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La thaxtomine, un désherbant en or ?
16/04/2015

Elle s’appelle « Streptomyces scabies ». Cette bactérie, les agriculteurs la craignent : c’est elle qui provoque la gale commune des pommes-de-terre, une maladie inesthétique bien qu’inoffensive. Mais cette bactérie pourrait peut-être devenir le chouchou de ces mêmes agriculteurs car la toxine qu’elle produit, la thaxtomine, est un herbicide naturel et biodégradable, malheureusement trop coûteux à produire pour être pleinement exploité. Deux chercheurs du Centre d’Ingénierie des Protéines de l’Université de Liège, Sébastien Rigali et Samuel Jourdan, en collaboration avec le Dr Isolde Francis et le Prof Rosemary Loria de l’Université de Floride, viennent de découvrir le mécanisme moléculaire responsable de l’induction de la synthèse de cette toxine. Leur découverte est à la base d’une proposition de brevet permettant l’exploitation rentable de la thaxtomine comme désherbant.

PDT Galle communeLeur apparence n’est pas leur point fort. Avec ces taches brunâtres plus ou moins répandues sur leurs pelures, elles n’ont franchement pas l’air ragoûtant. Rien que le nom de ce mal qui les ronge suffit à faire la grimace. Après tout, qui aurait envie de manger des pommes de terre atteintes de gale commune ?

Toutefois, malgré l’allure et l’appellation peu avenantes de ces patates contaminées, elles ne sont pas du tout inaptes à la consommation. Mais voilà : dans nos sociétés où l’apparence compte, on ne retrouvera que très rarement ces tubercules en vente dans les grandes surfaces. Tant pis pour les pertes faramineuses que ce retrait des rayons engendre. Au Canada, en 2007, des chercheurs ont estimé que le manque à gagner annuel variait entre 15 et 18 millions de dollars. Aucune donnée n’existe pour la Belgique, mais la gale n’a pas de frontière…

Cette maladie a pour responsable une bactérie répondant au nom de Streptomyces scabies. En quelque sorte le mouton noir de sa famille : parmi les centaines d’espèces différentes de  Streptomyces, cette dernière est une des rares phytopathogènes, c’est-à-dire capable de causer  une pathologie à une plante. La pomme de terre n’est pas sa seule victime, elle aime aussi s’attaquer aux carottes, aux betteraves, aux navets, aux radis… Elle détonne d’autant plus par rapport à ses nombreuses « cousines » que celles-ci sont au contraire réputées pour leurs bienfaits. Elles sont en effet à l’origine de plus de la moitié des antibiotiques, anticancers, antibactériens et autres antifongiques naturels utilisés en médecine humaine ou dans l’agro-industrie.

La pointe de l’iceberg

Rien d’étonnant à ce que ces Streptomyces soient dès lors dans le viseur de Sébastien Rigali et Samuel Jourdan, tous deux chercheurs au Centre d’Ingénierie des Protéines (C.I.P.) de l’ULg. « Notre thématique au laboratoire est de comprendre quand, comment et pourquoi ces bactéries vont produire une molécule possédant une activité "anti-biotique", c’est-à-dire "contre la vie" : contre les virus, les bactéries, les plantes, les champignons, etc., énumèrent-ils. Tout cela dans l’espoir de trouver de nouveaux antibiotiques. On sait désormais que  les 10.000 molécules isolées à ce jour des Streptomyces, ne sont que la pointe de l’iceberg ! Les cartes génétiques ont révélé l’existence de nombreux antibiotiques "cryptiques", c’est-à-dire inconnus car non produits dans les conditions de culture en laboratoire. Les gènes codant pour les protéines qui vont synthétiser ces molécules cryptiques sont souvent "silencieux", c’est-à-dire peu ou pas exprimés. Il faut trouver les clés qui déverrouillent le système. Ces clés se sont les régulateurs transcriptionnels, ces protéines capables de réprimer ou d’activer l’expression des gènes.»

Inlassablement, les scientifiques tentent donc  d’identifier les clés et serrures qui verrouillent l’expression des gènes impliqués dans la production des antibiotiques. Une fois les systèmes clés-serrures décodés il est possible d’identifier les éliciteurs du système, c’est-à-dire les éléments déclencheurs qui, dans leur environnement naturel, incitent les bactéries à produire ces antibiotiques cryptiques.. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin tant les combinaisons de clés-serrures peuvent se décliner à l’infini ! 

À l’ULg, en collaboration étroite avec les Universités de Leiden (NL) et d’Erlangen (G), Sébastien Rigali  avait été le premier en 2008 à identifier une cascade signalétique complète (clés, serrures, éliciteurs) chez Streptomyces coelicolor, depuis la perception extracellulaire d’un signal jusqu’à la transformation de celui-ci en prise de décision: produire un antibiotique (1). Depuis, les chercheurs du groupe ‘Streptomyces Genetics and Development’ du C.I.P. essayent de remettre le couvert chez d’autres Streptomyces. Pour arriver à leurs fins, ils envisagent notamment une approche bioinformatique par l‘utilisation du programme PREDetector (2) qui permet de détecter les "serrures" impliquées dans le verrouillage de l’expression des gènes. Une fois ces serrures détectées, on peut plus facilement en connaître la clé, et ensuite déduire l’éliciteur environnemental du système.

(1) Rigali S, Titgemeyer F, Barends S, Mulder S, Thomae AW, Hopwood DA, van Wezel GP. 2008. Feast or famine: the global regulator DasR links nutrient stress to antibiotic production by Streptomyces. EMBO reports 9:670-675.
(2) Hiard S, Maree R, Colson S, Hoskisson PA, Titgemeyer F, van Wezel GP, Joris B, Wehenkel L, Rigali S. 2007. PREDetector: a new tool to identify regulatory elements in bacterial genomes. Biochemical and biophysical research communications 357:861-864

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