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Couples, patrimoine et séparation

10/06/2015

La Fontaine disait déjà en son temps, dans une célèbre fable, que : « [La Discorde] nous fit l’honneur en ce bas univers/De préférer notre hémisphère/A celui des mortels qui nous sont opposés/Gens grossiers,  peu civilisés/Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire/De la Discorde n’ont que faire ». Derrière ce point de vue cynique, une réalité très pragmatique doit être considérée : la séparation est une possibilité que chaque couple devrait envisager et les lendemains malheureux devraient être préparés afin que celui ou celle qui se trouve être le plus faible économiquement soit protégé et qu’il ou elle puisse avoir des droits égaux à ceux de son ou sa partenaire sur le patrimoine constitué en commun durant la vie de couple. Or, si ceci est bien prévu pour les personnes mariées sous le régime de la communauté des biens, il en va tout autrement pour ceux que Yves-Henri Leleu, Professeur de droit familial à l’Université de Liège, désigne dans son ouvrage (1) comme les « séparatistes ». Ce terme recouvre aussi bien les personnes mariées sous le régime de la séparation des biens que les couples qui ont choisi la cohabitation, qu’elle soit légale ou de fait. Alors que la tendance est à l’égalisation de ces différents statuts dans d’autres branches du droit comme le droit fiscal, en matière civile, et c’est un paradoxe, non seulement rien n’est prévu par le législateur mais l’idée même d’une harmonisation des droits des couples sur le plan patrimonial se heurte à une vive opposition de certains professionnels du droit et dans certains cercles politiques. Pourtant, et cela n’était pas imaginable jadis, l’absence de mariage n’empêche pas les couples de construire un patrimoine y apportant chacun leurs forces. Par ailleurs, et c’est un phénomène que La Fontaine n’envisageait certainement pas, en Belgique, « bientôt, les couples non mariés, en cohabitation légale ou en séparation de biens pure et simple seront ensemble majoritaires par rapport aux époux communs en biens », remarque le professeur Leleu. Fort de ce constat, il plaide dans son ouvrage pour une « uniformisation du règlement juridique des incidences patrimoniales de la vie en couple » et appelle à appréhender les différentes catégories de couples uniquement sous le clivage protégés/non protégés. Tel est le leitmotiv de l’ouvrage. Il contient principalement une analyse technique exhaustive des différents statuts. Le chapitre consacré au régime de la séparation de biens fait l’objet d’une attention particulière et d’une présentation originale, qui rendront sa consultation utile et attractive pour les avocats notamment.

Cover Droit patrimonialAujourd’hui les couples séparatistes sont les parents pauvres du droit patrimonial. Cela se traduit tout simplement par le fait que seul le régime de la communauté protège efficacement les époux contre les « préjudices liés à la vie de couple » alors que les couples « séparatistes » (personnes mariées sous le régime de la séparation des biens et couples en cohabitation légale ou de fait) ne sont pas protégés civilement. Quels sont ces préjudices ? Yves-Henri Leleu, Professeur de droit familial et médical à la Faculté de Droit de l’Université de Liège, s’intéresse à deux d’entre eux plus particulièrement : le préjudice lié au déficit de carrière et celui causé par le mélange de biens d’origines diverses.

