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L’effet papillon du gaz de schiste
29/06/2015

Plus que des présomptions, il fallait des preuves. L’équipe contacta des collègues néozélandais, afin de déterminer si eux aussi observaient le même phénomène. Négatif. L’hémisphère sud est pour l’instant préservé. Ce qui laisse penser que l’origine de la pollution se situe bien dans l’hémisphère nord et que l’éthane ne survit pas suffisamment longtemps dans l’atmosphère pour migrer significativement sous l’équateur.

Sur orbite

Les chercheurs se tournèrent ensuite vers le ciel et l’instrument canadien ACE, sur orbite depuis 2004. Leur objectif fut d’établir si les mesures prises depuis le sol étaient similaires aux données captées depuis l’espace. Résultats concordants. Au-dessus du continent américain, le satellite a même noté des progressions proches de 10% par an !

Pour conforter une nouvelle fois son hypothèse, l’ULg s’est tournée vers le réseau NDACC (Network for the Detection of Atmospheric Composition Change), qui rassemble plusieurs sites similaires au Jungfraujoch, notamment aux USA, au Canada, dans le grand Nord… « Nos collègues ont procédé à la même analyse et constatent la même tendance que nous », souligne Emmanuel Mahieu.

Le doute n’est (presque) plus permis. Comment se fait-il toutefois que les stations américaines, ayant le nez sur ces fuites d’éthane, n’aient rien perçu jusqu’à ce que des spécialistes liégeois armés de données prises en Suisse ne viennent les alerter ? « Nos techniques nous permettent d’analyser une vingtaine de constituants, on ne peut pas tout examiner à la fois. Tout dépend des priorités de chaque laboratoire, répond le responsable du GIRPAS. Il y avait toutefois des études en cours sur le méthane. Mais le problème de celui-ci, c’est que ses sources d’émission sont nombreuses. Il est donc plus difficile d’attribuer un lieu d’origine. C’est pour cette raison que nous mettons l’accent sur l’éthane, même si nous étudions les deux ».

Qui a fuité ?

La prochaine phase de la recherche portera justement sur la quantification et l’identification des émissions. Quelle est l’ampleur réelle de ces fuites ? D’où viennent-elles précisément ? Les chercheurs vont pour cela se servir de « modélisation inverse ». Les mesures prises par un satellite vont être utilisées pour déduire la localisation des sources et l’intensité des émissions. Une méthode disponible pour le méthane, mais celui-ci étant émis simultanément à l’éthane, il devrait être possible d’en tirer des conclusions utiles.

« L’objectif est de déterminer si notre modèle est capable de reproduire les tendances observées. Si on n’y arrive pas, cela signifiera qu’il existe d’autres éléments à d’autres endroits ou qu’ils ont été sous-évalués, décrit Emmanuel Mahieu. Sinon, on procèdera par tests de sensibilité : de combien devrait-on augmenter les émissions pour retranscrire les niveaux atmosphériques observés ? »

La dernière étape consistera à évaluer l’impact réel sur la qualité de l’air. « On a encore du pain sur la planche ! » Des conclusions pourraient être livrées d’ici 18 à 24 mois, si les financements nécessaires à la recherche sont obtenus. Un article scientifique, portant sur l’amélioration de l’analyse des paramètres spectroscopiques et révélant l’augmentation récente de l’éthane au Jungfraujoch, a déjà été publié (1) en mars dernier dans le JQSRT (Journal of Quantitative Spectroscopy and Radiative Transfer). Un autre est en préparation, se penchant cette fois sur la comparaison des fuites d’éthane selon les différents sites de mesure.

Priorité au méthane

Le but des chercheurs liégeois n’est cependant pas de mener une croisade anti-gaz de schiste. Bien au contraire. Selon Emmanuel Mahieu, il vaut mieux exploiter du méthane pour le convertir en électricité que du charbon. « On va me dire que je suis fou, puisqu’il s’agit d’un gaz à effet de serre, sourit-il. C’est vrai. Station recherches JungfraujochMais tant qu’à faire un choix entre les deux, il est préférable d’opter  pour le méthane. Car le charbon contient du soufre, émet plus de microparticules dans l’atmosphère et se révèle moins efficient au niveau de la conversion en électricité. Toutefois, si les fuites se révèlent supérieures à 3%, c’est l’inverse. Le premier devient moins intéressant que le second. »

D’où la nécessité d’optimiser les processus d’extraction et de continuer à surveiller de près la situation. Reste enfin à savoir si les forages massifs aux États-Unis et l’utilisation connexe de pompes, machines et autres camions (soit des outils qui fonctionnent souvent au diesel) n’induisent pas la hausse d’autres types de constituants. Comme le benzène et ses dérivés, qui figurent quant à eux sur le liste des cancérigènes.

(1) Retrieval of ethane from ground-based FTIR solar spectra using improved spectroscopy: recent burden increase above Jungfraujoch, Franco et al. (2015), Journal of quantitative Spectroscopy and Radiative Transfer, 160, 36-49, doi:10.1016/j.jqsrt.2015.03.017.

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