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Couples, patrimoine et séparation
10/06/2015

Un autre cas est celui du bricolage qui donne lieu à de plus en plus de jurisprudence. Après son divorce, une femme retrouve un compagnon. Elle a gardé de sa précédente union un immeuble. Quant à son nouveau partenaire, il est sans immeuble. De ce fait, « le couple va vivre dans le bien de madame et une des premières choses que l’on fait c’est de le rafraîchir car ce bien était peut-être l’ancienne demeure conjugale. Donc, souvent, dans les remises en couple, l’on investit avec l’argent disponible, qui provient nécessairement d’un autre couple, et qui est donc personnel, soit de monsieur, soit de madame. Ces fonds ne sont pas des acquêts, de la richesse constituée par le nouveau couple, et il y a donc un transfert injuste s’ils sont investis dans un bien qui n’est pas indivis dans le nouveau couple ». Le régime de la communauté permet le rétablissement de ce transfert mais en régime séparatiste, il faudra entreprendre des actions en justice lourdes car le législateur n’a rien prévu. Or, cette problématique est devenue plus importante qu’avant car il y a plus de recomposition de couples et moins de budget. Face à cela, nombreux sont pourtant les juristes partisans du « il n’y avait qu’à ». « Monsieur n’avait qu’à demander une reconnaissance de dettes à sa nouvelle compagne, monsieur n’avait qu’à ne pas investir dans le bien de sa nouvelle compagne. Ces considérations nient les réalités de la vie qui sont loin des considérations juridiques ! Il faut savoir que les couples non mariés ne consultent pour la plupart pas de juriste, sauf quand ils achètent ensemble une maison ou quand un enfant naît. »

Statut protecteur ou non protecteur, telle est la question

On le voit l’adage selon lequel « les concubins se passent de la loi, la loi se passe d’eux » a la vie dure. Cela alors que, comme le souligne Yves-Henri Leleu dans son ouvrage, même les époux mariés sont concernés lorsqu’ils sont unis sous le régime de la séparation de biens. C’est bien pour cela que pour le Professeur Leleu les statuts proposés aux couples se classent en deux catégories : ceux qui protègent et ceux qui ne protègent pas contre les préjudices liés au couple. Les partisans du statu quo en la matière distinguent plutôt quatre catégories : les mariés en communauté de biens, les mariés en séparation de biens, les cohabitants légaux et les cohabitants de fait. Cette présentation des choses donne le sentiment que les couples opèrent un vrai choix entre des options comparables. Ce qui n’est pas du tout le cas puisque seule la communauté offre la mise en commun de tous les acquêts, c'est-à-dire les biens acquis à titre onéreux pendant le mariage par les époux, ensemble ou séparément, grâce à leur travail ou leur épargne(3). Encore faut-il en être pleinement informé. Une hypothèse rejetée par Yves-Henri Leleu pour qui les couples choisissent leur statut en fonction de considérations qui n’ont rien de juridiques. Il en répertorie six : la revendication, la désillusion, la fausse impression, l’information, l’installation, la négociation(4).  

La revendication est l’héritière des années 70. C’est l’aspiration à la liberté, à l’union libre qui devient légitime au même titre que le mariage. Ce n’est pas l’état d’esprit le plus répandu à l’heure actuelle. En revanche, la désillusion constitue une réalité certaine. Elle renvoie au désenchantement, au pessimisme quant aux perspectives de bonheur par ou dans le mariage. Il y aurait des «  désillusions après une déception amoureuse, la peur d’un (nouveau) divorce avec ses charges émotionnelle et financière, l’exemple des parents, etc »(5) . Le troisième facteur, la fausse impression, se nourrit de l’idée ou de l’apparence que « l’union libre ou la cohabitation légale, en Belgique, encadrent suffisamment le couple »(6).  La fausse impression altère directement et juridiquement la qualité ou le contenu du consentement, donc « sa force obligatoire ». Une telle méprise provient certainement du rapprochement progressif entre les différents statuts en législation, dans presque tous les domaines du droit (droit fiscal, droit pénal familial, droit social, droit des étrangers), mais pas en droit patrimonial ! Un des blocages au rapprochement civil des statuts est probablement l’idée selon laquelle la protection patrimoniale se mérite et qu’il est illusoire de vouloir l’obtenir sans engagement. Si cette fausse impression est possible, c’est à cause de la quatrième considération, l’information, ou plutôt le manque d’information. Elle concerne ceux qui ont décidé de sauter le pas et de se marier mais sous le régime de la séparation des biens. Ils doivent pour ce faire recueillir les conseils d’un juriste, le notaire du contrat de mariage. Nous reviendrons sur ce point par la suite. Le facteur « installation » vise « une situation d’où s’extraire demande temps, argent, énergie et prises de risques relationnel et émotionnel »(7) . Cela coûte cher de se marier et certains privilégient d’autres priorités. Enfin, la négociation, dernier facteur du choix de ne pas se marier ou de se marier en séparation de biens pure et simple, se rapporte aux rapports de force évidemment présents au sein d’un couple. Le partenaire économiquement fort sera également dominant dans la négociation et pourra ne pas accéder au désir de protection du partenaire économiquement faible. « Lorsque la protection se fait sentir, lorsqu’un des deux membres du couple non marié estime nécessaire d’être protégé, à ce moment là il faut être deux pour mettre en place la protection et on n’est plus nécessairement sûr que l’autre partenaire sera d’accord. Car il prend alors conscience de son intérêt personnel à ne pas accorder ce droit. En effet, ce droit passe par un partage des acquêts, des revenus, des richesses constituées. »

Harmoniser les statuts patrimoniaux des couples, défi majeur mais indispensable

Mains couplesCes considérations bien que non juridiques n’en sont pas moins le reflet pour la majorité d’entre elles d’une ignorance ou d’une méconnaissance des implications juridiques, bien réelles celles-ci, qu’entraîne le choix d’un régime séparatiste. Il s’agit pour le Professeur Leleu d’une anomalie voire d’une aberration qui se trouve concerner un nombre toujours plus croissant de couples soumis au régime du droit commun. Or, « le droit commun est fait pour les gens qui font des affaires ou sont dans la sphère économique et ne sont pas touchés par des sentiments amoureux qui gênent leur libre-arbitre. Tous nos séparatistes sont dans cette situation, et les aménagements que la jurisprudence apporte au droit commun sont insuffisants ».  Dans ces conditions, quelques pistes sont envisagées pour remédier à cette situation.

(3) « La source d’alimentation principale de ce patrimoine d’acquêts est le revenu professionnel de chaque époux ou sa force de travail si celle-ci n’est pas rémunérée. Les revenus et force de travail des deux époux sont censés contribuer de manière équivalente à la constitution de tous les acquêts, car leur partage par moitiés n’est jamais considéré comme un avantage matrimonial. C’est ce qui donne souffle et grandeur au régime en communauté », Yves-Henri Leleu, Le droit patrimonial des couples, p.133, §112.
(4) Elles ont fait l’objet d’un descriptif détaillé lors de la conférence donnée au Québec par Yves-Henri Leleu dans le cadre des conférences Roger-Comtois. Yves-Henri Leleu s’était alors exprimé sur le thème suivant : « Les collaborations économiques au sein des couples séparatistes ». (in Les collaborations économiques au sein des couples séparatistes – Pour une indemnisation des dommages collaboratifs envers et contre tous choix, les éditions Thémis, 2013)
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid.

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