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Couples, patrimoine et séparation
10/06/2015

Ensuite, il y a les « chantiers » c'est-à-dire les situations de la vie des couples qui nécessitent de mettre en œuvre des réclamations. Dans cette partie, toutes les décisions de jurisprudence qui ont été rendues dans des hypothèses similaires sont traitées. Le droit des séparations de biens est un droit jurisprudentiel. Yves-Henri Leleu répond ici à ceux qui lui opposent qu’il y aurait un déficit de sécurité juridique dans un système où le juge aurait le pouvoir de réparer les déséquilibres. Son recensement montre qu’il y a un nombre limité d’outils, un nombre défini de chantiers, avec une relative prévisibilité des courants en jurisprudence. Ce faisant, il dresse le catalogue des situations problématiques pour étayer son hypothèse qu’il y a beaucoup de risques de préjudices patrimoniaux liés au statut séparatiste. « J’essaie de démontrer ma thèse selon laquelle la séparation de biens est un régime à risque, potentiellement facteur de beaucoup de chantiers à ouvrir après le divorce, que cela coûte très cher en avocats, en procédures, en temps, en énergie. Dans cette partie de l’ouvrage, je montre que ces situations sont similaires pour tous les couples : l’acquisition du logement familial en indivision payé par monsieur tout seul est une situation à risques en séparation de biens alors qu’en communauté elle ne pose aucun problème puisque les revenus sont communs. J’encourage les avocats à continuer à procéder de manière à remédier à ces situations intolérables dans lesquelles les gens sont spoliés par leur non-régime matrimonial. On les laisse trop souvent spoliés au motif qu’ils l’auraient choisi lors du mariage. Ce raisonnement, je le critique, mais je le comprends car en droit, les contrats doivent être respectés, et partir du principe qu’une personne puisse ne pas être liée par son choix, surtout s’il est contractuel, est très audacieux en droit civil ! En droit de la consommation par exemple, ce pas est franchi depuis longtemps.»

Quelles perspectives ?

Jusqu’à présent, rien n’incitait le législateur à créer des institutions communautaires pour les séparatistes. Mais une réforme est en train d’être lancée car l’accord de gouvernement de la législature 2013-2018 prévoit une réforme des régimes matrimoniaux, des successions, et un cadre clair relatif aux droits et obligations des cohabitants légaux et de fait. Des réunions préparatoires aux travaux législatifs ont lieu et des formations politiques ont organisé des colloques où l’idée que le choix des couples n’est pas principalement motivé par des considérations juridiques recueille un large consensus académique. Sous l’ancienne législature, un projet de réforme n’a pas abouti parce  qu’il s’occupait surtout de la transmission des biens du couple en cas de décès, mais ne s’occupait pas du tout de la dissolution par divorce. Dans ce projet antérieur, on reconnaissait que le patrimoine constitué par le couple durant le mariage était un patrimoine collaboratif.

Divorce

« Et incroyable, ce projet s’adressait aussi bien aux couples mariés qu’à ceux en cohabitation légale ! Il avait fait le pas de se détacher du mariage ! Seulement il ne réglait le sort de ces biens que pour le cas du décès. Alors, franchement, si on reconnaît l’association économique du couple sur les acquêts à des fins successorales, il suffit d’étendre le raisonnement et de la reconnaître aussi en cas de rupture du couple. » De l’avis du Professeur Leleu, les esprits sont mûrs pour une réflexion en ce sens au niveau législatif. « Ce n’est pas gagné car il s’agit d’un énorme pas à franchir pour le législateur. Quasi aucun pays de droit civil ne le fait… ». Yves-Henri Leleu relativise toutefois l’ampleur du changement de cap : s’engager sur cette voie reviendrait ni plus ni moins à suivre les pas du législateur de 1804 qui, constatant que l’immense majorité des gens étaient mariés, se décida à créer un régime légal pour les mariés, le régime communautaire, avec une possibilité de séparation de biens moyennant le conseil d’un professionnel. A l’époque, le législateur considérait donc que les couples ne devaient plus être soumis au droit commun mais méritaient un régime matrimonial dérogatoire et communautaire. Ce raisonnement, fondé sur les faits, devrait en toute logique être transposé à d’autres réalités, la diversité des couples et la perte d’attractivité du mariage.

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