence sur l’accès au contenu journalistique professionnel à travers un outil automatisé ». Aux Etats-Unis contrairement à la Belgique, Google News a déjà intégré la publicité à son service ce qui lui permet de générer des revenus sur base de contenus repris sans autorisation ni contrepartie financière à d’autres médias. Les éditeurs de presse y voient donc une forme de concurrence parasitaire. Google justifie son refus de payer pour l’usage qu’il fait des articles en ligne. en arguant que son service profite aux éditeurs en ceci qu’il génère du trafic vers leurs contenus – lesquels sont financés par la publicité. « Une étude menée aux Etats-Unis montre pourtant que près de la moitié des visiteurs de la page Google News ne cliquent pas sur les liens des éditeurs et, de ce fait, ne sont pas exposés aux publicités des pages des éditeurs. » La question est dès lors de savoir si Google News doit être considéré comme un produit de substitution ou bien un nouveau moyen de diffusion pour les éditeurs de presse. L’affaire opposant Copiepresse (2) à Google depuis 2006 dans notre pays illustre bien le conflit. Du point de vue juridique, les décisions rendues en première instance (février 2007) et en appel (mai 2011) ont pleinement donné raison aux éditeurs qui agissaient en justice pour violation des droits d’auteur. L’un des arguments économiques avancés était que le service de Google offre les informations dont se contentent la plupart des lecteurs en ligne, à savoir le titre et l’accroche des articles. L’affaire est intéressante à un autre égard : «  elle met en lumière une autre limite juridique à l’agrégation des contenus journalistiques : les droits moraux des auteurs journalistes reconnus dans le système européen du droit d’auteur n’existent pas avec la même force dans le monde anglo-saxon. En ne citant pas les journalistes, en désarticulant la ligne éditoriale originale, Google porte également atteinte au droit de paternité et d’intégrité. »

Avec OnePass, sa plateforme de paiement de journaux en ligne lancée en février 2011 pour concurrencer Apple Press, Google est néanmoins en train de changer d’approche en acceptant de payer les producteurs de contenus. FastFlip, un autre produit en phase de développement qui réunit des « unes » de journaux en ligne (moyennant contrepartie pour les éditeurs), s’inscrit lui aussi dans un mode de diffusion plus respectueux des droits d’auteur. Mais Google vient d’annoncer en septembre 2011 qu’il y mettait fin. Pour Google News qui reste disponible, Google refuse toujours de payer les éditeurs, mais paie en revanche pour les dépêches d’agence qu’il utilise. Deux poids, deux mesures?

Google TV3. YouTube et Google TV. La problématique juridique soulevée par YouTube, racheté en 2006 pour 1,6 milliard de dollars US par Google, vient de l’attitude même de la plateforme qui incite les utilisateurs à publier sur son site un maximum de contenus, et semble fermer les yeux lorsque ceux-ci violent des droits d’auteurs. En acceptant la mise en ligne de nombreux contenus protégés (des copies de films, des séries, des émissions de TV) qui génèrent un important trafic et débouchent sur des revenus publicitaires, YouTube représente un risque réel de court-circuit pour le système économique du monde audiovisuel. La question posée ici est de savoir dans quelle mesure un site d’hébergement est responsable du contenu diffusé sur sa plateforme. « Le procès intenté par Viacom, un grand groupe média qui comprend Paramount et MTV, a donné lieu à une décision favorable à YouTube en juin 2010. Pour le juge, la responsabilité indirecte de la plateforme ne peut être mise en cause. Viacom a fait appel. Si la décision en première instance est confirmée, elle aura pour effet de limiter les obligations – la mise en place de systèmes de filtrage, par exemple – pesant sur les sites dits de « contenus générés par les usagers ». Google prend néanmoins conscience progressivement que la seule façon de disposer de contenus de qualité, à forte valeur ajoutée – qui permettraient d’améliorer la rentabilité du modèle économique actuel de YouTube – reste de conclure des contrats avec les ayants droits.