Les préjudices liés à la vie commune

« La vie de couple peut causer des dégâts patrimoniaux irréparables. Hélas, souvent, ce sont les catégories économiquement les plus faibles de la population qui en sont victimes comme les femmes puisque, statistiquement, ce sont elles qui consacrent le plus de temps aux activités domestiques, non créatrices de revenus surtout quand les enfants sont présents. » Ainsi, Yves-Henri Leleu évoque dans son ouvrage une statistique qui révèle qu’en Belgique 28% des femmes contre 6% des hommes réduiront leurs perspectives professionnelles lorsque l’éducation des enfants est rendue incompatible avec les activités professionnelles des deux parents. Le constat ne s’arrête pas là. La rupture va ensuite entraîner de nouvelles contraintes pour la femme puisque c’est elle qui va principalement assurer l’hébergement des enfants avec ce que cela implique sur le plan professionnel. A cela s’ajoute une autre réalité : de toutes les dettes de l’économie privée, les contributions alimentaires sont parmi les moins régulièrement payées !(2) D’une façon plus générale, « à l’issue d’une séparation, le pouvoir d’achat des hommes augmente alors que celui des femmes diminue. C’est donc un surcroît d’aisance financière pour l’homme et un stress financier pour la femme qui n’est plus autant compensé qu’avant par les pensions alimentaires puisqu’elles sont limitées dans le temps. Afin de remédier à cela, il faudrait une approche encore plus économique des pensions alimentaires », leur objectif étant déjà d’encourager la femme à accéder à l’autonomie. Un dessein louable mais dont la mise en pratique se heurte à une réalité sociologique. En effet, « les femmes qui ont subi des préjudices pendant la vie de couple ne parviennent pas à redresser rapidement la barre après la séparation si elles restent seules et ont donc du mal à retrouver l’autonomie qu’elles auraient eu si elles n’avaient pas connu ces préjudices, voire si elles ne s’étaient pas mises en couple ».

Yves-Henri Leleu se penche également sur un autre préjudice : le mélange des biens. Ce problème de pur fait a des incidences juridiques potentielles : une vie de couple, pour une grande majorité de personnes, ne se conçoit pas de la même manière qu’une relation d’affaires. « Quand un couple n’a pas les moyens de rénover la maison commune ou indivise, on utilise par exemple l’héritage de madame, parce qu’il est là et cela se fait spontanément. Ou alors on investit dans l’achat d’un bien indivis l’argent qu’on avait avant le mariage ou avant l’entrée en couple. Si on est commun en biens, la confusion est réparée par une «  récompense », on peut reprendre cet argent parce que le législateur l’a prévu. ». En revanche, si le couple est sous régime de séparation de biens, il n’y a pas d’autre solution que d’aller en justice et d’invoquer le droit commun des obligations, avec plus d’aléas (enrichissement sans cause, régime de la preuve écrite).

Un autre cas est celui du bricolage qui donne lieu à de plus en plus de jurisprudence. Après son divorce, une femme retrouve un compagnon. Elle a gardé de sa précédente union un immeuble. Quant à son nouveau partenaire, il est sans immeuble. De ce fait, « le couple va vivre dans le bien de madame et une des premières choses que l’on fait c’est de le rafraîchir car ce bien était peut-être l’ancienne demeure conjugale. Donc, souvent, dans les remises en couple, l’on investit avec l’argent disponible, qui provient nécessairement d’un autre couple, et qui est donc personnel, soit de monsieur, soit de madame. Ces fonds ne sont pas des acquêts, de la richesse constituée par le nouveau couple, et il y a donc un transfert injuste s’ils sont investis dans un bien qui n’est pas indivis dans le nouveau couple ». Le régime de la communauté permet le rétablissement de ce transfert mais en régime séparatiste, il faudra entreprendre des actions en justice lourdes car le législateur n’a rien prévu. Or, cette problématique est devenue plus importante qu’avant car il y a plus de recomposition de couples et moins de budget. Face à cela, nombreux sont pourtant les juristes partisans du « il n’y avait qu’à ». « Monsieur n’avait qu’à demander une reconnaissance de dettes à sa nouvelle compagne, monsieur n’avait qu’à ne pas investir dans le bien de sa nouvelle compagne. Ces considérations nient les réalités de la vie qui sont loin des considérations juridiques ! Il faut savoir que les couples non mariés ne consultent pour la plupart pas de juriste, sauf quand ils achètent ensemble une maison ou quand un enfant naît. »

