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Mise en lumière des aurores de Jupiter

07/07/2015

Une campagne d’observations comparées à l’aide des satellites Hubble et Hisaki permet d’épingler et de comprendre le processus à l’œuvre derrière l’apparition de certaines aurores sur Jupiter. Il s’agit d’une redistribution du plasma dans une région de sa magnétosphère. Mieux encore, les chercheurs ont pu totalement écarter le vent solaire des facteurs influençant ces aurores. La dynamique aurorale sur Jupiter dépend de nombreux processus différents, qui n’ont parfois aucun lien avec ce que nous pouvons observer sur Terre. Des mécanismes qui n’ont pas encore dévoilé tous leurs secrets. Pourtant, leur singularité au sein du système solaire pourrait masquer leur caractère commun dans l’univers, le profil de la géante gazeuse étant proche de la plupart des exoplanètes découvertes à ce jour. Comprendre ces phénomènes physiques et les discerner de ce qu’on connaît devrait permettre de développer des outils pour mieux appréhender des mécanismes possiblement répandus dans le cosmos.

« Sur Jupiter, on n’observe pas une aurore, mais des aurores ». Une affirmation que Bertrand Bonfond, chargé de recherche FNRS au Laboratoire de Physique Atmosphérique et Planétaire de l’Université de Liège (LPAP), a l’habitude d’asséner pour illustrer la pluralité des mécanismes physiques à la base des aurores joviennes. Pour rappel, une aurore, c’est un phénomène lumineux lié à la désexcitation de molécules ou d’atomes de la haute atmosphère suite à des impacts de particules chargées (en général des électrons) provenant de la magnétosphère. Sur Jupiter, ce gaz neutre atmosphérique, c’est de l’hydrogène (azote et oxygéne sur Terre). Sur Terre, elles sont dominées par un phénomène de reconnexion entre le champ magnétique de la planète et celui du vent solaire. (Lire les articles « Un arc transpolaire découvert sur Saturne » et « Surprise autour des aurores de Jupiter »). Les aurores de la géante gazeuse, elles, sont en grande partie liées à un processus interne. « Le système jovien a un autre ingrédient très important. C’est la lune Io, le corps le plus volcanique du système solaire. Ce satellite, en constante éruption, dégage une grande quantité de gaz, qui va dans un premier temps rester le long de son orbite, et tourner à la même vitesse qu’Io autour de Jupiter. Ensuite, il sera ionisé et transformé à l’état de plasma. Capturé par le champ magnétique de Jupiter, il sera accéléré pour atteindre la vitesse de rotation de Jupiter sur elle-même. Mais ce gaz ne peut pas s’accumuler indéfiniment. Il va finir par migrer vers l’extérieur et finalement être éjecté de la magnétosphère. » C’est la circulation de ce plasma dans la magnétosphère qui est à l’origine de courants électriques nécessaires à la formation d’une bonne partie des aurores joviennes. Mais ce n’est pas tout.

Jupiter aurore 2001 (c)ULg

Difficile d’y voir clair

Une grande inconnue reste l’influence du vent solaire. On connaît son rôle sur Terre, mais il est difficile à évaluer sur Jupiter. La géante gazeuse est bien plus éloignée du soleil, donc la pression du vent solaire y est plus faible De plus, le champ magnétique de Jupiter est incomparablement plus intense que sur Terre, et les phénomènes internes liés à la circulation du plasma dominent. « Ceci dit, explique le planétologue, il est impossible que le vent solaire n’ait aucune influence, même si elle reste secondaire. Mais quand ces vents sont plus forts, ils peuvent compresser considérablement la magnétosphère jovienne et influencer la façon dont le plasma circule à l’intérieur. » A partir de ce constat, tout l’enjeu revient à différencier dans les aurores ce qui est lié au vent solaire de ce qui ne l’est pas. Ce qui relève du casse-tête. Certes, des modèles permettent d’estimer les variations du vent solaire sur Jupiter en fonction des mesures prises sur Terre et de leur évolution supposée. Mais la précision de ces modèles est limitée et ne permet pas de comprendre les décalages temporels observés entre l’arrivée estimée d’un choc dans le vent solaire et l’intensification de l’aurore qui y serait liée.

