Couples, patrimoine et séparation
La Fontaine disait déjà en son temps, dans une célèbre fable, que : « [La Discorde] nous fit l’honneur en ce bas univers/De préférer notre hémisphère/A celui des mortels qui nous sont opposés/Gens grossiers, peu civilisés/Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire/De la Discorde n’ont que faire ». Derrière ce point de vue cynique, une réalité très pragmatique doit être considérée : la séparation est une possibilité que chaque couple devrait envisager et les lendemains malheureux devraient être préparés afin que celui ou celle qui se trouve être le plus faible économiquement soit protégé et qu’il ou elle puisse avoir des droits égaux à ceux de son ou sa partenaire sur le patrimoine constitué en commun durant la vie de couple. Or, si ceci est bien prévu pour les personnes mariées sous le régime de la communauté des biens, il en va tout autrement pour ceux que Yves-Henri Leleu, Professeur de droit familial à l’Université de Liège, désigne dans son ouvrage (1) comme les « séparatistes ». Ce terme recouvre aussi bien les personnes mariées sous le régime de la séparation des biens que les couples qui ont choisi la cohabitation, qu’elle soit légale ou de fait. Alors que la tendance est à l’égalisation de ces différents statuts dans d’autres branches du droit comme le droit fiscal, en matière civile, et c’est un paradoxe, non seulement rien n’est prévu par le législateur mais l’idée même d’une harmonisation des droits des couples sur le plan patrimonial se heurte à une vive opposition de certains professionnels du droit et dans certains cercles politiques. Pourtant, et cela n’était pas imaginable jadis, l’absence de mariage n’empêche pas les couples de construire un patrimoine y apportant chacun leurs forces. Par ailleurs, et c’est un phénomène que La Fontaine n’envisageait certainement pas, en Belgique, « bientôt, les couples non mariés, en cohabitation légale ou en séparation de biens pure et simple seront ensemble majoritaires par rapport aux époux communs en biens », remarque le professeur Leleu. Fort de ce constat, il plaide dans son ouvrage pour une « uniformisation du règlement juridique des incidences patrimoniales de la vie en couple » et appelle à appréhender les différentes catégories de couples uniquement sous le clivage protégés/non protégés. Tel est le leitmotiv de l’ouvrage. Il contient principalement une analyse technique exhaustive des différents statuts. Le chapitre consacré au régime de la séparation de biens fait l’objet d’une attention particulière et d’une présentation originale, qui rendront sa consultation utile et attractive pour les avocats notamment. Les préjudices liés à la vie commune« La vie de couple peut causer des dégâts patrimoniaux irréparables. Hélas, souvent, ce sont les catégories économiquement les plus faibles de la population qui en sont victimes comme les femmes puisque, statistiquement, ce sont elles qui consacrent le plus de temps aux activités domestiques, non créatrices de revenus surtout quand les enfants sont présents. » Ainsi, Yves-Henri Leleu évoque dans son ouvrage une statistique qui révèle qu’en Belgique 28% des femmes contre 6% des hommes réduiront leurs perspectives professionnelles lorsque l’éducation des enfants est rendue incompatible avec les activités professionnelles des deux parents. Le constat ne s’arrête pas là. La rupture va ensuite entraîner de nouvelles contraintes pour la femme puisque c’est elle qui va principalement assurer l’hébergement des enfants avec ce que cela implique sur le plan professionnel. A cela s’ajoute une autre réalité : de toutes les dettes de l’économie privée, les contributions alimentaires sont parmi les moins régulièrement payées !(2) D’une façon plus générale, « à l’issue d’une séparation, le pouvoir d’achat des hommes augmente alors que celui des femmes diminue. C’est donc un surcroît d’aisance financière pour l’homme et un stress financier pour la femme qui n’est plus autant compensé qu’avant par les pensions alimentaires puisqu’elles sont limitées dans le temps. Afin de remédier à cela, il faudrait une approche encore plus économique des pensions alimentaires », leur objectif étant déjà d’encourager la femme à accéder à l’autonomie. Un dessein louable mais dont la mise en pratique se heurte à une réalité sociologique. En effet, « les femmes qui ont subi des préjudices pendant la vie de couple ne parviennent pas à redresser rapidement la barre après la séparation si elles restent seules et ont donc du mal à retrouver l’autonomie qu’elles auraient eu si elles n’avaient pas connu ces préjudices, voire si elles ne s’étaient pas mises en couple ». (1) Droit patrimonial des couples, Yves-Henri Leleu, Larcier, 2015. |
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