Statut protecteur ou non protecteur, telle est la question

On le voit l’adage selon lequel « les concubins se passent de la loi, la loi se passe d’eux » a la vie dure. Cela alors que, comme le souligne Yves-Henri Leleu dans son ouvrage, même les époux mariés sont concernés lorsqu’ils sont unis sous le régime de la séparation de biens. C’est bien pour cela que pour le Professeur Leleu les statuts proposés aux couples se classent en deux catégories : ceux qui protègent et ceux qui ne protègent pas contre les préjudices liés au couple. Les partisans du statu quo en la matière distinguent plutôt quatre catégories : les mariés en communauté de biens, les mariés en séparation de biens, les cohabitants légaux et les cohabitants de fait. Cette présentation des choses donne le sentiment que les couples opèrent un vrai choix entre des options comparables. Ce qui n’est pas du tout le cas puisque seule la communauté offre la mise en commun de tous les acquêts, c'est-à-dire les biens acquis à titre onéreux pendant le mariage par les époux, ensemble ou séparément, grâce à leur travail ou leur épargne(3). Encore faut-il en être pleinement informé. Une hypothèse rejetée par Yves-Henri Leleu pour qui les couples choisissent leur statut en fonction de considérations qui n’ont rien de juridiques. Il en répertorie six : la revendication, la désillusion, la fausse impression, l’information, l’installation, la négociation(4).  

La revendication est l’héritière des années 70. C’est l’aspiration à la liberté, à l’union libre qui devient légitime au même titre que le mariage. Ce n’est pas l’état d’esprit le plus répandu à l’heure actuelle. En revanche, la désillusion constitue une réalité certaine. Elle renvoie au désenchantement, au pessimisme quant aux perspectives de bonheur par ou dans le mariage. Il y aurait des «  désillusions après une déception amoureuse, la peur d’un (nouveau) divorce avec ses charges émotionnelle et financière, l’exemple des parents, etc »(5) . Le troisième facteur, la fausse impression, se nourrit de l’idée ou de l’apparence que « l’union libre ou la cohabitation légale, en Belgique, encadrent suffisamment le couple »(6).  La fausse impression altère directement et juridiquement la qualité ou le contenu du consentement, donc « sa force obligatoire ». Une telle méprise provient certainement du rapprochement progressif entre les différents statuts en législation, dans presque tous les domaines du droit (droit fiscal, droit pénal familial, droit social, droit des étrangers), mais pas en droit patrimonial ! Un des blocages au rapprochement civil des statuts est probablement l’idée selon laquelle la protection patrimoniale se mérite et qu’il est illusoire de vouloir l’obtenir sans engagement. Si cette fausse impression est possible, c’est à cause de la quatrième considération, l’information, ou plutôt le manque d’information. Elle concerne ceux qui ont décidé de sauter le pas et de se marier mais sous le régime de la séparation des biens. Ils doivent pour ce faire recueillir les conseils d’un juriste, le notaire du contrat de mariage. Nous reviendrons sur ce point par la suite. Le facteur « installation » vise « une situation d’où s’extraire demande temps, argent, énergie et prises de risques relationnel et émotionnel »(7) . Cela coûte cher de se marier et certains privilégient d’autres priorités. Enfin, la négociation, dernier facteur du choix de ne pas se marier ou de se marier en séparation de biens pure et simple, se rapporte aux rapports de force évidemment présents au sein d’un couple. Le partenaire économiquement fort sera également dominant dans la négociation et pourra ne pas accéder au désir de protection du partenaire économiquement faible. « Lorsque la protection se fait sentir, lorsqu’un des deux membres du couple non marié estime nécessaire d’être protégé, à ce moment là il faut être deux pour mettre en place la protection et on n’est plus nécessairement sûr que l’autre partenaire sera d’accord. Car il prend alors conscience de son intérêt personnel à ne pas accorder ce droit. En effet, ce droit passe par un partage des acquêts, des revenus, des richesses constituées. »

