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(Re)penser l’(in)sécurité
18/05/2015

L’(in)sécurité, un sentiment ?

En termes d’images affectives, différents auteurs s’attardent expressément sur le sentiment d’(in)sécurité. Alix Dassargues (doctorante ULg) analyse, de manière originale et sans doute inédite, le sentiment d’(in)sécurité linguistique - c’est-à-dire le sentiment de confiance que ressent ou non une personne vis-à-vis de ses pratiques linguistiques, en présentant les attitudes et les représentations de jeunes francophones de Gand. Pour explorer ce sentiment, l’auteure a eu recours à une méthode en trois temps : récolte de données quantitatives par questionnaire, réalisation d’entretiens informels et observation d’activités collectives entre francophones. Dans sa contribution, elle montre que différents facteurs affectent le sentiment d’(in)sécurité linguistique : le niveau de scolarisation, la pratique écrite ou orale de la langue, l’âge et les relations interpersonnelles.

Gyöngyver Demeny (doctorante en sociologie à l’Université de Rouen-Haute Normandie), et Michalis Lianos, (professeur dans la même institution), se sont demandés quant à eux comment les changements socio-économiques, donc structurels et institutionnels, contribuent à l’intense insécurité dans les sociétés contemporaines. Comment celle-ci se manifeste-t-elle dans la vie quotidienne des individus et dans leurs trajectoires biographiques ? Quel  est le rôle joué par les mutations en cours dans des domaines aussi variés que la santé, l’emploi, l’environnement, les relations interpersonnelles ?

Leur travail s’inscrit dans le cadre du projet de recherche européen « Incertitude et insécurité en  Europe » et il s’appuie sur les données recueillies en la matière dans quatre pays de l’Union : le Royaume-Uni, la France, la Grèce et la Hongrie.

Pour les deux chercheurs, la vulnérabilité  et le sens accru de l’insécurité dans les sociétés post-industrielles est lié à ce qu’ils appellent l’atrophie de la « socialité directe » et à « la prolifération de la médiation institutionnelle ». Avec l’individualisation et le rétrécissement des protections assurées par l’Etat, les individus se trouvent en compétition pour un accès toujours plus efficace aux institutions. Dans ce contexte, la possibilité d’être exclu représente une source de peur profonde et croissante. Même constat pour la « flexibilisation » de plus en plus grande du marché de l’emploi et la multiplication des emplois précaires.

Pour Demeny et Lianos, l’individualisation et l’accentuation de la compétition entre les individus peuvent conduire à l’affaiblissement des relations interpersonnelles ou familiales, par exemple. En revanche, de nouvelles identités sociales se forment, sous le signe de la solidarité et de l’altruisme, dans le cadre des « nouveaux mouvements sociaux ».

Que ressort-il des enquêtes représentatives menées dans les quatre pays européens précités ? Tout d’abord, que le sentiment d’insécurité des individus se développe partout. Si le phénomène d’individualisation est plus prononcé dans les pays de la modernité avancée, comme la France et le Royaume-Uni, il est aussi bien présent en Hongrie et en Grèce. Mais il apparaît que les gens, quel que soit leur pays, comptent d’abord et avant tout sur la cohésion sociale. Le socle d’un « avenir assuré » - des revenus suffisants, par exemple, c’est dans leur famille, chez leurs amis et dans le cadre d’une société « solidaire », qu’ils pensent pouvoir le trouver.

Problem-solving

Le contexte historico-politique influence l’expression des sentiments d’(in)sécurité. A cet égard, la contribution d’Audrey Weerts (Département de Science politique de l’ULg) et de Jean-Claude Mputu (Université de Mbandaka, RDC) se focalise sur le contexte socio-économique et ses effets sur les relations qui peuvent voir le jour entre « la paix, la sécurité et le développement » dans l’Etat fragile qu’est la République Démocratique du Congo (RDC). Après avoir défini les trois concepts de ce triptyque, les auteurs tentent d’analyser comment ils se traduisent dans les discours et sur le terrain, notamment au travers des actions de la MONUC et de la MONUSCO. Ils constatent in fine la prévalence manifeste, mais nécessaire, des questions sécuritaires (telles que la neutralisation des groupes armés) sur les problématiques liées au développement. Pas de développement possible sans mettre un terme à la violence qui gangrène l’est du Congo et à l’impunité des crimes commis, notamment à l’encontre des femmes. On peut disputer du rôle joué par l’ONU, mais il faut reconnaître, concluent-ils, que sa présence en RDC, en tant qu’instance de légitimation, exerce une influence politique favorable en vue d’un traitement davantage  égalitaire des trois concepts du triptyque : paix, sécurité, développement.

Dans une perspective similaire de problem-solvingAndré Dumoulin (Institut Royal Supérieur de Défense et Département de Science politique de l’ULg) démontre pour sa part que la médiatisation en matière de sécurité et de défense constitue également un enjeu politique important. En considérant, résultats empiriques à l’appui, le rôle des médias (par l’influence qu’ils exercent sur les décideurs) et celui des opinions publiques (en tant que « baromètre politique ») comme variables notables mais non décisives dans les processus décisionnels, l’auteur met finement en lumière les lignes de forces et les faiblesses de la stratégie de communication propre à la Politique Européenne de Sécurité et Défense (PESD), en comparaison avec celle de l’Alliance Atlantique (OTAN). Les recommandations qu’il livre, sur la base de ce constat, reflètent le poids des représentations médiatiques dans le processus de construction d’une identité collective européenne et atlantique visible, crédible et efficace en matière d’(in)sécurité et de défense communes.

Enfin, Céline Parotte et Grégory Lits analysent le traitement médiatique, entre 2009 et 2011, du Plan Déchets mis en place par l’Ondraf (Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles), en Belgique, en se focalisant sur la manière dont ce plan constitue en lui-même un problème public en termes de sécurité.  Pour ce faire, ils étudient les interactions entre cet organisme, les médias, le public, certaines associations environnementales et les décideurs politiques.

Au final, le kaléidoscope offert par l’ouvrage « L’insécurité en question » permet d’envisager cette matière sous de multiples définitions et enjeux, tout en insistant sur les perspectives ouvertes par les recherches sur ce sujet brûlant. Pour Sophie Wintgens et Geoffrey Grandjean, cette quête de perspectives amène les chercheurs à élargir leurs analyses à de nouvelles dimensions et à intégrer dans leurs analyses le traitement d’un aspect fondamental du processus de sécurisation, à savoir la question de la problématisation de la sécurité.

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