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Jean-Louis Doucet : « Il y a trop de mythes autour de la forêt africaine et du commerce de son bois »
12/12/2011

Des travaux de ce genre se situent clairement au croisement entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Quelle est la singularité du modèle de collaboration que votre Laboratoire a initié avec les opérateurs industriels ?
Doucet ForetsLa logique est celle du win-win (gagnant-gagnant). Les exploitants forestiers engagés dans la certification FSC ont besoin des travaux et des conseils de notre Laboratoire et de l’ASBL Nature + (3). Ils sont en effet tenus de rendre compte très régulièrement aux certificateurs FSC de leurs efforts en matière de respect de la forêt et de ses occupants. Leurs modalités d’exploitation doivent reposer en permanence sur des connaissances scientifiques sérieuses et crédibles. De notre côté, nous disposons dans ces régions, en tant qu’institution universitaire, d’un formidable terrain d’observation et d’expérimentation pour nos étudiants, nos doctorants et nos chercheurs qui, en outre, bénéficient d’infrastructures d’accueil correctes dans ces régions reculées. Bien sûr, les exploitants restent libres de ne pas tenir compte de nos connaissances, travaux et recommandations. Il nous arrive, par exemple, de préconiser des diamètres minimaux d’abattage plus élevés que ceux prévus par la législation d’un pays comme le Gabon ou le Cameroun. Ce qui, pour l’exploitant, peut  représenter une réduction  du volume de bois prélevé, et donc une perte sèche. Mais il arrive aussi que nos recommandations aillent dans le sens contraire, suggérant que les prélèvements de bois peuvent être augmentés sans nuire aux capacités de régénération à long terme de l’écosystème. Certains résultats de recherche, d’ailleurs, amènent à questionner la pertinence des normes réglementaires, qui peuvent alors être revues. Ce partenariat entre l’université et l’exploitant repose sur une relation de confiance patiemment tissée et sur la conviction que chacun a intérêt à se nourrir de l’expérience de l’autre.

Le Laboratoire de foresterie tropicale et subtropicale a été créé en 2003. Quel bilan de ses activités et de Nature + pouvez-vous tirer à  l’heure actuelle ?
Plusieurs aspects particuliers me tiennent à cœur. D’abord, en quelques années, nous avons mis en place une équipe d’une vingtaine de personnes parfaitement intégrée au sein de l’Unité de gestion des ressources forestières et des milieux naturels. Riche de sept nationalités différentes, cette équipe se caractérise par une grande complémentarité des compétences. Plus de 60 mémoires de fin d’études ont été encadrés, trois doctorants ont été diplômés et dix autres poursuivent leurs travaux. Les publications scientifiques se succèdent à un bon rythme. Ensuite, je crois pouvoir dire que nos programmes de reboisement forestier des essences commerciales les plus vulnérables sont pionniers en Afrique centrale. Pour bien mesurer l’impact de ceux-ci, je ne prendrais qu’un exemple : la société Pallisco s’est récemment engagée à doubler son équipe d’enrichissement forestier au Cameroun, créée il y a à peine trois ans. Elle comptera bientôt 13 personnes, dirigée par un ingénieur forestier. Or, les arbres qu’elle replante aujourd’hui avec notre aide ne seront intéressants pour elle, sur le plan commercial, que dans cent ou deux cents ans ! C’est donc bien qu’elle est convaincue, par ses efforts, de contribuer à la gestion raisonnée de la forêt, celle-là même qui est exigée et vérifiée de très près par les auditeurs FSC.  Le même mouvement est perceptible chez nos autres partenaires (SFID, Precious Woods, Wijma). Globalement, je dirai que mon principal sujet de satisfaction réside dans le fait d’avoir mis au point un modèle de collaboration solide avec les entreprises engagées dans l’exploitation certifiée des forêts africaines. Grâce à un patient travail de contacts et de relations avec les exploitants sérieux (d’abord au Gabon, au Cameroun, en République du Congo et,  plus récemment, en République démocratique du Congo), les divers acteurs du monde forestier tropical comprennent que notre Laboratoire est un partenaire fiable. Qu’il s’agisse de travaux de fin d’étude ou de doctorats, nos étudiants disposent désormais, sur un territoire potentiel de 2 millions d’hectares (3 à 4 fois la forêt belge !), de conditions de travail proches de l’idéal. N’oublions pas que le cadre tropical est exigeant, à la fois physiquement et mentalement. Plongés parfois plusieurs jours en forêt, nos étudiants, s’ils ne disposent pas d’un minimum de support logistique et d’un encadrement humain suffisant (notamment pour se familiariser aux différences culturelles), pourraient rapidement se laisser déborder par  les conditions de travail éprouvantes. J’ajoute que, pour eux, il est aussi intéressant de se frotter très rapidement aux contraintes de terrain liées à la gestion de ce type d’entreprise.  Enfin, outre les collaborations initiées avec le secteur privé, il convient de souligner les collaborations scientifiques tissées avec de nombreux partenaires nationaux et internationaux. Le partenariat mené avec des organismes africains de formation et de recherche (par exemple, Université de Yaoundé I au Cameroun, ENEF et USTM au Gabon, ERAIFT en RDC) est indispensable et bénéficiaire aux deux parties.