L’annonce du projet Google TV, en mai 2010, a pour sa part soulevé une vague d’inquiétudes du côté des chaînes télévisées et des fournisseurs d’accès à Internet. L’idée d’amener le web sur les téléviseurs inquiète de nombreux acteurs de l’audiovisuel notamment parce que Google – qui fournirait aux utilisateurs l’interface d’accès, ainsi que ses propres services – serait en mesure de devenir la plus grande chaîne de TV au monde . « A l’heure actuelle, il ne s’agit que d’une annonce. Il y a déjà, pourtant, un boycott assez clair de la part des grands networks et des producteurs audiovisuels qui ne veulent pas se retrouver instrumentalisés par Google TV. Sans doute Google TV passera-t-il progressivement des contrats avec différents acteurs audiovisuels. L’évolution du projet connaîtra certainement l’un ou l’autre soubresaut car les enjeux économiques dans ce domaine sont très importants. »

4. Google Image. A partir d’une requête basée sur des mots, le service Google Image facilite l’accès à des images qui ont été postées en ligne par des usagers. Parfois, ces photos ont été mises en ligne sans l’autorisation des photographes. Aux Etats-Unis, en Allemagne et France, les actions intentées en justice pour violation des droits d’auteur ont plutôt donné gain de cause à Google. Comme pour le cas YouTube, l’argument de la responsabilité indirecte a pesé plus lourd dans la balance juridique. Une responsabilité directe est ici d’autant plus difficile à mettre en cause que les résultats d’images proposés par Google Image sont obtenus par des algorithmes mathématiques, sans que Google propose un cadre ou habillage éditorial, comme dans le cas de Google News ou YouTube. A plusieurs égards, Google fait par ailleurs preuve d’une certaine prudence : l’image proposée n’est jamais celle d’origine, il s’agit d’une vignette au format beaucoup plus petit ; un texte écrit rappelle aussi l’éventualité d’une protection de l’image par un copyright. « Google Image met le doigt sur une question très intéressante, absente des médias traditionnels : celle de l’hyperlien. Y a-t-il une responsabilité lorsque l’on établit un hyperlien vers du contenu ? La réponse juridique varie : si le fournisseur d’hyperlien fait sien le contenu illicite vers lequel il redirige l’internaute, sa responsabilité peut être mise en cause, mais pas si le référencement est automatique. Un hyperlien a par ailleurs été considéré comme une manifestation de la liberté d’expression, ce qui veut dire qu’elle est protégée, mais qu’elle peut aussi être limitée à l’instar d’autres formes d’expression. »

A la lumière des quatre premiers chapitres, il semblerait donc que le modèle de Google en matière de contenus protégés par le droit d’auteur évolue vers une mouture plus classique reposant sur des accords passés avec les éditeurs. D’une manière générale, Google se montre de plus en plus ouvert à l’idée de rémunérer les producteurs de contenus qu’il diffuse.

Ciblage publicitaire et boîte noire-mystère

Les trois derniers chapitres de l’ouvrage nous entraînent au cœur du fonctionnement de la machine Google. Alain Strowel y aborde les défis posés par le service payant des AdWords,  le référencement et l’utilisation des données personnelles.

5. Les AdWords. Chaque requête lancée depuis la barre de recherche du moteur Google nous amène sur une page où des résultats dits « organiques » côtoient des liens publicitaires – apparaissant de manière bien visible dans la marge de droite et/ou au-dessus des résultats – ciblés en fonction des mots-clés utilisés pour effectuer ladite recherche. 97% des revenus de Google proviennent de la vente aux annonceurs de ces mots-clés (ou AdWords) permettant  de déclencher des publicités pour leur produits ou services. Google autorise l’achat de mots-clés de marques concurrentes afin notamment de réunir les conditions de possibilité d’une publicité comparative et, partant, d’une concurrence loyale. Mais comment, dans une telle configuration, limiter les pratiques déloyales par exemple lorsqu’on fait la promotion de contrefaçons grâce à des liens publicitaires déclenchés par des requêtes sur des marques en vue ? En France, plus de cinquante cas ont donné lieu à des décisions en justice. La maison de maroquinerie de luxe Louis Vuitton a ainsi intenté un procès contre Google après avoir constaté qu’une requête de recherche à l’aide des mots « Vuitton », « Louis Vuitton », « L & V » générait des liens commerciaux vers des sites offrant en vente des imitations des produits Vuitton. Devant cette action pour violation du droit de la marque, la Cour de justice européenne n’a pas admis que  Google soit directement responsable d’une atteinte à la marque, Google agissant comme intermédiaire. Les annonceurs au contraire peuvent être directement responsables notamment si la façon dont ils rédigent l’annonce (c’est-à-dire le « lien publicitaire » visible sur la page de résultat) induit une confusion dans le chef des internautes. « Certaines pratiques de Google en matière de vente de mots-clés sont pourtant un peu agressives, ajoute Alain Strowel. A travers son générateur de mots-clés, Google suggère et encourage l’achat de mots relatifs à des marques. Par exemple, lorsqu’un annonceur achète « sac en cuir » en mots-clés, le générateur peut lui suggérer l’achat des mots-clés « Delvaux » ou encore « Prada ». Dans un tel cas, on peut se demander si Google n’est pas responsable d’une atteinte à la marque. Il faut encore que les juridictions de fond se prononcent sur la mise en œuvre des principes définis par la Cour de justice européenne. »

