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Régénérer des cellules de l’oreille interne

18/06/2015

Les cellules ciliées présentes dans l’organe de Corti au niveau de l’oreille interne sont indispensables à la transmission du son vers notre cerveau. Malheureusement lorsqu’elles sont détruites elles ne sont pas remplacées et cela peut mener à des problèmes d’audition voire à la surdité. Brigitte Malgrange et son équipe sont sur une piste très sérieuse qui permettrait de régénérer ces cellules au sein de l’oreille interne : ils ont en effet constaté qu’en inhibant l’expression du gène de la protéine Ephrin-B2 ou la fonction de celle-ci, les cellules de soutien de l’organe de Corti se différencient en cellules ciliées. Ils sont ainsi parvenus à créer de nouvelles cellules ciliées directement au bon endroit au niveau de l’oreille interne.

Plus de 5% de la population mondiale souffrent de déficience auditive incapacitante, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est donc quelques 360 millions de personnes, parmi lesquelles 328 millions d’adultes et 32 millions d’enfants, qui sont atteintes de ce type de trouble auditif. Si on ne tient compte que des plus de 65 ans, les chiffres s’envolent avec plus d’un tiers des aînés touchés par une perte d’audition incapacitante. Certes, celle-ci peut parfois être compensée grâce à l’utilisation de dispositifs d’aide à l’audition tels que les implants cochléaires, les appareils auditifs etc. Mais ce n’est pas toujours le cas pour des raisons médicales et/ou financières.

De manière générale, la déficience auditive ou la surdité peuvent être dues à des facteurs génétiques ou à des complications survenues durant la grossesse ou lors de l’accouchement. C’est ce qu’on appelle des causes congénitales et il peut par exemple s’agir d’une infection comme la rubéole ou la syphilis ou d’utilisation inappropriée de médicaments durant la grossesse. Lorsqu’elle ne survient pas dans la période autour de la naissance, la déficience auditive est dite « acquise ». Dans ce cas-ci aussi les causes peuvent être nombreuses : infections, médicaments spécifiquement « ototoxiques (tels que certains antibiotiques ou un anticancéreux largement utilisé en clinique), traumatismes sonores, vieillissement…

schéma oreille1

Les cellules ciliées et la surdité de perception

Selon le type de structure atteinte au niveau de l’oreille, on parle de surdité de transmission ou de surdité de perception. La première concerne plus particulièrement l’oreille externe ou moyenne tandis que la seconde est causée par un endommagement de l’oreille interne ou du nerf auditif. C’est à ces structures, et donc à la surdité de perception, que s’intéresse l’équipe du Professeur Brigitte Malgrange, directrice de l’Unité de recherche Neurobiologie du développement du GIGA. « L’objectif de nos recherches est de mieux comprendre le développement de la portion auditive de la cochlée,  organe de l’audition », explique Brigitte Malgrange. « Au sein de la cochlée se trouve un organe appelé organe de Corti qui est l’élément sensoriel de l’audition ». L’ est composé de deux grands types de cellules : des cellules de soutien et des cellules ciliées. « Ces dernières transmettent directement l’information auditive aux neurones de sorte qu’elle puisse arriver jusqu’au cerveau », reprend la chercheuse. Les cellules ciliées sont donc d’une importance capitale dans la perception du son. Lorsque celles-ci sont détruites, elles ne se régénèrent pas et c’est notamment ainsi que l’on peut en arriver à la surdité de perception. Dans le cadre de son doctorat, Jean Defourny a étudié comment ces cellules sont générées. « Comprendre les mécanismes sous-jacents au développement des cellules ciliés pourrait nous permettre d’essayer de mobiliser ces mécanismes pour lutter contre la surdité », poursuit Brigitte Malgrange.

La protéine Ephrin-B2, acteur clé de l’identité cellulaire dans l’oreille interne

Cellules ciliees oreilles interneLes recherches de Jean Defourny et Brigitte Malgrange ont débouché sur une découverte prometteuse. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Nature Communications (1). « Nous avons identifié une voie de signalisation impliquant la protéine Ephrin-B2 et son récepteur spécifique EphA4. Ceux-ci jouent un rôle très important dans le maintien de l’identité des cellules au sein de l’organe de Corti », révèle Brigitte Malgrange. Les scientifiques ont eu recours à diverses méthodes et expériences avec des souris knockout chez lesquelles le gène codant pour la protéine Ephrin-B2 était invalidé, avec des inhibiteurs solubles de la protéine ou encore avec des ARN interférents.  « La protéine Ephrin-B2 n’est présente que dans les cellules de soutien, pas dans les cellules ciliées. Lorsqu’on inhibe l’expression du gène codant pour cette protéine ou la fonction de celle-ci, les cellules de soutien se différencient en cellules ciliées », explique la chercheuse. Cette découverte d’intérêt majeur permet donc d’induire de nouvelles cellules ciliées directement au bon endroit au niveau de l’oreille interne. Si les chercheurs liégeois semblent être sur la bonne voie pour faire face à la surdité de perception liée à la perte de cellules ciliées, d’autres étapes sont encore nécessaires pour en arriver là. « Nous devons maintenant vérifier que ces cellules ciliées nouvellement générées se connectent correctement aux neurones sensoriels de l’oreille interne. Ce n’est qu’à cette condition que le son pourra être transmis au cerveau », précise Brigitte Malgrange. Ces travaux de recherche sont actuellement en cours au GIGA-Neurosciences.

Un petit pas vers une alternative aux appareils auditifs

Actuellement, aucune intervention médicale ne permet de résoudre les problèmes de surdité de perception. « La seule chose que l’on peut envisager ce sont les appareils auditifs, mais seulement dans le cas où il y a une audition résiduelle » explique Brigitte Malgrange. Les appareils auditifs externes permettent d’amplifier le son qui arrive jusqu’à l’oreille. Les implants cochléaires quant à eux sont utilisés en cas de surdité profonde, lorsque l’oreille interne du patient n’est plus capable d’analyser le son qui lui parvient.  Les implants cochléaires font ce travail à la place de la cochlée et stimulent les neurones résiduels.
La piste de la régénération de cellules ciliées que suit l ‘équipe de Brigitte Malgrange est donc très novatrice et prometteuse au vu des résultats obtenus récemment par les chercheurs. Il faut encore laisser le temps à la science pour espérer aboutir un jour à une application médicale de cette découverte.

(1) Jean Defourny, Susana Mateo Sánchez, Lies Schoonaert, Wim Robberecht, Alice Davy, Laurent Nguyen & Brigitte Malgrange. Cochlear supporting cell transdifferentiation and integration into hair cell layers by inhibition of ephrin-B2 signalling. Nature Communications, 2015-04-29 , DOI: 10.1038/ncomms8017


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