Harmoniser les statuts patrimoniaux des couples, défi majeur mais indispensable

Mains couplesCes considérations bien que non juridiques n’en sont pas moins le reflet pour la majorité d’entre elles d’une ignorance ou d’une méconnaissance des implications juridiques, bien réelles celles-ci, qu’entraîne le choix d’un régime séparatiste. Il s’agit pour le Professeur Leleu d’une anomalie voire d’une aberration qui se trouve concerner un nombre toujours plus croissant de couples soumis au régime du droit commun. Or, « le droit commun est fait pour les gens qui font des affaires ou sont dans la sphère économique et ne sont pas touchés par des sentiments amoureux qui gênent leur libre-arbitre. Tous nos séparatistes sont dans cette situation, et les aménagements que la jurisprudence apporte au droit commun sont insuffisants ».  Dans ces conditions, quelques pistes sont envisagées pour remédier à cette situation.

L’idée maîtresse est évidemment une application de certains principes issus du régime de communauté aux couples non mariés. Concrètement, cela signifie que tout ce que l’on acquiert à titre onéreux pendant le mariage est commun et que les comptes d’épargne, par exemple, sont partagés même s’ils sont alimentés principalement ou totalement par le salaire du mari. Pour compenser la plupart des les préjudices liés à la vie commune, il faut en effet associer les partenaires à la création de valeur, car un couple est aussi une entité économique, comme dans une société commerciale. « Au Canada, on a créé un « patrimoine familial » qui s’applique d’office au couple marié. Si le régime de base est séparatiste ou reste séparatiste, sont compris dans ce patrimoine familial : la maison, la résidence secondaire, la voiture, les comptes bancaires, donc l’essentiel d’un patrimoine normal. C’est ce à quoi je voudrais que la loi belge parvienne, ou à tout autre système économiquement similaire. Et c’est déjà en marche au travers de la jurisprudence. Le problème c’est que c’est au cas par cas et plus ou moins selon les juridictions. »

Un autre système serait que le juge aie la possibilité d’accorder une créance au partenaire économiquement faible, calculée sur le différentiel de fortune et d’épargne constituées pendant le couple. C’est le cas dans les pays anglo-américains qui sont séparatistes mais qui disposent de systèmes tels que les « equitable distributions » ou les « reallocations of assets ». Le juge a depuis toujours une possibilité de répartition équitable. « J’ai cette préférence personnelle pour un droit judiciaire, un droit du concret. Pour moi, c’est réalisable ».

achat maison
Une autre piste est d’envisager un changement radical au travers de la suppression pure et simple du régime de séparation de biens car « il présente trop de risques par rapport aux avantages ». Rappelons que se marier sous ce régime donne à l’union un caractère non-associatif et implique un refus de protection légale. Pourquoi faire un tel choix ? Il a été établi par le biais d’enquêtes que les conjoints concernés sont avant toute chose intéressés par la liberté de gestion et la protection contre le passif du conjoint. La protection contre les recours des créanciers est souvent présentée comme l’attrait majeur du régime de la séparation de biens. Or il s’agit d’une information tronquée si elle ne présente pas simultanément le revers de la médaille : la perte de la protection légale du partage des acquêts. Pourtant, ces couples sont tous conseillés au préalable par un notaire. Yves-Henri Leleu pousse très loin le devoir d’information des professionnels du droit. Il est indispensable selon lui de centrer les explications sur les risques liés au contrat séparatiste et ne plus le présenter comme l’apanage de la liberté et de la protection contre les dettes. Il va jusqu’à mettre en doute le choix séparatiste de ceux qui se marient sous le régime de la séparation de biens. « Est-ce qu’on a bien fait comprendre à madame que le risque de faillite peut être évité par d’autres moyens, qu’on demandera de toute façon son consentement ou son cautionnement si le couple souscrit un emprunt important. La protection qu’on lui promet, elle n’en aura peut être pas besoin car rien ne dit que son mari fera faillite, mais par contre ce à quoi elle renonce est certain : la moitié des revenus de son mari.» Il est difficile dans ce cas précis de justifier l’exclusion de mécanismes communautaires alors qu’il y a un contrat acté par un notaire tenu au devoir d’information. « Il faut insister sur le fait que, dans la pratique, certains notaires n’expliquent pas tous les enjeux de la séparation de biens et que les contrats sont souvent des contrats-types c’est-à-dire des « contrats pour tous », standardisés et mal adaptés aux situations concrètes.» A noter qu’en Belgique, les notaires sont soumis à une obligation déontologique qui impose que lorsqu’ils constatent que les parties ont des intérêts contradictoires, ou lorsque les engagements sont disproportionnés, ils doivent avertir les parties de l’importance d’avoir chacune leur notaire ou leur avocat. « Cela va de soi pour un contrat de mariage puisque les intérêts sont nécessairement opposés. Il s’agit de renoncer à un partage des acquêts qui pourraient être légalement constitués au profit des deux en régime légal. Le problème c’est que procéder avec deux conseils en plus du notaire revient fort cher pour les époux. Pour moi, la solution est que le notaires fasse une liste très précise de tous les avantages auxquels les séparatistes renoncent, et de tous les cas de préjudice patrimonial rencontrés dans la jurisprudence et de la manière dont ce préjudice serait compensé en régime sans contrat, en régime légal. »