Comment se lance-t-on dans l’exploitation d’une parcelle forestière tropicale? L’exploitant ne rentre pas dans la forêt à l’improviste, en se demandant ce qu’il va bien pouvoir abattre ce jour-là….
Loin de là ! Une fois les concessions  forestières attribuées par les autorités, les exploitants doivent réaliser des plans d’aménagement prévus à un horizon de vingt-cinq à trente ans selon les pays. Concrètement, cela signifie que chaque parcelle ne sera visitée par les bûcherons et les débardeurs qu’une seule fois sur une telle période, puis intégralement laissée au repos.  Avant son exploitation, elle doit avoir été inventoriée de A à Z, sous le contrôle des diverses administrations, pour sa richesse ligneuse, mais aussi biologique et « humaine ». En effet, de tels espaces peuvent être riches en lieux sacrés (cimetières, sites cérémoniels, etc.) qui, dans un souci de coexistence pacifique avec les populations locales, doivent absolument être respectés lors des abattages et transports en forêt. Par ailleurs, on n’exploite pas à l’aveuglette : les techniques d’échantillonnage permettent d’évaluer au plus près le volume de bois disponible en fonction des essences. Mais il va de soi que le label FSC rend ces exigences bien plus contraignantes, par exemple en matière de traçabilité du bois. Ainsi, à tout moment, l’exploitant doit pouvoir justifier que les arbres abattus sont bien conformes aux plans de gestion annuels. Entre la souche de l’arbre, annotée juste après l’abattage, et la planche sortant de la scierie, la traçabilité doit être totale. La certification FSC contraint aussi les industriels à mettre au point des espaces de dialogue et de concertation avec les populations autochtones. Dans les sociétés les plus conscientisées sur leurs responsabilités sociétales, les réalisations, pas toujours faciles à mettre en œuvre, peuvent requérir des moyens importants.

(3) Créée en 2000, Nature + est une ASBL proche du Laboratoire de foresterie tropicale et subtropicale de Gembloux Agro-Bio Tech spécialisée dans l’appui des gestionnaires de milieux forestiers tropicaux dans une perspective durable. Elle leur permet d’utiliser d’une manière concrète les résultats des recherches scientifiques menées par le Laboratoire. Parmi ses spécialités, l’aide à la gestion technique et organisationnelle des forêts communautaires au Cameroun. Ces dernières permettent aux communautés locales, parallèlement aux exploitations industrielles de grande taille (européennes et asiatiques),  de créer des revenus à partir de l’exploitation des produits ligneux et non ligneux de la forêt. Grâce aux conventions conclues avec divers opérateurs (entreprises, ONG, pouvoirs publics…), Nature + intervient notamment dans les programmes de plantation et de reboisement d’espèces tropicales, de même que dans leur suivi scientifique.

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