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Microorganismes et nanoparticules

20/05/2015

NANOMICRO est un projet de bioremédiation des sols, soit l’injection dans les sols pollués de micro-organismes exogènes capables de se nourrir de la pollution présente dans le sol. En même temps que l’injection de ces micro-organismes exogènes, des substrats permettant un développement correct des micro-organismes exogènes mais aussi endogènes (c-à-d déjà présents dans les sols pollués) sont injectés. L’idée originale du projet NANOMICRO est d’utiliser des nanoparticules afin de stimuler la croissance et l’activité des micro-organismes exogènes.

Stations essence hydrocarbonesEvoquer les avancées en matière de dépollution des sols requiert de revenir sur leur pollution. Il s’agit là d’un problème majeur car les sols gardent en « mémoire » les produits chimiques : des polluants organiques comme les dioxines, les PCB (polychlorobiphényles) ou les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) ainsi que des taux importants de métaux lourds comme le plomb. Les engrais, les insecticides, les produits antifongiques ainsi que les désherbants marquent les sols. Or, ceux-ci sont un élément essentiel de la biodiversité puisque 80% de la biomasse occupent les sols. Forte de cette constatation et de la nécessité impérieuse de préserver ces espaces, la Commission européenne avait lancé une stratégie thématique de protection des sols, adoptée en 2007. D’autres initiatives, locales notamment, ont aussi vu le jour. Ainsi, en Région wallonne, il faut noter l’existence d’un décret sur l’assainissement des sols depuis 2004 (1) complété par un autre décret datant de fin 2008 relatif à la gestion des sols et met en place les bases pour un traitement harmonisé de tous les sols potentiellement pollués(2), alors qu’auparavant la législation s’intéressait à deux catégories de sites seulement : les dépotoirs et les stations-service. En outre, des moyens financiers renforcés ont été alloués, dans le cadre du Plan Marshall, à la remise en état de sites à réaménager (SAR)(3).C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet NANOMICRO, financé conjointement par la Région wallonne et par deux sociétés industrielles que sont SANIFOX (Coordinateur du projet) et Artechno(4). Les partenaires académiques du projet sont le Centre wallon de biologie industrielle(5) et le Département de Génie chimique – Nanomatériaux, Catalyse, Electrochimie dont fait partie Stéphanie Lambert-Jamoulle, chercheur qualifié FNRS et chargé de cours adjoint. Ces deux laboratoires de recherche appartiennent à l’Université de Liège. Le projet NANOMICRO a été lancé en janvier 2013, pour une durée de 4 ans. Il vise à étudier et à tester les interactions de couples nanoparticules/microorganismes et leur impact sur la dépollution des hydrocarbures aromatiques dans les sols. Les premiers résultats commencent à être publiés (6).

Participer au perfectionnement des techniques de bioremédiation

« La base du projet est de faire ce que l’on appelle de la bioremédiation des sols, soit d’injecter dans les sols pollués des micro-organismes (appelés dans ce cas, micro-organismes exogènes) capables de se nourrir de la pollution présente dans le sol. En même temps que l’injection de ces micro-organismes exogènes, des substrats permettant un développement correct des micro-organismes exogènes mais aussi endogènes (c-à-d déjà présents dans les sols pollués) sont injectés. » explique Stéphanie Lambert-Jamoulle. L’idée originale du projet NANOMICRO est d’utiliser des nanoparticules afin de stimuler la croissance et l’activité des micro-organismes exogènes. La bioremédiation présente des avantages non négligeables : coûts réduits, efficacité totale sur les polluants volatils résiduels et les polluants non-chlorés comme les lubrifiants, huiles et un grand nombre d’hydrocarbures aromatiques mais également sur certains polluants chlorés. En outre, elle peut se réaliser in situ, ne nécessitant ni excavation des sols ni moyens logistiques lourds en termes de transport notamment. Il faut savoir que le choix des traitements utilisés est très orienté par la destination future des terrains concernés. S’il s’agit d’opérations immobilières, le temps nécessaire avant remise à disposition du terrain est un paramètre essentiel. Il n’y aura alors que peu de place pour des traitements sur le long terme. L’excavation et l’exportation des terres polluées sont par conséquent choisies dans la majorité des cas. Ceci règle la question localement mais pose la question du traitement des terres excavées. La bioremédiation apparaît en comparaison comme la solution idéale. L’inconvénient principal réside dans la durée du traitement que cela demande, estimée en Belgique à quatre ans pour les situations d’urgence et quinze ans dans les autres cas. Cet inconvénient n’est pas à prendre à la légère quand on connait les surfaces à traiter.