Cette piste, Yves-Henri Leleu, s’astreint lui-même à la suivre dans son ouvrage. Il y fait une présentation tout à fait originale du régime de la séparation de biens(8) et des comptes à faire entre les époux au moyen des institutions du droit commun nécessaires en l’absence de règles légales de récompenses. Son hypothèse est « qu’il ne peut en aucun cas être reproché à deux époux séparés de biens de ne pas s’être comportés durant le mariage en « vrais séparatistes », comme deux « étrangers » patrimoniaux, car leur comportement économique en couple relève de leur vie privée et familiale  »(9). Partant de là, Yves-Henri Leleu procède en deux temps et présente d’une part « les outils » et d’autre part « les chantiers ».

Les « outils » sont les instruments juridiques du droit des obligations que les avocats doivent pouvoir manier en fonction de la situation et de l’intérêt de leur client pour obtenir quelque chose, une créance d’enrichissement sans cause par exemple, ou faire exécuter une reconnaissance de dette, ou encore prouver un excès de contribution aux charges du mariage. Les outils, ce sont aussi les instruments de la partie adverse qui tentera de contester une réclamation abusive d’un époux, qui prétendrait avoir trop investi en argent ou en énergie dans le patrimoine du couple. L’avocat qui veut utiliser cet ouvrage trouve dans ces outils les conditions techniques de chaque moyen utile à son client.

Ensuite, il y a les « chantiers » c'est-à-dire les situations de la vie des couples qui nécessitent de mettre en œuvre des réclamations. Dans cette partie, toutes les décisions de jurisprudence qui ont été rendues dans des hypothèses similaires sont traitées. Le droit des séparations de biens est un droit jurisprudentiel. Yves-Henri Leleu répond ici à ceux qui lui opposent qu’il y aurait un déficit de sécurité juridique dans un système où le juge aurait le pouvoir de réparer les déséquilibres. Son recensement montre qu’il y a un nombre limité d’outils, un nombre défini de chantiers, avec une relative prévisibilité des courants en jurisprudence. Ce faisant, il dresse le catalogue des situations problématiques pour étayer son hypothèse qu’il y a beaucoup de risques de préjudices patrimoniaux liés au statut séparatiste. « J’essaie de démontrer ma thèse selon laquelle la séparation de biens est un régime à risque, potentiellement facteur de beaucoup de chantiers à ouvrir après le divorce, que cela coûte très cher en avocats, en procédures, en temps, en énergie. Dans cette partie de l’ouvrage, je montre que ces situations sont similaires pour tous les couples : l’acquisition du logement familial en indivision payé par monsieur tout seul est une situation à risques en séparation de biens alors qu’en communauté elle ne pose aucun problème puisque les revenus sont communs. J’encourage les avocats à continuer à procéder de manière à remédier à ces situations intolérables dans lesquelles les gens sont spoliés par leur non-régime matrimonial. On les laisse trop souvent spoliés au motif qu’ils l’auraient choisi lors du mariage. Ce raisonnement, je le critique, mais je le comprends car en droit, les contrats doivent être respectés, et partir du principe qu’une personne puisse ne pas être liée par son choix, surtout s’il est contractuel, est très audacieux en droit civil ! En droit de la consommation par exemple, ce pas est franchi depuis longtemps.»

