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Cancer : sur la piste de miR-503

17/08/2015

Dans un article récent publié par la revue Oncotarget(1), des chercheurs du Laboratoire d'angiogenèse moléculaire du GIGA-Cancer de l'Université de Liège mettent en évidence l'action des exosomes endothéliaux et des microARN qu'ils contiennent sur la croissance tumorale. Leur étude montre en effet que le microARN miR-503 transféré dans des cellules cancéreuses mammaires humaines, y induit un changement ayant pour conséquence d'en réduire les capacités prolifératives et invasives.

Au début des années 2000, les biologistes se sont rendu compte que les micro-ARN, petits non codants, jouaient, chez les mammifères et chez l'homme, un rôle beaucoup plus important qu'on ne le pensait auparavant. Certes, on savait qu'ils remplissaient une fonction dans le métabolisme des plantes, encore mal connue par ailleurs, mais on ignorait en revanche qu'ils étaient fortement exprimés chez l'être humain et, qui plus est, avec de fortes variations dans de nombreuses pathologies.

Les exosomes, eux, avaient été identifiés depuis les années 1980 comme étant de petites vésicules membranaires de forme sphérique et d'un diamètre oscillant entre 40 à 100 nanomètres. Initialement, il était communément admis qu'ils étaient sécrétés par les seuls réticulocytes. La fonction qui leur était attribuée était l'élimination de protéines devenues inutiles à la cellule, par relargage dans le milieu extracellulaire. Il est apparu par la suite non seulement qu'ils pouvaient être sécrétés par différents types de cellules et que leur composition moléculaire et leur fonction dépendaient du type de cellule dont ils émanaient, mais également qu'ils renfermaient des microARN ainsi que d'autres formes d'ARN non codants.

« Deux hypothèses virent alors le jour. Selon la première, la cellule se débarrassait d'un trop-plein de micro-ARN. Selon la seconde, ces micro-ARN intervenaient dans la communication entre les cellules », explique Ingrid Struman, chercheuse qualifiée du FNRS, responsable du Laboratoire d'angiogenèse moléculaire au sein du GIGA-Cancer de l'Université de Liège. Pour l'heure, le débat reste ouvert, en tout cas sur le plan sémantique, dans la mesure où la notion de « communication » éveille l'idée de finalité, laquelle suppose une action volontaire qu'il semble difficile d'attribuer à une cellule.

ARN extra cellulaire

De nombreuses inconnues

Quoi qu'il en soit naquit l'idée que les microARN véhiculés par les exosomes pouvaient avoir une fonction. Et, de fait, il a été montré que, une fois au contact d'une cellule receveuse, ils sont capables d'en modifier la réponse génétique et, partant, le phénotype.

Actuellement, les mécanismes par lesquels est régulé l'export des microARN dans les exosomes demeurent mal connus, même si certains travaux ont mis en évidence l'intervention d'une ARN binding protein spécifique dans le cas de certains d'entre eux. « Au GIGA-Cancer, nous cherchons à identifier les protéines capables d'orienter certains microARN déterminés, et pas d'autres, vers les exosomes », relate Ingrid Struman.

Autre question en suspens : comment l'exosome cible-t-il la cellule où il va larguer son contenu ? Quelques études suggèrent l'existence d'une interaction protéine-protéine, de type ligand-récepteur, entre l'exosome et la cellule cible, mais on ne peut néanmoins tabler aujourd'hui sur aucune certitude à ce propos. Dans la pratique, au moment du relargage de son contenu, l'exosome est endocyté par la cellule cible après fusion des membranes. Il n'empêche qu'on ignore si les exosomes produits par une cellule sont uniformes et vont toujours cibler le même type cellulaire. « On pense, sans en être certain, que le contenu des exosomes peut être différent en fonction du moment où ils sont produits », indique Ingrid Struman.

Le mot « contenu » doit lui-même être employé avec une certaine réserve, car certains auteurs considèrent que les microARN ne sont pas nécessairement logés à l'intérieur des exosomes, mais, possédant une charge électrique négative, peuvent se fixer sur leur membrane.

La quantité d'exosomes sécrétés dépend au départ du type cellulaire. Par exemple, les cellules endothéliales en produisent beaucoup et, d'après Ingrid Struman, sont d'ailleurs probablement celles qui en produisent le plus. Les cellules cancéreuses ne sont cependant pas en reste. À travers les travaux menés au GIGA-Cancer par le Laboratoire d'angiogenèse moléculaire, il apparaît que la quantité et le contenu des exosomes sont modulés par les conditions dans lesquelles sont plongées les cellules qui les produisent. Ainsi, l'équipe liégeoise a établi que des cellules endothéliales placées dans des conditions de stress (hypoxie, présence d'agents chimiothérapeutiques...) sécrétaient un nombre sensiblement accru d'exosomes.