Ainsi, en 2012, l’inventaire historique étant en cours, le nombre de sites potentiellement pollués en Wallonie était compris entre 3400 et 17000, selon la fourchette haute ou basse, tandis qu’on comptait 994 sites dont l’état de pollution était avéré et 1322 sites déjà assainis(7). On comprend bien qu’il s’agit dès lors non seulement d’une nécessité environnementale mais également d’un marché porteur sur le plan commercial. Il englobe à titre indicatif les sites tels que les dépôts pétroliers et d’utilisateurs majeurs de carburant (dépôts TEC, SNCB…), les stations service, les cuves domestiques, les sites urbains non excavables. La société SANIFOX est active depuis plusieurs années en bioremédiation-biostimulation (stimulation de micro-organismes endogènes et/ou exogènes) pour la dégradation des polluants dans les sols et dans les eaux souterraines. Elle intervient pour des clients de premier plan de l’industrie chimique et pétrochimique et vise entre autres le traitement de polluants dits non-chlorés c'est-à-dire « les hydrocarbures que vous pouvez trouver par exemple dans le sous-sol d’une ancienne station à essence ». C’est donc sur ce type de polluants que le projet NANOMICRO s’est d’abord focalisé.

Les prémices d’une "success story"

A l’origine du projet NANOMICRO, c’est l’histoire d’une rencontre entre le Centre wallon de biologie industrielle (CWBI) dirigée à l’époque par le Pr. Philippe Thonart et la Société SANIFOX, dont Benoît Lavigne est un des co-fondaeurs et le gestionnaire actuel. « Les chercheurs du CWBI avaient isolé et développé la maîtrise d’une souche de micro-organismes qui dégrade les hydrocarbures aromatiques, exactement ce que recherchait SANIFOX pour augmenter la cinétique de biodégradation, autrement dit la vitesse de dégradation des polluants hydrocarbonés dans les sols qu’il traite pour ses clients. De plus, dans la foulée de résultats tout à fait originaux et séduisants dans un autre domaine des biotechnologies (la production de biohydrogène)(8) il a été observé que la souche bactérienne en question était stimulée dans sa croissance lorsqu’elle était en présence de nanoparticules, ces nanoparticules ayant été synthétisées au Département de Génie chimique – Nanomatériaux, Catalyse, Electrochimie, explique Stéphanie Lambert-Jamoulle. Cela a donné le projet NANOMICRO. Il est clair qu’à terme, on aimerait mettre au point une formulation micro-organismes/nanoparticules qui puisse être utilisée par la société SANIFOX dans le cadre des traitements de sols et de nappes aquifères pollués chez ses différents clients. » La particularité du projet repose sur la souche de micro-organismes d’une part et le procédé d’utilisation des nanoparticules d’autre part. En effet, la souche en question, Rhodococcus erythropolis est son nom, est la propriété d’ARTECHNO et du CWBI. Quant aux nanoparticules dont la taille est d’environ 2-3 nm, elles présentent ici la spécificité d’être encapsulées dans une matrice inerte comme la silice qui les empêche de s’agglomérer et également d’être dispersées de façon aléatoire et non-contrôlée dans la nature. Le recours à cette spécificité ne correspond pas à la voie développée par d’autres chercheurs qui veut qu’on utilise des nanoparticules métalliques directement injectées dans le sol. En effet, un certain risque environnemental existe quant à l’utilisation des nanoparticules classiques (non encapsulées) dans les processus de bioremédiation. Il est lié à  leur rapport surface/volume élevé leur octroyant une grande réactivité, ce qui pourrait causer des problèmes de toxicité. excavation terreStéphanie Lambert-Jamoulle explique : « Une nanoparticule est une particule dont la taille est de l’ordre de 10⁻⁹ mètre. C’est excessivement petit. Forcément, c’est réactif puisque plus c’est petit, plus les particules sont réactives puisque le rapport surface/volume est très grand. Donc, le danger des nanoparticules est que si elles sont libérées de façon non-contrôlée, elles risquent de venir polluer les sols et les eaux de ruissellement. » Afin de pallier cela, les nanoparticules ont été « bloquées » dans un autre support, une silice inerte en l’occurrence, « C’est une poudre micrométrique, d’une taille comparable au sable que l’on trouve dans son jardin. Cette poudre de silice est suffisamment poreuse pour jouer le rôle de réservoir de nanoparticules. On a réalisé différents tests en phase aqueuse : quand on ajoutait dans de l’eau une poudre de silice contenant des nanoparticules, ces nanoparticules n’étaient quasiment pas relarguées dans l’eau après plusieurs semaines. » Un succès par conséquent !

