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Au « service » du joueur de tennis

02/06/2015

Tous les joueurs de tennis vous le diront : un bon service est un atout extrêmement important en match. Pourtant, ce geste, à entraîner encore et encore, n’est pas anodin et peut causer des douleurs voire des blessures au niveau des membres supérieurs, inférieurs et du tronc. Pour analyser ce geste, entre performance et prévention lésionnelle, des chercheurs du Laboratoire d’Analyse du Mouvement Humain (LAMH) de l’Université de Liège ont étudié des joueurs de haut niveau. Leurs conclusions figurent au sommaire du Journal of Sports Science and Medicine (1).

Tennis ServiceLe Professeur Jean-Louis Croisier, du département des Sciences de la Motricité de la faculté de médecine de l’ULg, et le Professeur Bénédicte Forthomme, chargée de cours dans ce même département, ont demandé à François Tubez de s’intéresser à l’étude du service au tennis : « Je suis moi-même joueur de tennis, j’ai une licence en éducation physique et un master en kinésithérapie et réadaptation, j’ai suivi des formations à l’AFT (Association francophone de Tennis) et à l’Adeps … tout cela additionné les a incités à me confier ce projet. » Le Professeur Croisier a donc monté une équipe de différents intervenants, impliquant le Laboratoire d’Analyse du Mouvement Humain (LAMH) évidemment, notamment avec l’intervention du Docteur Cédric Schwartz, mais aussi différents départements de l’ULg (Département des sciences de la motricité, Département d'aérospatiale et mécanique – LTAS –, Département ArGEnCo), et du CHU de Liège.

Identifier la douleur

« Notre étude a porté sur le cas d’un joueur de tennis de niveau international de 22 ans qui a ressenti une douleur importante lors d’un service. Il nous a dit que cette douleur était survenue au moment où le tronc se trouve en extension et qu’il entame la flexion. Nous en avons déduit qu’il s’agissait du moment où, lorsqu’il effectuait ce mouvement, il passait de la contraction excentrique à la contraction concentrique des abdominaux. Des examens cliniques tels que l’imagerie par résonnance magnétique  ont mis en évidence une déchirure au niveau du muscle grand droit de l’abdomen. Or, la localisation de cette déchirure est connue pour être un site, bien défini, de blessures lors des services », poursuit François Tubez. Ce diagnostic une fois posé, le joueur a suivi des séances de kinésithérapie ainsi qu’une évaluation isométrique  des muscles du tronc, à savoir les muscles fléchisseurs, extenseurslatéro-fléchisseurs  et rotateurs. Cette évaluation a mis en évidence une faiblesse du muscle latéro-fléchisseur droit par rapport au gauche, ainsi qu’un travail trop important des muscles fléchisseurs par rapport aux muscles extenseurs.
L’évaluation globale réalisée et le traitement terminé, il restait donc à voir comment expliquer la survenue de cette déchirure en analysant spécifiquement le mouvement du service de ce joueur. Car l’objectif est bien non pas de le laisser réaliser un mouvement problématique, mais de le corriger pour éviter la réapparition des douleurs et des lésions ! Et c’est là que cette étude commence à être réellement intéressante.

Analyse 3D

Le joueur avec antécédent de blessure a été comparé à 5 autres joueurs n’ayant pas été blessés, d’un niveau équivalent. « Bien sûr, on pourrait dire qu’une étude portant sur 6 personnes peut sembler bien maigre, mais notre objectif était de réaliser une analyse d’un cas spécifique. Par ailleurs, il a fallu tenir compte du niveau de jeu de notre joueur blessé. Il se situait dans le top 50 mondial, il n’est donc pas facile de trouver des joueurs belges ayant un niveau de jeu comparable acceptant de se soumettre à nos tests pour la comparaison », précise Cédric Schwartz, qui co-signe cet article.

Afin de permettre une analyse fine et fiable du mouvement, il fallait pouvoir observer au mieux le mouvement dans des conditions les plus proches possible de la réalité. « Généralement, ces analyses se font sur des images vidéo du joueur lorsqu’il réalise le mouvement. Nous avons pour notre part complété cette image en deux dimensions par une image en 3D. Pour cela, nous avons tout d’abord recréé un terrain de tennis en laboratoire, et avons placé une zone cible de 1m² dans le coin du carré de service. Le joueur et sa raquette étaient munis de 28 capteurs dont les données étaient transmises à des caméras situées tout autour du terrain. Cela nous a permis de bien observer le mouvement du bassin, des bras, des jambes, etc, mais aussi de la raquette. Un radar calculait la vitesse de la balle, tandis que les capteurs 3D permettaient de mesurer la vitesse de la raquette lors de l’impact avec la balle. L’intérêt est que cette vitesse n’est influencée que par la force exercée et la technique utilisée par le joueur, pas par le matériel utilisé », poursuit Cédric Schwartz. Ce test n’aurait-il pas pu avoir lieu sur un court de tennis extérieur ? « Cela est possible mais pour approfondir l’examen de la gestuelle du joueur, nous l’avons  placé sur une plateforme de force, uniquement disponible en laboratoire, et qui permet d’évaluer la force de poussée des jambes. Cette analyse complète intégrant le travail des membres inférieurs nous a permis de tirer bon nombre de conclusions intéressantes. »

Données plus fines

Bien sûr, ces conclusions restent individuelles, personnelles, et ne peuvent que très difficilement être à l’origine de conseils généraux à tous les joueurs de tennis. « Chaque joueur est unique : il a ses propres caractéristiques et qualités physiques, sa propre technique, ses propres forces et faiblesses. Tirer des conclusions qui seront valables pour tous les joueurs est impossible, mais des grandes lignes pour éviter des mouvements inadéquats peuvent néanmoins en être retirées », précise Cédric Schwartz.