MiR-503 : microARN antitumoral

Au GIGA-Cancer, le groupe d'Ingrid Struman s'intéresse au transfert de microARN des cellules endothéliales vers les cellules cancéreuses lors de l'angiogenèse tumorale. Avant ces travaux, aucune information n'était connue sur le rôle des exosomes endothéliaux et des microARN qu'ils contiennent sur la croissance tumorale. Le Laboratoire d'angiogenèse moléculaire fut le premier à mettre en lumière l'existence d'un transfert de microARN des cellules endothéliales vers les cellules tumorales par l'intermédiaire d'exosomes(1). Les chercheurs montrèrent ensuite que si l'on mettait des cellules endothéliales en culture dans un milieu protumoral, le contenu des exosomes qu'elles exportaient s'en trouvait modifié. Parmi les microARN dont la présence était diminuée, les biologistes du GIGA-Cancer identifièrent en particulier miR-503. Des études fonctionnelles les conduisirent à la conclusion que ce microARN était doté de propriétés antitumorales : transfecté dans des cellules cancéreuses mammaires humaines, il y induisait un changement phénotypique ayant pour conséquence d'en réduire les capacités prolifératives et invasives.

Chimiotherapie exosomes« Notre hypothèse était que les cellules tumorales, lorsqu'elles s'implantent chez l'hôte, envoient un signal conduisant à une exportation moins importante de miR-503 par les cellules endothéliales, diminuant ainsi la réponse antitumorale de l'hôte, rapporte Ingrid Struman. Afin d'évaluer la pertinence de cette observation chez l'humain, nous avons voulu déterminer si le niveau plasmatique du microARN était modulé chez les patientes atteintes d'un cancer du sein. La mesure que nous avons effectuée révéla une augmentation de ce niveau dans le sang des patientes à la suite d'un traitement par chimiothérapie adjuvante. »

Il fallait donc en déduire que la chimiothérapie prescrite à ces patientes pouvait avoir un impact qui dépassait une simple action directe sur les cellules cancéreuses. De fait, l'élévation observée du niveau plasmatique de miR-503 pourrait être due en partie à un accroissement de la sécrétion du microARN antitumoral par les cellules endothéliales. Toutefois, les chercheurs ignorent à ce stade si c'est le cas ou si d'autres types cellulaires sont impliqués.

Mais ce n'est pas tout : il semble également que le changement phénotypique induit par miR-503 au niveau des cellules tumorales modifie leur production de facteurs angiogéniques. D'où, en réponse, une inhibition de l'angiogenèse.

L'ensemble des données disponibles révèle pour la première fois l'implication de l'endothélium dans la modulation du développement tumoral, via l'export du microARN miR-503 en réponse à une chimiothérapie. « Ce processus pourrait être complémentaire des effets directs générés par celle-ci sur la tumeur et favoriser la réponse de l'hôte dans le traitement de la maladie », souligne encore Ingrid Struman.

Perspectives thérapeutiques

La communication (avec les réserves liées à l'emploi de ce terme) entre cellules endothéliales et cellules tumorales a été établie in vitro. Mais jusqu'à présent, les chercheurs du Laboratoire d'angiogenèse moléculaire n'ont pu montrer l'origine de miR-503 in vivo. Ils souhaiteraient isoler spécifiquement des exosomes endothéliaux chez des patientes souffrant d'un cancer du sein et y mettre en évidence une éventuelle modification de l'expression du microARN. Malheureusement, cet objectif se heurte pour le moment à l'absence de techniques permettant la recherche de types d'exosomes spécifiques au moyen d'anticorps.

Quelles perspectives thérapeutiques les travaux de l'équipe du GIGA-Cancer laissent-ils entrevoir ? Selon Ingrid Struman, deux voies peuvent être explorées. La première consisterait à injecter le microARN antitumoral dans la circulation afin d'en augmenter le niveau au-delà de l'accroissement engendré par la chimiothérapie. Appliquée à d'autres microARN, cette technique est au cœur d'essais cliniques dans plusieurs pathologies. Ingrid Struman cite l'exemple de miR-122, en phase 2 dans le traitement de l'hépatite C. La seconde approche serait centrée sur l'augmentation de la charge en miR-503 au sein des exosomes sécrétés. « Pour l'heure, nous ne savons pas comment accroître l'exportation du microARN dans ces vésicules, commente la chercheuse. Il s'agit d'un objectif de nos prochaines études. Si nous parvenons à identifier les protéines impliquées, nous pourrons exercer une action sur elles. »

Cancer sein exosomes

Une fonction précoce

Bien qu'il ait largement concentré ses efforts sur miR-503, le Laboratoire d'angiogenèse moléculaire a également identifié quelques autres microARN censés intervenir dans la communication entre cellules endothéliales et cellules tumorales dans le cancer du sein. L'étude de certains d'entre eux a révélé, par exemple, que les variations des niveaux de miR-146 exportés par les cellules endothéliales étaient calquées sur celles de miR-503. Aussi l'intérêt d'une action thérapeutique axée sur miR-146 n'est-elle pas à exclure a priori, d'autant que, étudié dans la cardiomyopathie du peripartum(2), ce microADN est apparu très impliqué dans l'immunité(3).