L’intérêt de telles mesures relève d’abord de la planétologie comparée. La taille de Jupiter permet de mieux distinguer les différents mécanismes que sur Terre, où tout se mélange. On peut alors vérifier que des hypothèses qui fonctionnent sur notre planète fonctionnent aussi ailleurs. Quant à l’étude des processus qu’on ne rencontre que sur Jupiter, et dans une moindre mesure sur Saturne, il ne s’agit pas simplement de comprendre des phénomènes physiques singuliers. « Jupiter a un profil unique dans notre système solaire. Par contre, la plupart des exoplanètes connues sont des géantes gazeuses. On commence à se demander si, dans des systèmes avec des champs magnétiques encore plus puissants, composés de lunes encore plus volcaniques, on ne pourrait pas détecter directement des émissions aurorales dans l’infrarouge ou dans l’ultraviolet. Si ces processus se révèlent être communs dans l’univers, Jupiter devient précieux pour en comprendre les rouages. Vu les dimensions et les champs magnétiques impliqués, c’est l’analogue le plus proche que l’on ait sous la main. »


Les différentes aurores de Jupiter

Aurores Jupiter-ULg
Legende aurores joviennes


Discerner l’influence du vent solaire de celle des processus internes n’est pas le seul enjeu. Car plusieurs processus internes sont impliqués dans la circulation du plasma dans la magnétosphère de Jupiter et chacun possède sa propre signature aurorale. Parmi les différentes structures qui forment les aurores de Jupiter, la plus facile à identifier prend la forme d’un contour quasi-continu appelé émission principale ou ovale principal. Elle dépend d’un de ces mécanismes. « Le gaz provenant d’Io, une fois qu’il a été ionisé en s’échappant de la lune, est capturé dans le champ magnétique de Jupiter et commence à tourner autour de celle-ci à la même vitesse que la planète tourne sur elle-même. Ce gaz ionisé tourne à peu près 4 fois plus vite autour de Jupiter qu’Io. La tension magnétique empêche ces particules d’être éjectées, mais la force centrifuge va tout de même permettre à ce plasma de migrer progressivement vers l’extérieur. Or, plus il s’éloigne, plus il doit parcourir une longue distance pour en faire le tour. S’il reste à la même vitesse, il ne tourne plus aussi rapidement que Jupiter. Pour maintenir ce qu’on appelle la corotation, à savoir une vitesse angulaire égale partout, le plasma doit donc être accéléré. » Sur Jupiter, à mesure que le plasma s’éloigne, il perd donc de la vitesse angulaire. Cette perte génère une torsion du champ magnétique, et le courant électrique associé va, comme toujours en électromagnétisme, circuler dans un sens tel que ses effets vont s’opposer à la cause qui lui a donné naissance. En clair, dans ce cas-ci, ce courant va accélérer le plasma pour qu’il atteigne à nouveau une vitesse proche de la corotation. Mais une autre conséquence de cet intense courant électrique, c’est l’accélération de particules chargées à un autre endroit : le long des lignes de champ magnétique. Lorsque ces particules percutent l’atmosphère de Jupiter, elles donnent naissance à l’ovale principal.

Projections polaires Jupiter

On distingue également des « petites » taches rondes, qui sont les empreintes magnétiques des satellites de Jupiter. Si elles n’ont pas l’air bien larges, l’empreinte d’Io atteint par exemple le longueur honorable de 1000 kilomètres. On peut également observer, à l’extérieur de l’ovale principal, des structures beaucoup plus grandes et aux contours moins nets. C’est la région étudiée lors de cette campagne. Ces aurores sont liées à des redistributions de plasma, à l’injection de plasma chaud et à l’éjection de plasma froid (lire ci-dessous). Elles sont donc également liées à la circulation du plasma provenant d’Io, mais il ne s’agit pas du même mécanisme que celui qui donne naissance à l’ovale principal et il n’agit pas au même endroit dans la magnétosphère.  « Et puis, au centre de l’ovale, il y a toutes ces régions extrêmement dynamiques. On se demande si elles ne seraient pas liées au vent solaire. Mais on commence seulement à les étudier. Les aurores de Jupiter n’ont pas encore livré tous leurs secrets. »

Deux satellites valent mieux qu’un

Au début de l’année 2014, Bertrand Bonfond a rejoint une campagne menée par Sarah Badman, du département de physique de l’Université de Lancaster en Angleterre, et Tomoki Kimura, de la Japan Aerospace Exploration Agency (Jaxa). Les analyses, publiées aujourd’hui dans le Geophysical Research Letters(1), ont permis d’identifier les phénomènes d’une zone précise des aurores joviennes. « Les observations ont été menées de front à l’aide des télescopes de deux satellites différents, explique-t-il. Nous étions aux commandes d’Hubble, et l’équipe japonaise, du nouveau satellite Hisaki ».