Des résultats  prometteurs et de nouveaux défis

Microparticules encapsuleesLes résultats des tests en laboratoire sur la dégradation de polluants de type hydrocarbures aromatiques se sont rapidement montrés encourageants. Ils ont ensuite ouvert de nouveaux défis en vue des applications dans des conditions environnementales réelles. En laboratoire, « nous avons choisi des molécules de polluant-type par exemple du phénol et du biphényle afin de pouvoir déterminer de manière efficace et rapide les rendements de biodégradation au cours du temps. » Ces polluants sont placés en phase aqueuse aérée (l’oxygène de l’air ambiant étant nécessaire à la croissance des microorganismes, un peu comme pour les poissons d’un aquarium) et mis ensuite en présence soit des micro-organismes seuls, soit d’un mélange de micro-organismes et de nanoparticules encapsulées dans de la silice. « Nous avons observé la dégradation au fil du temps et suivi les paramètres comme la température et le pH, pour arriver à 70% de dégradation supplémentaire des polluants en 18 jours lorsque les nanoparticules accompagnent les microorganismes. Dans des conditions environnementales réelles, il faut aussi se pencher sur d’autres paramètres. Effectivement, on se rend compte que quand on travaille dans des conditions réelles, la vitesse de dégradation est beaucoup plus lente : la présence d’inhibiteurs influe très fortement sur le processus de dégradation et, « décrocher » la pollution hydrocarbonée de la matrice sol afin de la rendre accessible comme élément nutritif pour les micro-organismes, c’est un enjeu de taille auquel on s’attèle activement pour apporter des solutions originales». La présence de composants tels que nitratres et chlorures présents parfois dans des eaux souterraines polluées peut également affecter la réaction de dégradation, ce qui demandera éventuellement de faire un pré-traitement avant d’engager la dégradation proprement dite. En revanche, les résultats obtenus se sont révélés surprenants dans la dégradation d’autres familles de polluants, mais la confidentialité est de mise.

En termes de perspectives, le projet au terme des quatre ans d’activité laissera certainement une porte ouverte à la recherche de base approfondie touchant à l’impact exact de l’interaction entre microorganismes et nanoparticules dont on sait encore peu de choses. En effet, les nanoparticules sont ici encapsulées dans une poudre de silice poreuse ce qui fait qu’elles ne peuvent entrer directement en contact avec le microorganisme. Une hypothèse émise est que le micro-organisme pourrait sécréter une enzyme qui, elle, serait en mesure d’interagir avec les nanoparticules pour catalyser la vitesse de dégradation des composés aromatiques. Il faudrait pouvoir en expliquer précisément les mécanismes. Pour l’heure, la rencontre entre microorganismes et nanoparticules demeure un « aspect extraordinaire du projet NANOMICRO, à la fois captivant et innovant ».

(1) Décret wallon relatif à « l’assainissement des sols pollués et aux sites d’activités économiques à réhabiliter » adopté le 1er avril 2004
(2) Décret wallon adopté le 3 décembre 2008 et entré en vigueur le 18 mai 2009.
(3) Ainsi, 243M€ ont été alloués à la remise en état de 37 SAR pollués prioritaires (515 ha) et 110 M€ à celle de 121 SAR non prioritaires ou peu pollués (258ha). A cela s’ajoute le Plan Marshall 2.vert qui prévoit 125M€ et 100M€ pour la remise en état de 13 SAR pollués et 70 SAR non ou peu pollués. (Source : http : //etat.environnement.wallonie.be, tableau de bord 2010, p.     192)
(4) Artechno, créée en 1999, est une entreprise de type « spin-off » issue des recherches du Centre wallon de biologie industrielle.
(5) Le Centre wallon de biologie industrielle développe des recherches en biotechnologie depuis le stade de la recherche fondamentale jusqu'au produit fini; il a été créé conjointement en 1988 par l’Université de Liège et la Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux, aujourd’hui Gembloux Agro-Bio Tech/Université de Liège.
(6) Development by the sol–gel process of highly dispersed Ni–Cu/SiO2 xerogel catalysts for selective 1,2-dichloroethane hydrodechlorination into ethylene, Microporous and Mesoporous Materials, Pirard Sophie, Mahy Julien, Pirard Jean-Paul, Heinrichs Benoît, Raskinet Laurent, Lambert Stéphanie, ref. Orbi : http://hdl.handle.net/2268/172092
W. Wannoussa, T. Masy, S. D. Lambert, B. Heinrichs, L. Tasseroul, A. E. Al-Ahmad, F. Weekers, P. Thonart, S. Hiligsmann, Journal of Water Resource and Protection, 7 (2015) 264-277."Effect of iron nanoparticles synthesized by a sol-gel process on Rhodococcus erythropolis T902.1 for biphenyl degradation".
W. Wannoussa, S. Hiligsmann, T. Masy, S. D. Lambert, B. Heinrichs, A. E. Al-Ahmad, F. Weekers, P. Thonart, Journal of Sol-Gel Science and Technology, article sous presse. "Effect of metal ions and metal nanoparticles encapsulated in porous silica on biodegradation kinetics for biphenyl".


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_388409/fr/microorganismes-et-nanoparticules?printView=true - 25 avril 2024