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L’exploitation forestière, entre le marteau et l’enclume
28/10/2011

Poteries et charbons de bois

Au Laboratoire de Gembloux, on sait que ce contexte difficile - braconnage, corruption, manque de moyens humains et financiers - ne contribue pas à redorer l’image donnée par l’exploitation forestière dans les pays européens. Il importe donc de mieux faire connaître les efforts des entreprises engagés dans la gestion durable et la certification FSC. Cette démarche passe notamment par la rupture d’un cliché : celui d’une forêt africaine plus ou moins « vierge », qui serait envahie par des activités de bûcheronnage dévastatrices. La présence de fragments de poteries démontre, au contraire, que les forêts de l’ensemble de la zone Cameroun-Gabon, à quelques exceptions près, ont été régulièrement occupées par l’homme au cours des deux derniers millénaires. Si cette occupation n’a pas été sans impact sur la configuration actuelle de la forêt, il est également intéressant de savoir comment l’exploitation d’aujourd’hui pourrait contribuer à la structure forestière qui prévaudra dans cent ou deux cents ans.

Au lieu dit « Kongo », quelque part sur la route de Mindourou, un étrange ballet d’ouvriers camerounais se déroule en pleine brousse sous l’œil moqueur de singes bruyants. Tandis que les uns prélèvent à grande peine des carottes de terre dans le sol, d’autres, assis au bord de petites cuvettes découpées à la bêche, font patiemment rouler de minuscules mottes de terre entre le pouce et l’index à la recherche de débris de poteries et de charbon de fois. Présents par centaines, de minuscules abeilles assaillent en permanence l’étrange équipée, vrombissant dans les oreilles et s’insinuant jusque dans les narines. Un travail d’archéologue ? En partie, oui, puisqu’il s’agit de mettre la main sur les traces d’une présence humaine qui remonte probablement à plusieurs siècles. Mais bien plus que cela, en réalité...

CarotageJason Vleminckx, doctorant de première année à l’ULB, passe en quelque sorte son épreuve du feu sous les yeux de Jean-Louis Doucet : cinq jours d’immersion totale en forêt, à la tête d’une équipe d’ouvriers du cru, loin de tout relais de télécommunication. Une mission scientifique « à la dure », assurément, qui consiste à récolter le matériau qui servira de base à sa thèse. Le jeune biologiste et son équipe ont subdivisé une surface forestière, préalablement sélectionnée, en une vingtaine de placettes de 2000 mètres carrés. Aux coins de chacune d’entre elles, ils réalisent un carottage à la tarière et analysent notamment la composition physico-chimique du sol. Au centre, ils creusent une fossette et procèdent inlassablement au même travail : déceler de minuscules résidus de charbon de bois, qui, par la suite, à l’issue d’une analyse anthracologique réalisée en laboratoire, livreront des informations sur les espèces d’arbres qui vivaient ici autrefois. « Chacun de ces charbons de bois est la trace d’une occupation humaine, explique le doctorant : par exemple un feu de cuisine ,une activité artisanale ou encore une portion de forêt brûlée pour y pratiquer l’agriculture. Une analyse microscopique nous informera sur le type d’arbres présents à l’époque concernée ». Tout au long de ce travail de Bénédictin, les résidus de charbon de bois, soigneusement distingués de divers débris minéraux, et, parfois, de fragments de poteries, sont glissés dans des petits bocaux destinés aux laboratoires de Bruxelles (ULB), de Tervuren (Musée d’Afrique centrale) ou de Gembloux Agro-bio Tech.

« L’aspect multidisciplinaire de ce genre de travaux est passionnant, complète Jean-Louis Doucet. Et… rare dans le monde scientifique lorsqu’il s’agit du bassin du Congo ! Nous sommes en effet, ici, au croisement de disciplines aussi variées que la climatologie, l’archéologie, l’anthracologie, la botanique, la génétique, etc. En analysant et en datant le charbon de bois, on peut déterminer la communauté végétale qui vivait à cet endroit à différentes époques, et cela en fonction de divers facteurs : l’activité humaine, la topographie, le type de sol, le mode de dispersion des espèces, etc. Mais ce genre d’hypothèse n’est possible que si l’on connaît suffisamment l’écologie des espèces concernées. On sait déjà, par exemple, que si une espèce comme l’Afrormosia, très appréciée sur le marché européen, a de la peine à se régénérer naturellement, ce n’est pas en raison d’une prétendue surexploitation, mais parce qu’elle ne peut plus bénéficier des trouées de lumière liées à l’activité humaine itinérante telle qu’elle se pratiquait ces deux derniers siècles (lire l’article Protéger la forêt africaine : oui, mais pas à l’aveuglette !). Peut-être l’avenir d’autres espèces est-il lui aussi, paradoxalement, conditionné par le type d’activités humaines exercées en forêt… ».

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