Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège
Ballon qui roule amasse la mousse!

11/06/2015

CB dantinne michael

 



Par Michael Dantinne, Professeur de criminologie à la Faculté de Droit de l' Université de Liège

Une Carte blanche publiée dans La Libre Belgique du 10/06/2015

La planète foot est secouée par un séisme d'une magnitude rarement connue. S'il faut impérativement respecter le principe de la présomption d'innocence tant des structures que des individus, le FIFA-gate, tel que les médias l'ont surnommé, semble un quasi-cas d'école en matière de corruption. Alors que les langues se délient, l'ampleur de la corruption est progressivement révélée au grand jour, tout comme une partie des stratégies et mécanismes utilisés.La corruption peut s'analyser comme un contrat entre deux parties, le corrompu et le corrupteur. C'est d'ailleurs un premier point à noter, qui n'exonère personne de son éventuelle responsabilité individuelle: la corruption se fait à deux, au moins. Dans le FIFA-gate, comme dans bon nombre de scandales analogues, l'opprobre est cependant principalement jeté sur le seul corrompu, celui qui a trahi la confiance et n'a pas respecté la charge qui est sienne, a fortiori si elle est publique. Le corrupteur, lui, passe souvent à travers les gouttes, non pas sur le plan judiciaire, mais sur le plan médiatique et, ce faisant, celui de "l'opinion publique". Pourtant, le corrupteur est aussi nécessaire à la corruption que le corrompu. A la limite, le corrupteur est considéré comme un "filou", "qui a bien raison de tenter sa chance", à charge pour les éventuels corruptibles de résister à ses sollicitations. Dans le cas présent, et toujours sous les mêmes réserves de prudence, le rôle du corrupteur est au moins aussi interpellant que celui du corrompu. On y semble retrouver des entreprises du secteur privé intéressées par les différentes compétitions organisées par la FIFA et ses satellites locaux mais aussi des structures étatiques (directement ou indirectement), notamment pour ce qui est des marchés d'attribution des compétitions, au premier rang desquels les coupes du monde de football. A l'heure où les voix s'élèvent pour que le foot soit "nettoyé", il conviendrait peut-être de ne pas oublier cet aspect dans l’assainissement requis.Pour convoler, corrupteur et corrompu doivent trouver complémentarité et accord. Le corrompu possède quelque chose qui intéresse le corrupteur, et vice-versa. Le plus souvent, ce qui est au cœur de la transaction, c'est le pouvoir que détient le corrompu. Un pouvoir de faire ou de ne pas faire éveillant l'intérêt du corrupteur qui, en retour, offre au corrompu une contrepartie, principalement financière, digne du service rendu. Dans le cas de figure de la FIFA, l'affaire semble assez claire à ce stade: des personnes et, à travers elles des structures, disposent du pouvoir direct ou d'un pouvoir d'influence, celui de prendre des décisions d'attribution (de lieux de compétition, de droits à l'image, de sponsoring, etc.) dont les corrupteurs sont désireux de bénéficier. Les études scientifiques démontrent avec une relative homogénéité les facteurs de risques classiques en matière de corruption. Deux d'entre eux, au moins, pourraient s'appliquer au FIFA-gate. Primo, il y a le ratio décision/enjeux. En d'autres termes, lorsqu'une décision emporte des enjeux très importants, ceux ayant le pouvoir de les prendre ou de les influencer sont à haut risque. Ceci est encore plus vrai lorsqu'une décision unique emporte sur des montants faramineux. Est-il besoin de rappeler ici les enjeux, colossaux, emportés, par exemple, par une décision d'attribution de coupe du monde de football, au vu des retombées économiques à l’échelle nationale voire régionale ? A noter, et pour rester dans le domaine sportif, qu'il n'en va pas autrement, à titre d’exemple et en théorie bien entendu, des grands prix de formule 1 ou des jeux olympiques... Secundo, la concentration du pouvoir et son niveau de contrôle.

