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Couples, patrimoine et séparation
10/06/2015

L’idée maîtresse est évidemment une application de certains principes issus du régime de communauté aux couples non mariés. Concrètement, cela signifie que tout ce que l’on acquiert à titre onéreux pendant le mariage est commun et que les comptes d’épargne, par exemple, sont partagés même s’ils sont alimentés principalement ou totalement par le salaire du mari. Pour compenser la plupart des les préjudices liés à la vie commune, il faut en effet associer les partenaires à la création de valeur, car un couple est aussi une entité économique, comme dans une société commerciale. « Au Canada, on a créé un « patrimoine familial » qui s’applique d’office au couple marié. Si le régime de base est séparatiste ou reste séparatiste, sont compris dans ce patrimoine familial : la maison, la résidence secondaire, la voiture, les comptes bancaires, donc l’essentiel d’un patrimoine normal. C’est ce à quoi je voudrais que la loi belge parvienne, ou à tout autre système économiquement similaire. Et c’est déjà en marche au travers de la jurisprudence. Le problème c’est que c’est au cas par cas et plus ou moins selon les juridictions. »

Un autre système serait que le juge aie la possibilité d’accorder une créance au partenaire économiquement faible, calculée sur le différentiel de fortune et d’épargne constituées pendant le couple. C’est le cas dans les pays anglo-américains qui sont séparatistes mais qui disposent de systèmes tels que les « equitable distributions » ou les « reallocations of assets ». Le juge a depuis toujours une possibilité de répartition équitable. « J’ai cette préférence personnelle pour un droit judiciaire, un droit du concret. Pour moi, c’est réalisable ».

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Une autre piste est d’envisager un changement radical au travers de la suppression pure et simple du régime de séparation de biens car « il présente trop de risques par rapport aux avantages ». Rappelons que se marier sous ce régime donne à l’union un caractère non-associatif et implique un refus de protection légale. Pourquoi faire un tel choix ? Il a été établi par le biais d’enquêtes que les conjoints concernés sont avant toute chose intéressés par la liberté de gestion et la protection contre le passif du conjoint. La protection contre les recours des créanciers est souvent présentée comme l’attrait majeur du régime de la séparation de biens. Or il s’agit d’une information tronquée si elle ne présente pas simultanément le revers de la médaille : la perte de la protection légale du partage des acquêts. Pourtant, ces couples sont tous conseillés au préalable par un notaire. Yves-Henri Leleu pousse très loin le devoir d’information des professionnels du droit. Il est indispensable selon lui de centrer les explications sur les risques liés au contrat séparatiste et ne plus le présenter comme l’apanage de la liberté et de la protection contre les dettes. Il va jusqu’à mettre en doute le choix séparatiste de ceux qui se marient sous le régime de la séparation de biens. « Est-ce qu’on a bien fait comprendre à madame que le risque de faillite peut être évité par d’autres moyens, qu’on demandera de toute façon son consentement ou son cautionnement si le couple souscrit un emprunt important. La protection qu’on lui promet, elle n’en aura peut être pas besoin car rien ne dit que son mari fera faillite, mais par contre ce à quoi elle renonce est certain : la moitié des revenus de son mari.» Il est difficile dans ce cas précis de justifier l’exclusion de mécanismes communautaires alors qu’il y a un contrat acté par un notaire tenu au devoir d’information. « Il faut insister sur le fait que, dans la pratique, certains notaires n’expliquent pas tous les enjeux de la séparation de biens et que les contrats sont souvent des contrats-types c’est-à-dire des « contrats pour tous », standardisés et mal adaptés aux situations concrètes.» A noter qu’en Belgique, les notaires sont soumis à une obligation déontologique qui impose que lorsqu’ils constatent que les parties ont des intérêts contradictoires, ou lorsque les engagements sont disproportionnés, ils doivent avertir les parties de l’importance d’avoir chacune leur notaire ou leur avocat. « Cela va de soi pour un contrat de mariage puisque les intérêts sont nécessairement opposés. Il s’agit de renoncer à un partage des acquêts qui pourraient être légalement constitués au profit des deux en régime légal. Le problème c’est que procéder avec deux conseils en plus du notaire revient fort cher pour les époux. Pour moi, la solution est que le notaires fasse une liste très précise de tous les avantages auxquels les séparatistes renoncent, et de tous les cas de préjudice patrimonial rencontrés dans la jurisprudence et de la manière dont ce préjudice serait compensé en régime sans contrat, en régime légal. »

Cette piste, Yves-Henri Leleu, s’astreint lui-même à la suivre dans son ouvrage. Il y fait une présentation tout à fait originale du régime de la séparation de biens(8) et des comptes à faire entre les époux au moyen des institutions du droit commun nécessaires en l’absence de règles légales de récompenses. Son hypothèse est « qu’il ne peut en aucun cas être reproché à deux époux séparés de biens de ne pas s’être comportés durant le mariage en « vrais séparatistes », comme deux « étrangers » patrimoniaux, car leur comportement économique en couple relève de leur vie privée et familiale  »(9). Partant de là, Yves-Henri Leleu procède en deux temps et présente d’une part « les outils » et d’autre part « les chantiers ».

Les « outils » sont les instruments juridiques du droit des obligations que les avocats doivent pouvoir manier en fonction de la situation et de l’intérêt de leur client pour obtenir quelque chose, une créance d’enrichissement sans cause par exemple, ou faire exécuter une reconnaissance de dette, ou encore prouver un excès de contribution aux charges du mariage. Les outils, ce sont aussi les instruments de la partie adverse qui tentera de contester une réclamation abusive d’un époux, qui prétendrait avoir trop investi en argent ou en énergie dans le patrimoine du couple. L’avocat qui veut utiliser cet ouvrage trouve dans ces outils les conditions techniques de chaque moyen utile à son client.

(8) P.394 et suivantes, Droit patrimonial des couples, Titre 6 « Régimes séparatistes »
(9) Ibid. p. 394

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