Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

L’exploitation forestière, entre le marteau et l’enclume
28/10/2011

Des moyens dérisoires

L’autre défi, dans ces régions reculées, réside dans l’absence d’efficacité de l’Etat et la corruption. Dans son minuscule bureau de Lomié (Département du Haut Nyong) criblé d’affiches sur la lutte contre le braconnage et la corruption, le chef de poste Léon Mtapié Djouedjeu pousse un profond soupir. Son rêve d’ingénieur des eaux et forêts est consigné dans le manuel de service qu’il glisse, un peu timidement, sous les yeux de ses visiteurs. S’y alignent, noir sur blanc, les nouvelles missions de contrôle récemment assignées à son office. C’est à lui et son équipe, en effet, que reviennent les tâches de surveillance administrative et sur le terrain dans toutes les forêts aux alentours. Mais quelle équipe, au juste? L’homme est seul, désespérément seul, pour contrôler un territoire de 13 000 kilomètres carrés, soit pas loin de la moitié du territoire belge ! C’est tout juste s’il peut compter sur un groupe de « stagiaires » : des collaborateurs permanents et… non rémunérés. Son véhicule professionnel ? Une moto, régulièrement en panne. Il n’a d’autre choix que de quémander aux exploitants - ceux-là même qu’il est censé contrôler - de mettre un véhicule à sa disposition…

Si la corruption est dénoncée dans tous les discours (et dès la descente d’avion dans le hall de l’aéroport de Yaoundé), elle reste insuffisamment combattue. Quantité d’organismes officiels et d’observateurs internationaux la qualifient de plaie numéro 1 du Cameroun. « Transparency International  (NDLR : l’ONG la plus vigilante dans ce domaine) a plébiscité trois fois le Cameroun comme champion du monde de la corruption lors des dix dernières années », rappelle Jean Nke Ndih, chercheur au Centre d’études environnementales et sociales de l’Université de Yaoundé 1 (1). « Un très bon indicateur sur les questions liées à la forêt… ». Ce phénomène est étroitement lié à la pauvreté, particulièrement marquée dans les zones forestières reculées. Un Camerounais sur deux survit aujourd’hui avec moins de deux dollars par jour et le pays est classé en 144ème position sur 177 dans l’indice de développement humain des Nations-Unies. Un sort peu enviable.

Dès le début des années nonante, poussé dans le dos par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), le pays s’est lancé dans une grande réforme de sa législation forestières : rotations de coupes étalées sur trente ans, arrêt des déplacements forcés de population des ethnies forestières - Pygmée, notamment- , remplacement du gré à gré par les appels d’offres pour l’attribution des concessions, création du statut de « forêts communautaires » (gérées par les villageois eux-mêmes), etc. Autant de bonnes résolutions qui avaient pour ambition d’assurer une plus juste distribution de la manne forestière à l’ensemble de la population et, de là, de mieux lutter contre la pauvreté.
Las ! Dix à quinze ans plus tard, et malgré l’entrée en vigueur

de plusieurs vagues de réformes, le bilan reste très mitigé. En 2006, déjà, des chercheurs européens avaient fait un constat cruel : chaque année, 540 000 mètres cubes de bois quittent la forêt camerounaise sans aucun contrôle ni suivi par l’Etat : le quart de la production nationale. Dans les quatre années qui ont suivi, une mission de surveillance de la gouvernance, cofinancée par la Commission européenne, n’a pas abouti à des conclusions plus enthousiastes. Si l’illégalité à nettement régressé au sein des concessions forestières attribuées aux sociétés étrangères et si les plans d’aménagement ont tendance à devenir la norme, le reste des activités menées en forêt semble s’opérer dans la plus grande anarchie : blanchiment de bois dans les forêts communautaires, absence de contrôles aux points névralgiques du transport, corruption et interventionnisme de la hiérarchie administrative et politique, inefficacité de la Brigade nationale de contrôle (BNS), défaillances dans la chaîne de traçabilité, fraudes fiscales généralisées, amendes rarement payées... Une véritable litanie, dénoncée dans les rapports de l’Observatoire indépendant des forêts.

Elagage Cameroun

(1) « Déforestation : causes, acteurs et enjeux», Centre Tricontinental, septembre 2008

Page : précédente 1 2 3 4 5 suivante

 


© 2007 ULi�ge