Dans le cas qui nous occupe, les analyses ont montré que le joueur effectuait un mouvement de bascule du bassin (antéversion) de plus grande amplitude que les autres joueurs. « Si ce problème pouvait être constaté sur une simple vidéo en 2D, grâce à la 3D, il était possible de le quantifier. Et il était possible de le voir quelle que soit la position du joueur par rapport aux caméras, puisque les capteurs nous fournissaient les informations. Ce qui n’aurait pas été le cas par une simple vidéo. C’est tout l’intérêt de l’analyse en 3D. Nous avons vu que cette bascule du bassin pouvait être influencée par un déficit de force de poussée des jambes combiné à des amplitudes d’extension de jambes qui étaient incomplètes. Nous avons aussi pu constater chez ce joueur, grâce à l’analyse isocinétique notamment, que cela n’était pas dû à une faiblesse au niveau musculaire (ischio-jambiers) mais plutôt à une raideur de ceux-ci », explique François Tubez.

Car il s’agit d’observer toute la chaîne pour comprendre pourquoi ces mouvements et ces défauts causent la douleur. Et de pouvoir conseiller une prise en charge pour éviter qu’elle ne se reproduise. Cette analyse a ainsi mené à conseiller différents exercices spécifiques, comme des exercices de gainage abdominal. « Les résultats de l’analyse ont été transmis à l’entraîneur qui a pu adapter ensuite ses entraînements en fonction de nos observations. Et nous avons pu constater lors du test suivant une amélioration du mouvement », se réjouit-il.

LAMH Tennis service

Difficile changement…

Lors de l’apprentissage d’un sport, de ses gestes spécifiques, nous pouvons avoir tendance à adopter de mauvaises habitudes qui, pourtant, paient en termes de performances… « S’il n’est pas possible de dire pour chaque sport ce qu’il faut et ne faut pas faire, nous sommes capables de voir, lorsqu’un sportif évolue dans son sport, des mouvements ou des postures que l’on sait néfastes pour son corps. Car dans chaque sport il y a des blessures récurrentes. Et souvent, il est possible d’y remédier par des adaptations. Le problème est que si le joueur estime qu’il doit continuer à jouer ainsi pour rester performant, il risque bien de ne pas être réceptif à nos conseils… » Par exemple, lorsque les joueurs amateurs regardent jouer un joueur du calibre de Rafael Nadal et le voient passer son bras au-dessus de sa tête après un coup droit, ils pourraient être tentés de l’imiter. Or, ce geste n’est pas nécessairement adapté à leur gabarit, leur morphologie, leur forme physique… Mais convaincus de l’efficacité de ce geste de champion, ils ne seront pas motivés à arrêter de le pratiquer… « Nous pourrions, face à des joueurs prenant des risques dans leurs mouvements, leur proposer une analyse biomécanique pour observer les conséquences d’une telle gestuelle. Mais pas sûr qu’une correction porterait ses fruits en termes de prévention… Sans compter l’avis des entraîneurs qui n’ont pas toujours la possibilité de faire changer les habitudes de leur champion, d’autant plus s’il est pris dans une période de tournois. Car le classement international oblige à jouer beaucoup, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps pour s’adapter à de nouvelles habitudes », enchaîne Cedric Schwartz.

Prévention chez les jeunes

Peut-on dès lors profiter des analyses portant sur des sportifs blessés, et des conclusions qui ont été tirées de ces cas pour inculquer à des jeunes des habitudes plus bénéfiques ? Manifestement, ce n’est pas exclu : « Cette année, nous avons accueilli des enfants de 8 à 11 ans membres de l’AFT, dans l’idée d’analyser spécifiquement la gestuelle de chacun et de sensibiliser leurs entraîneurs à la nécessité de procéder, éventuellement, à des changements sur le plan biomécanique. Car bien qu’ils fassent déjà partie de l’élite, ils sont encore jeunes et toujours dans l’apprentissage. Les mauvaises habitudes ne sont peut-être pas encore installées et leur schéma moteur est plus ‘malléable’. Nous leur avons fait passer une série de tests pour étudier individuellement et en comparaison avec un groupe contrôle, la poussée des jambes, le mouvement du bassin, l’impact de balle, etc : le but était aussi d’observer la séquence d’action des mouvements de toutes les parties du corps durant leur service. Et d’en tirer des conclusions, de les transmettre à leur entraîneur qui pourra alors leur donner des exercices précis et individualisés… », conclut François Tubez.

Enfin, ce qui est vrai pour le tennis peut aussi l’être pour d’autres sports. A travers les formations d’entraîneurs dispensées par l’Adeps, par exemple. Celle-ci a en effet revu la formation de ses cadres, qui aborde désormais les aspects liés à la biomécanique, pour leur donner les grands principes, les protocoles pour détecter les comportements à risque. Cette professionnalisation, qui se voit dans la plupart des pays, mais surtout dans les plus grands clubs, ne peut que bénéficier à la performance de nos sportifs de haut niveau.

(1) F. Tubez et al., Biomechanical Analysis of Abdominal Injury in Tennis Serves. A Case Report, Journal of Sports Science and Medicine, 2015. http://hdl.handle.net/2268/180795


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