L'exemple d'une décision d'attribution de la coupe du monde illustre bien ce facteur de risque. Au vu de la dynamique des votes par bloc des fédérations lors des scrutins, le pouvoir décisionnel est finalement concentré en un nombre très restreint de mains dont le soutien est alors totalement indispensable… Et dans un contexte d’intense compétition entre un petit nombre de candidatures assez similaires, la férocité de la concurrence faire naître la tentation. En outre, si l'exercice de ce pouvoir est peu ou mal contrôlé, le risque croît encore. Il est même décuplé lorsque le cénacle décisionnel est caractérisé par une opacité importante. Ceci explique pourquoi, dans toutes les affaires de ce type - et le FIFA-gate n'y fait pas exception -, la question du contrôle - interne et externe - vient rapidement sur le tapis, sous la forme de cette question: comment n'a-t-on rien vu?

 

Football corruption

Sans préjuger du cas précis, la réponse oscille tout aussi traditionnellement entre "parce que ça a été très bien caché" et "parce que l’on n’a pas cherché à voir". Enfin, le mondialisme - structurel et d'activité - de la FIFA est à la fois une difficulté importante et une opportunité intéressante, selon que l'on se place du point de vue du contrôleur ou du contrôlé, et il ne fait qu’accroître les risques. Les enquêtes en cours apporteront peut-être des questions à ces interrogations, en mettant en évidence, au passage, les schémas frauduleux utilisés, au rang desquels les schémas des flux financiers des capitaux issus de la corruption et qui apparaîtront vraisemblablement assez similaires à ceux que l'on trouve dans les grandes formes de criminalité transnationale. Les capitaux sales se croisent souvent sur les mêmes (auto)routes...Reste la question du pourquoi. Pourquoi des apparatchiks du foot mondial auraient-ils cédé aux sirènes de l'argent, eux qui ne semblaient pas dans le dénuement, c’est un euphémisme? Par la vis sans fin de l’appât du gain, évidemment, nous apprennent les recherches menées sur ces questions! Plus loin, les discours des corrompus déchus font apparaître des mécanismes psycho-cognitifs destinés à réduire la résonance délinquante des actes posés et, parfois, à se convaincre de leur bien-fondé: "cet argent n'a tué personne", "d'autres font bien pire", "ces peccadilles n'ont pas mis le budget en péril", "j'ai tout donné au foot, alors il fallait bien qu'il me le rende un peu", ... Ils vont même jusqu'à incriminer ceux qui étaient chargés de les contrôler, qui ne les ont pas empêchés de passer à l'acte et qui se retournent désormais contre eux comme les hypocrites qu’ils sont ! Ces mêmes études ont aussi parfois attesté de l'existence d'authentiques réseaux organisationnels de corruption dans lesquels l'acceptation des pots-de-vin est à ce point endémique qu'elle est devenue un "process" à part entière. Quiconque intègre une structure de ce type apprend rapidement que c'est ainsi que les choses se passent, et pas autrement! A chaque fois que la déviance se répète, elle s'institue un peu plus comme la norme. Dans le FIFA-gate, quand on voit la période suspecte et la pérennité des acteurs, il ne serait pas étonnant de constater qu'un phénomène de ce type ait eu lieu.L'ensemble des considérations qui précèdent sont certes constatatives mais elles tracent aussi des balises d'action concrètes pour ceux qui voudraient améliorer la situation actuelle car si le risque de corruption demeurera à jamais, il peut néanmoins être encadré. Une authentique culture organisationnelle, d’éthique et de transparence, une distribution raisonnée du pouvoir, des contrôles interne et externe adaptés et efficaces, tant généraux (des structures) que spécifiques (des décisions importantes) ne sont quelques-unes d'entre elles. La rotation des dirigeants en est une autre. A défaut d'une implémentation de celles-ci, et d’un unique mais médiatique coup de serpillère, il y a fort à craindre que l'histoire repasse les plats car il semble qu'en l'occurrence "ballon qui roule amasse de la mousse"...


© 2007 ULi�ge