Hubble (HST), télescope spatial développé par la NASA et l’ESA, est l’un des outils majeurs de notre quête du cosmos. En orbite autour de la Terre depuis 25 ans, il a notamment contribué à mieux évaluer l’expansion de l’univers, à confirmer la présence de trous noirs supermassifs au centre de certaines galaxies ou encore l’existence de la matière noire. Il permet également d’observer avec une très belle définition les planètes de notre système solaire. Mais il est fortement sollicité, et ne peut consacrer aux aurores joviennes que quelques orbites de 90 minutes par an (ou plutôt 45 minutes car le reste du temps, la terre se trouve entre Hubble et Jupiter !). Hisaki est bien plus petit, et ne peut observer que dans l’ultraviolet extrême (là où Hubble peut observer à des longueurs d’ondes allant de l’infrarouge à l’ultraviolet), avec une résolution spatiale plus limitée. « Mais il est dédié à l’observation de l’interaction entre le vent solaire, et les atmosphères et magnétosphères des planètes du système solaire. En fonction de sa position et de l’alignement de la Terre et de Jupiter, il peut observer les aurores joviennes en continu pendant de longues périodes. Pour cette campagne, Hisaki a pu récolter des données sur les deux premiers mois de 2014. » Une période au cours de laquelle, pendant deux semaines, les chercheurs européens ont pu observer Jupiter pendant 45 minutes tous les jours à l’aide d’Hubble. Une période assez longue pour un télescope aussi prisé.

Le télescope japonais observait donc Jupiter quasiment en continu. Mais sa résolution ne permettait pas une grande précision d’analyse. L’aurore étudiée était intégrée sur un seul pixel. Il était possible de détecter les variations de la brillance aurorale, mais pas de déterminer les régions les plus touchées. Une nuance qu’Hubble était capable d’apporter, mais sur des temps d’observation plus courts. Combiner les données récoltées par les deux outils allait permettre la compréhension de ces phénomènes hétérogènes.

Le vent solaire écarté

Jusqu’alors, l’origine des aurores situées à l’extérieur de l’ovale principal n’était pas connue. « Nous avions déjà observé des variations de leur brillance, et j’avais proposé l’hypothèse d’une origine interne, à savoir une intensification de l’activité volcanique d’Io, qui augmentait la quantité de gaz émis, se souvient Bertrand Bonfond. Ce qui devait créer plus d’événements de redistribution du plasma dans le système jovien. Mais ce n’était qu’une interprétation. Nous manquions de données permettant de vérifier cette théorie. » Lors des deux semaines d’observation du début de l’année 2014, la Terre et Jupiter étaient alignées par rapport au soleil. Situation optimale pour extrapoler l’intensité du vent solaire sur Jupiter en fonction de sa force perçue sur Terre. « Pendant toute une semaine, le vent solaire a été très constant sur Terre. Une véritable aubaine. Autant les variations sont difficiles à extrapoler avec précision, autant s’il ne s’est rien passé sur Terre, on peut conclure qu’il ne s’est rien passé sur Jupiter non plus.» Au cours de cette période, les chercheurs ont localisé des pics de brillance aussi intenses que soudains. « On en a donc conclu que pour ces intensifications aurorales, le vent solaire n’y était effectivement pour rien. Le processus était bien interne. Des analyses approfondies nous ont permis de confirmer une redistribution du plasma. »

variations vents solaires Jupiter
Des prochaines années prometteuses

Si des analyses d’images répétées et l’amélioration considérable des outils d’observation ont permis de comprendre des processus physiques inédits sur Terre, il reste sur Jupiter un certain nombre de zones d’ombre. « Par exemple, pour les événements liés au vent solaire, concède Bertrand Bonfond. Nous savons qu’il a un rôle, notamment par la compression et le relâchement de la magnétosphère de Jupiter. En même temps, le système jovien est énorme. Sur Terre, tout se passe très vite. Sur Jupiter, on ne connaît pas le temps de réponse du système par rapport à l’influence du vent solaire. En théorie, la brillance de l’ovale principal devrait décroitre quand le vent solaire s’intensifie. Or c’est plutôt le contraire que l’on observe. On se doute que la chronologie des différents évènements qui se déclenchent quand la pression du vent solaire augmente est cruciale. Hélas, c’est justement ce timing précis qui nous échappe pour le moment. »

Toujours en quête de découvertes et de nouvelles analyses, l’astrophysicien attend impatiemment l’année 2016, et l’arrivée de la sonde spatiale Juno autour de Jupiter. « Juno possède un magnétomètre et pourra observer les variations du vent solaire en temps réel. Nous avons demandé de nouveau du temps d’observation avec Hubble. Nous ne savons pas si ce sera accepté. Mais pour la première fois, nous serons capables d’observer les aurores de Jupiter en tenant compte du vent solaire. Observer ce qui se passait quand le vent solaire restait stable, c’était une chose. La prochaine étape sera d’observer ce qui se passe quand sa vitesse et sa pression varient de façon connue. »

(1) Kimura, T., et al. (2015), Transient internally driven aurora at Jupiter discovered by Hisaki and the Hubble Space Telescope, Geophys. Res. Lett., 42, 1662–1668, doi:10.1002/2015GL063272.


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