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Le vécu particulier des patients en locked-in syndrome
16/07/2015

« Le fait d'éprouver la sensation de ne plus être dans son corps peut se manifester dans de nombreuses circonstances dès que certaines connexions cérébrales sont altérées ou même simplement modifiées, indique Vanessa Charland-Verville. Un profond état de fatigue peut parfois suffire. » La chercheuse ajoute par ailleurs que le cerveau « aime » créer du sens. Aussi sera-t-il enclin à bâtir des histoires d'une grande cohérence, sous-tendues par une imagerie très complexe, que le sujet coupé du monde extérieur aura tendance à interpréter comme émanant de celui-ci et revêtant toutes les caractéristiques de la réalité.

Alors, dira-t-on, comment expliquer que des expérienceurs relatent, par exemple, ce qui se passait dans la pièce voisine de celle où ils étaient réanimés par les médecins ? À cela, Vanessa Charland-Verville répond que ce qui est rapporté l'est toujours a posteriori et qu'on ne possède aucune preuve de ce qui se déroulait exactement dans la pièce voisine. Bref, la rigueur scientifique n'est pas au rendez-vous. « Il y a un clan de chercheurs dans le domaine des NDE qui fonctionnent de façon circulaire, dit-elle. Ils croient en une vie après la mort et laissent cette croyance teinter leurs conclusions. Certes, il reste de nombreuses questions non résolues à explorer, mais est-ce une raison pour formuler des affirmations ne reposant sur aucune observation scientifique rigoureuse ? Pour ma part, je demande qu'on élabore des protocoles expérimentaux : en science, on ne peut conclure que sur ce qu'on peut tester. »

En effet, la relation de cas isolés pèse de peu de poids en science. Notamment parce qu'il faut faire la part du hasard statistique. En outre, on ne peut exclure que des patients aient eu des flashes de conscience durant lesquels ils ont vu, entendu ou ressenti des choses. « Leurs souvenirs seraient alors comparables à ceux qu'on peut avoir en phase d'éveil au terme d'une anesthésie », précise encore Vanessa Charland-Verville.

Dysfonctionnement de régions cérébrales

Tournons la page des interprétations spirituelles des NDE. Plusieurs interprétations psychologiques ont également été émises. Selon l'une d'elles, ces expériences consisteraient en une forme de dépersonnalisation, en un sentiment de perte du sens de la réalité qui servirait de moyen de défense devant une menace de mort. En quelque sorte, notre inconscient bâtirait de toutes pièces une « fable » pour nier l'imminence de notre disparition. Mais alors comment expliquer l'éclosion de NDE en l'absence d'un quelconque danger de mort ? Au mieux, cette interprétation est parcellaire.

Troisième catégorie de théories explicatives : les théories neurologiques. Elles sont nombreuses mais, pour l'heure, les plus pertinentes associent les diverses composantes des NDE (tunnel de lumière, OBE, etc.) à un dysfonctionnement de régions cérébrales spécifiques ayant été lésées, notamment à la suite d'un traumatisme crânien ou du manque d'oxygène provoqué par un arrêt cardiaque. Les faits plaident en faveur de cette hypothèse. Reprenons l'exemple des Out-of-Body Experiences. En 2002, des chirurgiens de l'hôpital universitaire de Genève ont provoqué une OBE chez une patiente épileptique en lui stimulant involontairement la région temporo-pariétale droite du cerveau. Et cinq ans plus tard, une équipe anversoise obtint expérimentalement le même résultat en stimulant la même région au moyen de la stimulation magnétique transcrânienne et d'électrodes implantées.

Souvenirs éclair d'hallucinations ?

Eu égard aux conditions chaotiques dans lesquelles apparaissent les NDE, il est quasiment impossible de les étudier en temps réel. Aussi les chercheurs du Coma Science Group de l'ULg et du CHU de Liège ambitionnent-ils de mettre en relation les caractéristiques des expériences de mort imminente rapportées par les expérienceurs participant à leurs études avec d'éventuelles lésions résiduelles dans les régions cérébrales susceptibles d'être responsables du vécu peu commun dont ils font état. Nous venons d'évoquer la région temporo-pariétale droite pour les OBE, mais d'autres régions sont candidates comme « supports » d'autres composantes des NDE.

Lors d'un arrêt cardiaque, d'une hémorragie cérébrale ou d'un traumatisme crânien, certaines régions du cerveau souffrent plus que d'autres, notamment en réponse au manque d'oxygène. Ce sont elles dont les chercheurs de l'ULg suspectent l'implication dans les expériences de mort imminente. « La sensibilité des techniques d'imagerie nous permet de rechercher, même des années après un épisode de NDE, de minuscules cicatrices, une infime activité épileptique, de petits œdèmes ou de légers dépôts de sang témoignant de microlésions dans telle ou telle région cérébrale », nous expliquait en 2013 Steven Laureys, responsable du Coma Science Group.

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