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Jean-Louis Doucet : « Il y a trop de mythes autour de la forêt africaine et du commerce de son bois »
12/12/2011

Justement, comment expliquer qu’on connaisse si peu l’écologie des forêts tropicales ?
D’abord parce que le nombre d’espèces d’arbres n’a aucune commune mesure avec la richesse qu’on trouve en forêt tempérée, comme en Europe. On compte en effet, en forêt tropicale humide, près de 1000 espèces différentes, dont moins d’une centaine présentent un intérêt commercial. Parmi celles-ci, moins de cinq assurent plus de 50 % des exportations vers l’Europe et l’Asie. Ensuite parce qu’on a assisté, ces dernières décennies, à une érosion des connaissances scientifiques dans les pays africains concernés, due au sous-financement de la recherche appliquée et à un certain désintérêt des bailleurs de fonds pour la foresterie. Résultat : la communauté scientifique des six principaux pays couverts par la forêt dense humide (1) compte peu de vrais spécialistes en écologie forestière et en sylviculture. C’est la raison pour laquelle le partenariat avec des équipes comme celles de notre laboratoire, à Gembloux, est important. En matière de recherche, en effet, tout est à faire, ou presque. Ainsi, on manque cruellement de données de base sur l’écologie de la plupart des espèces d’arbres, y compris celles qui sont très exploitées : le Tali, l’Okan, l’Ayous, le Sapelli, etc. On ignore beaucoup de choses sur leur régénération naturelle, leur diversité génétique, leur démographie, leur besoin en lumière aux différents stades de croissance, etc. Or quelques essences fortement exploitées présentent des fragilités. L’Ayous, par exemple, l’une des essences de bois blanc  très prisées dans ces forêts, ne fructifie en moyenne que tous les huit ans. Il est donc important de mieux la connaître si on veut continuer à l’exploiter d’une façon raisonnée. Des espèces aussi fréquentes que l’Iroko ou le Tali ont été très peu étudiées en Afrique centrale. Dans certains cas, même la systématique semble à revoir : le nom et le classement taxonomique de certaines espèces est douteux. Ce n’est qu’une fois qu’on sera en possession de ces données écologiques de base que l’on pourra modéliser l’évolution des peuplements sur le long terme.

Pour certaines espèces, il est parfois intéressant de pousser assez loin l’étude génétique…
Oui, c’est le cas du Tali, par exemple, une espèce qui a de grandes difficultés de régénération dans toute l’Afrique centrale. Avec l’ULB, nous étudions, dans des sites établis sur les concessions des sociétés Pallisco au Cameroun et Precious Woods au Gabon, l’héritabilité de certaines caractéristiques de cette essence  - croissance, configuration… - sur des arbres dont les semences proviennent de trois pays différents. Exemple de questions que nous nous posons : si un arbre est tordu, ses descendants le seront-ils également ? Quelles sont les provenances les mieux adaptées à telle ou telle condition écologique ? Le but ultime consiste à obtenir les provenances les plus intéressantes en termes de production, mais aussi à identifier celles qui développent les meilleures capacités de résistance face à des agents extérieurs « agressifs », comme pourrait l’être un réchauffement sensible du climat. Cela nous a amenés, il y a un peu plus de dix ans, à créer des pépinières implantées sur les sites des sociétés forestières les plus avancées dans l’exploitation durable, celles qui pratiquent la certification FSC. Nous y observons l’évolution des jeunes arbres, particulièrement les espèces qui semblent se régénérer le plus difficilement en forêt, et nous testons des programmes de plantation dans les trouées d’abattage, les pistes de débardages et les forêts secondaires. Par « forêts secondaires », il faut entendre des sites forestiers qui ont autrefois fait l’objet d’une occupation humaine sous la forme d’une agriculture sur brûlis. Aujourd’hui abandonnés, certains sont envahis par des lianes, des arbustes ou des essences à faible durée de vie, peu intéressantes pour l’exploitation et qui ne garantissent pas le maintien d’un couvert forestier à long terme. Certes, on peut considérer cela comme une évolution « normale » des forêts. Mais, dans ce cas, qu’on n’en parle pas comme de forêts « vierges ». Surtout, qu’on n’oublie pas que de telles forêts secondaires, si on les laisse aller à elles-mêmes, sont loin d’être nécessairement les plus riches en matière de biodiversité, ni celles qui pourront le plus utilement jouer le rôle de stocks de carbone auxquels les  grands massifs tropicaux vont nécessairement contribuer dans le cadre de la lutte contre le réchauffement.