Au-delà des recherches entreprises à l'Université de Liège (en collaboration avec le CHU) dans le cadre des cancers mammaires, de nombreuses autres études ont montré que les niveaux circulants de divers microARN changeaient en cas de développement tumoral et à la suite d'un traitement chimiothérapeutique(4). « Une étude prospective(5) a suivi des fumeurs, indique Ingrid Struman. Certains ont développé un cancer pulmonaire. Or qu'a-t-on observé chez eux ? Que le profil de leurs niveaux circulants de certains microARN miR était déjà affecté avant qu'on ne puisse détecter la présence de cellules tumorales dans les poumons. » Ainsi que le précise la chercheuse, les modifications précoces des niveaux circulants de ces microARN laissent supposer que ces derniers rempliraient assez tôt une fonction dans le développement tumoral. En outre, comme c'est le cas avec miR-503, leur présence peut être observée dans différents cancers avec des niveaux plasmatiques tantôt augmentés, tantôt diminués en fonction du type de tumeur. Il apparaît par ailleurs que selon leur nature mais aussi selon la catégorie de cancer, les microARN sont susceptibles d'exercer une action antitumorale ou protumorale.

Modèles murins

Dans la foulée des travaux qui lui valurent une publication dans la revue Oncotarget en avril 2015(1), l'équipe d'Ingrid Struman a entamé une étude chez des patientes ayant souffert d'un cancer du sein, afin de déterminer si certains microARN, en particulier miR-503, pourraient être prédictifs d'une rechute et, partant, servir de biomarqueurs. Autre ambition : lors de résistances au traitement de chimiothérapie adjuvante, déterminer si les cellules tumorales sont capables de modifier leur capacité à répondre à miR-503 ou à d'autres microARN. Ou alors si, en réponse à l'action des cellules cancéreuses, le relargage éventuel de microARN circulants par les cellules endothéliales se tarit.

Une autre étude, sur des modèles murins cette fois, a vu le jour récemment. Son objectif est l'observation, in vivo, de l'effet de miR-503 sur la progression tumorale. Une modalité testée fut la production d'exosomes surchargés en ce microARN et leur injection dans la circulation. Le résultat ne fut pas probant jusqu'à maintenant. La raison en est vraisemblablement que, dans les conditions naturelles, les échanges qui s'opèrent, via des exosomes, entre les cellules endothéliales et les cellules cancéreuses se réalisent à courte distance, c'est-à-dire dans le microenvironnement tumoral. Aussi l'injection d'exosomes à distance semble-t-elle problématique. « Voilà pourquoi nous allons essayer d'implanter directement, dans l'organe cible, tant la tumeur que les exosomes », dit Ingrid Struman.

Il restera alors à évaluer en quoi miR-503 influe sur la progression de la tumeur chez l'animal.

 

(1) Bovy N., Blomme B., Frères P., Dederen S., Nivelles O., Lion M., Carnet O., Martial J.A., Noël A., Thiry M., Jérusalem G., Josse C., Bours V., Tabruyn S.P., Struman I., Endothelial exosomes contribute to the antitumor response during breast cancer neoadjuvant chemotherapy via microRNA transfer, Oncotarget, 2015 Apr 30;6(12):10253-66.

(2) Halkein, J., Tabruyn, S.P., Ricke-Hoch, M., Haghikia, A., Nguyen, N.Q., Scherr, M., Castermans, K., Malvaux, L., Lambert, V., Thiry, M., Sliwa, K., Noel, A., Martial, J.A., Hilfiker-Kleiner, D., and Struman, I. (2013). MicroRNA-146a is a therapeutic target and biomarker for peripartum cardiomyopathy. The Journal of clinical investigation 123, 2143-2154.
(3) Boldin, M.P., Taganov, K.D., Rao, D.S., Yang, L., Zhao, J.L., Kalwani, M., Garcia-Flores, Y., Luong, M., Devrekanli, A., Xu, J., Sun, G., Tay, J., Linsley, P.S., and Baltimore, D. (2011). miR-146a is a significant brake on autoimmunity, myeloproliferation, and cancer in mice. J Exp Med 208, 1189-1201.
(4) Freres, P., Josse, C., Bovy, N., Boukerroucha, M., Struman, I., Bours, V., and Jerusalem, G. (2015). Neoadjuvant chemotherapy in breast cancer patients induces miR-34a and miR-122 expression. Journal of cellular physiology 230, 473-481.
(5) Boeri, M., Verri, C., Conte, D., Roz, L., Modena, P., Facchinetti, F., Calabro, E., Croce, C.M., Pastorino, U., and Sozzi, G. (2011). MicroRNA signatures in tissues and plasma predict development and prognosis of computed tomography detected lung cancer. Proc Natl Acad Sci U S A 108, 3713-3718.


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