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Jean-Louis Doucet : « Il y a trop de mythes autour de la forêt africaine et du commerce de son bois »
12/12/2011

Sur le plan écologique, quel peut être l’influence d’une certification FSC ?
Deux exemples : au Cameroun, les auditeurs ont imposé à Pallisco d’étudier la phénologie de plusieurs espèces, parmi lesquelles le Sipo, une espèce commerciale qui a pour caractéristique d’être extrêmement disséminée en forêt et d’avoir une fructification plutôt irrégulière. Conséquence : ladite société a mobilisé 4 personnes, quasiment à temps plein, pour suivre ces espèces sur un territoire énorme. Parmi diverses mesures, elle a dû marquer des centaines d’arbres sur un territoire étiré sur une longueur de 200 kilomètres. L’objectif est de voir si le diamètre d’exploitation est compatible avec la fructification de l’arbre. Ce genre d’exigence requiert des moyens humains et matériels considérables. Au Gabon, deux espèces - le Douka et le Moabi – sont interdites à l’exploitation. Cela n’a pas empêché des auditeurs FSC d’imposer  un dispositif de surveillance de ces arbres au cas où la législation devait changer un jour et autoriser leur exploitation…  Là aussi, l’exploitant – CEB Precious Woods - a dû y aller de sa poche. Avec l’aide de notre laboratoire, l’entreprise a installé un programme d’enrichissement et de maintien de la diversité génétique de ces arbres sur un territoire de 600 kilomètres carrés avec l’aide d’étudiants de l’Université de Franceville. Peu après, les auditeurs sont revenus et sont allés vérifier en forêt, une par une, les données mentionnées sur nos fiches. En cas de problème, la société était menacée d’une suspension de sa certification. Ce qui, commercialement, eût été une catastrophe. Ces exemples démontrent qu’en dépit de marges d’interprétation assez larges laissées aux auditeurs, l’ensemble du système de certification est continuellement tiré vers le haut. Toute défaillance serait immédiatement stigmatisée par les ONG.

D’après le Cetri (4), les importations de bois africain vers la Chine ont triplé entre 1993 et 2010, comptant dorénavant pour 13 % du bois africain exporté. Or il est notoire que le bois certifié, dont vous vantez les mérites, est quasiment absent des marchés asiatiques. De plus, même des sources officielles, peu suspectes d’alarmisme écologique, prétendent que 30 à 50 % du bois exporté d’Afrique est d’origine illégale. Ce genre de constat ne relativise-t-il pas considérablement la portée de tous ces efforts scientifiques et industriels de durabilité ?
Tôt ou tard, la demande de bois certifié va probablement émerger en Asie, à l’instar de l’Europe. De plus en plus d’entreprises asiatiques (chinoises, mais aussi indiennes) rachètent les groupes européens qui ont peu ou prou l’expérience de la certification, sans la remettre en cause par la suite. On l’a vu récemment avec le rachat de CIB, attributaire du plus grand massif tropical continu certifié au monde (plus d’1 million d’hectares !), par un groupe indien. Je reconnais qu’en raison de leur degré élevé d’exigence, les critères FSC sont très difficiles - voire impossibles - à respecter par les petits exploitants et, notamment, les exploitants des forêts communautaires (NDLR : celles-ci s’étendent sur 1,4 million d’hectares au Cameroun). Mais le récent processus européen Flegt, qui repose sur des partenariats bilatéraux entre l’Union européenne et les pays africains, va progressivement aboutir à ce que l’ensemble des productions et exportations de bois d’Afrique centrale, qu’elles soient certifiées ou non, respectent à l’avenir les critères nationaux de légalité. En soi, c’est une révolution. C’en sera fini, des concessions attribuées sans la transparence requise ou des exploitations entamées sans un plan d’aménagement digne de ce nom. Il faut rappeler que tous les pays du bassin du Congo se sont lancés dans des réformes de leur code forestier, dont le respect sera dorénavant assorti d’aides financières de l’Union européenne. On parle même, à propos de Flegt, d’un système de traçabilité du bois via des codes barres… Même des pays asiatiques – Malaisie, Indonésie, Vietnam – se sont récemment engagés dans ces formules de partenariat volontaire avec l’Europe.

Assez pour être optimiste quant à l’avenir des forêts tropicales africaines?
Toutes ces évolutions positives méritent en tout cas d’être soulignées. Près de 5 millions d’hectares sont actuellement certifiés FSC dans le bassin du Congo et 30 autres millions d’hectares sont en cours d’élaboration d’un plan d’aménagement durable. Les rapports des auditeurs sont de plus en plus exigeants, contribuant même à inspirer de nouvelles pratiques et réglementations. Au lieu de casser cette dynamique par des slogans de mauvaise foi ou par l’hypermédiatisation de ce qui ne va pas, soutenons-là. Au lieu d’en appeler au gel de la certification ou au boycott des bois tropicaux, comme le font certaines ONG, tirons vers le haut les groupes et les individus qui sont susceptibles d’améliorer leurs pratiques et invitons-les à intégrer la certification. Sans oublier que si la forêt régresse aujourd’hui, c’est principalement parce qu’elle est convertie en terres agricoles par les populations en pleine croissance démographique et par de grands groupes agro-industriels. Sans parler des méga projets industriels d’exploitation d’un sous-sol d’une incroyable richesse… En fin de compte, le commerce du bois est probablement l’un des outils les plus pertinents de conservation des écosystèmes forestiers.

Propos recueillis par Philippe Lamotte

Elaguage

(4) « La Chine en Afrique : menace ou opportunité pour le développement ? » Centre Tricontinental. Vol.2/2011

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