Quelles perspectives ?

Jusqu’à présent, rien n’incitait le législateur à créer des institutions communautaires pour les séparatistes. Mais une réforme est en train d’être lancée car l’accord de gouvernement de la législature 2013-2018 prévoit une réforme des régimes matrimoniaux, des successions, et un cadre clair relatif aux droits et obligations des cohabitants légaux et de fait. Des réunions préparatoires aux travaux législatifs ont lieu et des formations politiques ont organisé des colloques où l’idée que le choix des couples n’est pas principalement motivé par des considérations juridiques recueille un large consensus académique. Sous l’ancienne législature, un projet de réforme n’a pas abouti parce  qu’il s’occupait surtout de la transmission des biens du couple en cas de décès, mais ne s’occupait pas du tout de la dissolution par divorce. Dans ce projet antérieur, on reconnaissait que le patrimoine constitué par le couple durant le mariage était un patrimoine collaboratif.

Divorce

« Et incroyable, ce projet s’adressait aussi bien aux couples mariés qu’à ceux en cohabitation légale ! Il avait fait le pas de se détacher du mariage ! Seulement il ne réglait le sort de ces biens que pour le cas du décès. Alors, franchement, si on reconnaît l’association économique du couple sur les acquêts à des fins successorales, il suffit d’étendre le raisonnement et de la reconnaître aussi en cas de rupture du couple. » De l’avis du Professeur Leleu, les esprits sont mûrs pour une réflexion en ce sens au niveau législatif. « Ce n’est pas gagné car il s’agit d’un énorme pas à franchir pour le législateur. Quasi aucun pays de droit civil ne le fait… ». Yves-Henri Leleu relativise toutefois l’ampleur du changement de cap : s’engager sur cette voie reviendrait ni plus ni moins à suivre les pas du législateur de 1804 qui, constatant que l’immense majorité des gens étaient mariés, se décida à créer un régime légal pour les mariés, le régime communautaire, avec une possibilité de séparation de biens moyennant le conseil d’un professionnel. A l’époque, le législateur considérait donc que les couples ne devaient plus être soumis au droit commun mais méritaient un régime matrimonial dérogatoire et communautaire. Ce raisonnement, fondé sur les faits, devrait en toute logique être transposé à d’autres réalités, la diversité des couples et la perte d’attractivité du mariage.

(1) Droit patrimonial des couples, Yves-Henri Leleu, Larcier, 2015.
(2) Cf note 4 p. 374, Droit patrimonial des couples, Yves-Henri Leleu

(3) « La source d’alimentation principale de ce patrimoine d’acquêts est le revenu professionnel de chaque époux ou sa force de travail si celle-ci n’est pas rémunérée. Les revenus et force de travail des deux époux sont censés contribuer de manière équivalente à la constitution de tous les acquêts, car leur partage par moitiés n’est jamais considéré comme un avantage matrimonial. C’est ce qui donne souffle et grandeur au régime en communauté », Yves-Henri Leleu, Le droit patrimonial des couples, p.133, §112.
(4) Elles ont fait l’objet d’un descriptif détaillé lors de la conférence donnée au Québec par Yves-Henri Leleu dans le cadre des conférences Roger-Comtois. Yves-Henri Leleu s’était alors exprimé sur le thème suivant : « Les collaborations économiques au sein des couples séparatistes ». (in Les collaborations économiques au sein des couples séparatistes – Pour une indemnisation des dommages collaboratifs envers et contre tous choix, les éditions Thémis, 2013)
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid.

(8) P.394 et suivantes, Droit patrimonial des couples, Titre 6 « Régimes séparatistes »
(9) Ibid. p. 394


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