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Jean-Louis Doucet : « Il y a trop de mythes autour de la forêt africaine et du commerce de son bois »
12/12/2011

Passionné par l’Afrique centrale, Jean-Louis Doucet dirige, depuis 2003, le Laboratoire de Foresterie des régions tropicales et subtropicales de Gembloux Agro-bio Tech (ULg). Sa connaissance approfondie du second plus grand massif forestier tropical de la planète après l’Amazonie – et, de loin, le moins dégradé à l’heure actuelle –  fait de lui un témoin clef et un acteur engagé de l’exploitation « durable » de ces gigantesques massifs. Lors d’une visite sur le terrain au Cameroun (lire l’article L'Exploitation forestière, entre le marteau et l'enclume), Reflexions lui a longuement donné la parole pour corriger certains clichés sur le commerce du bois, mais aussi détailler les avancées de la recherche scientifique.

Avec votre équipe, vous remettez souvent en cause un certain nombre d’idées reçues sur les forêts tropicales et, singulièrement, sur le bois qui en est exporté vers nos pays. Quels sont ces clichés qu’il nous faut abandonner ?

Jean-Louis Doucet : Le premier, c’est celui qui circule autour de la forêt « vierge », qui serait une sorte de forêt qui n’aurait jamais été fréquentée par l’homme. En réalité, on sait aujourd’hui que les vastes forêts du Gabon et du Cameroun, pour ne citer que ces deux pays, ont été profondément marquées par les activités humaines. Celles-ci sont attestées, notamment, par les fragments de poteries ou le charbon de bois présents dans les couches superficielles du sol. Ces traces datent de plusieurs siècles et, dans certains cas, remontent à plusieurs milliers d’années.  Il est d’ailleurs probable qu’une bonne partie des espèces d’arbres actuellement rencontrées en forêt, caractérisées par un important besoin de lumière pour leur croissance (elles sont dites « héliophiles »), doivent précisément leur présence à l’activité humaine, particulièrement à l’agriculture itinérante sur brûlis. Le second cliché, c’est que l’exploitation du bois tropical compromet l’avenir des massifs forestiers. En réalité, l’exploitation telle qu’elle se pratique aujourd’hui en Afrique centrale est extrêmement sélective. On n’y prélève qu’un à deux arbres par hectare soit 5 à 15 mètres cubes, ce qui représente une quantité nettement moindre qu’en Amazonie et surtout  qu’en Asie, les deux autres grands massifs forestiers tropicaux de la planète. On culpabilise ainsi à tort le consommateur européen sur sa consommation de bois tropicaux. La FAO (l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime d’ailleurs que l’agriculture vient largement en tête des causes de la déforestation mondiale, à raison de près de 80 %. Le corollaire du deuxième cliché est le suivant : loin de favoriser l’avenir à long terme des forêts africaines, l’attitude de boycott du bois issu de ce continent a des répercussions négatives pour le développement des populations locales. Si elle est bien conçue et encadrée - je pense tout particulièrement à la certification de type Forest Steward Council (FSC) ou Programme for the Endorsment of Forest Certification schemes (PEFC), l’exploitation de bois contribue, au contraire, à la pérennité des forêts tout en contribuant à faire émerger un tissu économique, source d’emplois pour les populations locales..

JLDoucet terrain
D’où viennent ces clichés ?

Certaines ONG (organisation non-gouvernementales) diffusent un discours simpliste, nourri d’images spectaculaires. D’autres, ou les mêmes, réussissent à faire inscrire dans les réglementations nationales ou internationales des concepts flous - comme les « forêts à haute valeur de conservation » ou les « intact forest landscapes » - qui, si séduisants soient-ils lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention sur des espèces à fort contenu émotionnel (gorilles, chimpanzés, éléphants…), reposent sur des données scientifiques fragiles ou non fondées. Certes, historiquement, il faut mettre au crédit de certaines ONG internationales la création du label FSC. D’une exigence très pointue pour les exploitants forestiers, celui-ci permet d’orienter l’exploitation des forêts dans un sens beaucoup plus durable. Mais d’autres ne cessent  aujourd’hui de critiquer le FSC ; ou font l’amalgame entre, d’une part, des pays qui sont plongés depuis plus de quinze ans dans une logique louable de refonte de leur code forestier (le Cameroun, le Gabon…) et, d’autre part, la République démocratique du Congo (RDC) qui sort à peine de la guerre et qui, de fait, a encore énormément de pain sur la planche si elle veut garantir l’avenir de ses forêts. Cette confusion régulièrement entretenue, cette façon de pointer systématiquement tout ce qui ne va pas au lieu de souligner ce qui va de l’avant, est évidemment compréhensible dans le chef d’organisations qui font du lobbying environnemental le cœur de leurs activités. Mais cela peut s’avérer contreproductif et mener à des situations ubuesques. Ainsi, dans un passé pas si éloigné, le discours excessif d’une ONG française sur l’exploitation du Moabi, une essence précieuse pour les communautés locales, a poussé un grand groupe de l’Hexagone à abandonner, de guerre lasse, toute utilisation de Moabi. Mais ce revirement s’est fait au prix de prélèvements plus importants d’une autre essence (le Douka) qui – un comble ! – se régénère beaucoup plus difficilement que le Moabi. Cela dit, les grandes agences de conservation de la nature portent aussi une part de responsabilité dans les confusions qui règnent autour des forêts tropicales. Par exemple lorsqu’elles classent sur les « listes rouges » des espèces qui, en réalité, ne sont pas très bien connues scientifiquement. C’est le cas de l’Assamela (ou Afrormosia), une espèce dont la Belgique est un des plus gros importateurs (lire l'article Protéger la forêt africaine: oui mais pas à l'aveuglette!). Nos travaux ont montré que si le nombre de jeunes pousses dans la forêt camerounaise, notamment, est actuellement bas, ce n’est pas tant à cause de problèmes liés à l’exploitation forestière qu’en raison d’une présence humaine plus réduite qu’auparavant. Le brûlis itinérant d’autrefois favorisait, en effet, les trouées de lumière et, de là, la régénération de cette essence héliophile.

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