AdWordsFR

6. Google : gardien et goulet d’étranglement de l’Internet. Le sixième chapitre analyse les défis liés à la position dominante du géant californien sur le marché de la recherche en ligne. Alain Strowel y aborde la problématique délicate du système de filtrage de l’information en faisant affleurer des facettes plus mystérieuses de la machine Google. « Le premier problème soulevé ici est que l’usager a droit, sur une page de résultats, à un mélange d’informations en principe objectives – les résultats organiques – et de liens publicitaires – les liens sponsorisés. Pour l’internaute moyen, la frontière entre les deux types d’information n’est pas forcément perceptible. En France, par exemple, Google a d’ailleurs légèrement modifié l’intitulé des espaces publicitaires – les « liens sponsorisés » sont devenus des « liens publicitaires » – dans un souci de clarté pour l’usager. » La grande zone d’ombre de la machine Google reste la boîte noire de l’algorithme utilisé pour générer le classement des résultats d’une recherche (ou PageRank) dont la recette est un mystère total. Quelques 300 critères seraient mobilisés pour organiser le classement des résultats des pages du moteur de recherche. Mais alors que Google se plaît à agiter l’étendard du « tout accessible à tous » et voudrait apparaître aussi ouvert que l’Internet, la firme fait preuve d’une confidentialité extrême sur les critères qui président au classement des résultats. Il en va de même pour le AdRank, le système de classement des publicités. Les consommateurs ne devraient-ils pas revendiquer une plus grande transparence pour savoir en fonction de quels critères les résultats organiques sont classés ? Pour Alain Strowel, « Il faut qu’une nouvelle transparence s’impose si l’on veut préserver les promesses de la démocratie Internet. Un système de filtrage comme celui de Google, par sa fonction de goulet d’étranglement, présente le risque d’empêcher certaines expressions un peu plus marginales de s’exprimer. L’accès à ce filtre devrait être autorisé afin que les autorités publiques puissent en analyser et surveiller les effets. »

Profitant de sa position dominante, Google peut avoir tendance à travers son moteur de recherche généraliste à privilégier ses propres services spécialisés, par exemple son comparateur de prix,  au détriment d’une concurrence saine. D’autres problèmes peuvent résulter de l’usage d’une position dominante sur le marché de la recherche web pour s’emparer de marchés annexes. Des plaintes ont ainsi été introduites notamment en Allemagne et en Italie par des éditeurs de presse qui dénonçaient le lien entre Google News et la recherche généraliste sur le web. Pour avoir refusé d’être référencés dans Google News – Google n’envisageant aucune rémunération pour l’utilisation de leurs contenus – certains éditeurs se sont en effet vus supprimés du moteur de recherche généraliste. On l’a encore vu début juillet 2011 lorsque Google a fait disparaître les sites des éditeurs de la presse belge francophone des résultats de son moteur de recherche sur le web. « Dans un tel cas, précise Alain Strowel, Google a utilisé sa position dominante en tant que moteur de recherche généraliste et cela pourrait constituer un abus. » La Commission européenne enquête actuellement sur la manière dont Google abuserait de sa position dominante.