Replants

Que sait-on sur le passé de ces forêts, puisqu’elles n’ont pas toujours été, loin s’en faut, des territoires « vierges » ? Ces régions ont-elles seulement été couvertes de forêts au cours des derniers millénaires ? A quoi ressemblaient-elles autrefois ?
On connaît relativement bien les phénomènes paléo-climatiques qui ont marqué ces zones tropicales. Au rythme des grandes glaciations, qui se sont produites environ tous les 100 000 ans, ces forêts ont régulièrement perdu une grande partie de leur superficie, certaines zones réduites se transformant alors en refuges pour la biodiversité. On sait également qu’il y a 2500 ans, les forêts d’Afrique centrale ont été affectées par un réchauffement du climat et une plus forte saisonnalité. Par ailleurs, ces forêts ont été largement occupées par l’homme, mais on ignore beaucoup de choses sur la dynamique exacte de cette occupation. Quels ont été les déplacements de populations ? Quelle a été l’importance des brassages d’ethnies ? Or, cette occupation a très probablement joué un rôle important dans la configuration de la forêt et cela, jusqu’à notre époque. Sinon, comment expliquer que la plupart des espèces actuelles, exigeantes en lumière, aient pu s’implanter en dépit d’un couvert forestier important et à croissance rapide ? C’est la raison pour laquelle, en collaboration avec d’autres disciplines (anthracologie, archéologie, génétique, pédologie…), nous étudions et fouillons les sols à la recherche notamment de charbon de bois et de débris divers, témoins des activités humaines. La structure anatomique du bois étant conservée lors de la combustion, il est possible, via des analyses microscopiques, de se faire une idée des végétaux présents il y a plusieurs siècles, voire de remonter sur plusieurs millénaires. On peut également mieux connaître le climat d’autrefois dans ces régions en complétant nos travaux anthracologiques  par les apports de la dendrochronologie (la détermination de l’âge des arbres grâce à l’observation des cernes) et de la palynologie (l’étude des pollens).  De telles fouilles, résolument multidisciplinaires et pratiquées en collaboration avec le Musée d’Afrique centrale de Tervuren et de nombreux autres partenaires européens, notamment dans le cadre du projet CoForChange (2)  sont parmi les premières du genre en Afrique centrale. L'intérêt de telles recherches, dans un contexte de changement global, a également été reconnue par le FNRS, qui financent l'un de nos projets au Cameroun.

(1) Le bassin du Congo s’étend sur la République démocratique du Congo, le Congo-Brazzaville, le Gabon, le Cameroun, la République centrafricaine et la Guinée Equatoriale.
(2) CoForChange a pour objectif d'expliquer et de prédire les évolutions possibles des forêts tropicales du Bassin du Congo: l’enjeu est d'améliorer l'efficacité des politiques publiques et des programmes de gestion/conservation de la biodiversité menés par les pays africains et par l’Europe dans cette région. Il est mis en oeuvre par un consortium interdisciplinaire dirigé par le CIRAD (France) ; ce consortium associe huit institutions (dont GxABT-ULg) de quatre pays européens  (Belgique, France, Italie et Royaume-Uni), cinq institutions de quatre pays d'Afrique centrale  (Cameroun, République centrafricaine, République du Congo, Gabon) et une organisation internationale . Le projet est financé par l'ANR (France), le NERC (RU) et co-financé par les quatorze partenaires. D'une durée de 48 mois , il a démarré en janvier 2009.

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