L’utilisation des données personnelles comme contrepartie du gratuit

7. La vie privée. Sur Internet, le gratuit a un prix : il se paie en données personnelles. Google est particulièrement friand de ces petites unités de vie privée qui lui permettent d’affiner son ciblage publicitaire, notamment. Le moteur de recherche Google, par exemple, se base en partie sur les données personnelles des internautes (historique des visites, données d’inscription en ligne, adresses IP) pour cibler au mieux les résultats et les publicités qui apparaîtront sur leur page de recherche. Google conserve ainsi toute trace des goûts, des relations et des intentions de ses usagers.

streetviewParisL’ingérence dans la vie privée prend une nouvelle forme avec Google StreetView. Lancé en 2007 aux Etats-Unis, l’outil StreetView a été créé pour naviguer virtuellement dans les rues du monde entier. Des Google Car surmontées de caméras panoramiques arpentent ainsi les villes pour prendre des photographies des artères citadines. « Selon les pays, les réactions sont différentes. En Allemagne, un pays qui est certainement à la pointe de la protection de la vie privée, certains propriétaires ont souhaité voiler la façade de leur maison considérant la mise en ligne de celle-ci comme une violation de la vie privée. » Une polémique plus enflammée a éclaté au printemps 2010. En déambulant dans les rues pour prendre ses clichés, la firme de Mountain View aurait capté – « par erreur », dit-elle – des données personnelles qui circulaient sur les réseaux wi-fi (extraits d’e-mail, historiques de visites, données bancaires, mots de passe associés à des adresses IP). Autant de données ô combien stratégiques pour les services de publicité. En France, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’est attaquée à Google qui a été condamné pour atteinte à la vie privée et a écopé d’une amende de 100.000 euros. Une somme encore jamais atteinte en matière de droit à la vie privée. En Belgique, une amende supérieure pourrait être imposée pour cette atteinte. La question, ici encore, demeure centrale de savoir s’il faut se baser sur un système d’opposition a posteriori ou de consentement préalable. « A l’instar du droit d’auteur, le droit à la vie privée repose a priori sur un consentement préalable. Pour reprendre l’exemple de StreetView, Google devrait donc obtenir toutes les autorisations de tous les propriétaires avant de montrer leur maison. Or, c’est ingérable. Pour le moment, Google préfère renverser les principes du droit à la vie privée et laisser aux individus l’opportunité de signaler un problème a posteriori. »

Et demain ?

Pour Alain Strowel, « l’objectif des actions introduites contre Google ne doit pas être le blocage à tout prix des projets lancés par la firme américaine – dont la finalité est souvent positive – mais bien l’équilibre entre les intérêts des différentes parties. » Le spécialiste des droits intellectuels insiste également sur le fait qu’il reste aujourd’hui à inventer les institutions compétentes – sinon au niveau international, à tout le moins à l’échelon européen – capables de réguler l’espace sans frontières d’Internet. Les soubresauts juridiques mêlant Google sont en effet loin d’être terminés, même si, avec son nouveau PDG (3) , la firme américaine devrait se montrer plus prudente.

En matière d’innovation, le moteur de recherche généraliste ne devrait plus à l’avenir être basé sur des requêtes impulsées par les internautes. Google proposerait spontanément des suggestions en fonction des comportements et de la position géographique des usagers. Sans masquer une certaine inquiétude, Alain Strowel constate : « si Google parvient à savoir que tel individu n’a plus acheté de lait depuis un certain temps, on peut imaginer qu’en passant devant une épicerie par exemple, l’individu en question reçoive un rappel sous la forme d’une suggestion d’achat. La prochaine étape est peut-être celle-là. Google avance en tout cas dans le sens d’une intensification du ciblage publicitaire grâce à la multiplication des données personnelles et de géolocalisation. Cela peut à terme affecter le comportement en société voire même le rapport aux autres. » Et, revenant sur les projets en matière de livres, Alain Strowel de poursuivre pour conclure : « L’on peut également imaginer que la publicité aura envahi les marges voire le corps de texte des livres en ligne. Et là, c’est notre rapport au savoir qui en ressortira modifié. » 
Google teste le droit et dessine l’avenir d’Internet. Au fur et à mesure qu’il change, il est fort probable que le reste du monde en ligne le suive.

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(1) Alain Strowel, « Quand Google défie le droit. Plaidoyer pour un internet transparent et de qualité. », Ed. de boeck & larcier, 2011.

(2) Copiepresse est une société de gestion de droits des éditeurs belges de la presse quotidienne francophone et germanophone.

(3) Larry Page a succédé à Eric Schmidt au poste de PDG en avril 2011.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_39689/fr/quand-google-defie-le-droit?printView=true - 20 avril 2024