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La thaxtomine, un désherbant en or ?
16/04/2015

production de thaxtomineEn d’autres termes, une fois que CebR est neutralisé, une fois qu’il a été supprimé du chromosome, Streptomyces scabies se met à produire constitutivement la thaxtomine, c’est-à-dire sans plus avoir besoin de percevoir le signal extérieur déclencheur (le cellobiose ou le cellotriose). Le résultat est visible à l’œil nu. Les cultures de la souche sauvage de S. scabies ne produisent pas the thaxtomine (de pigmentation jaune), alors que la culture réalisée avec la souche de S. scabies où le gène cebR a été inactivé est complètement jaune !

Un nouvel herbicide sur le marché ?

La thaxtomine a la particularité de s’attaquer à l’enzyme qui fabrique la cellulose chez les plantes et, par conséquent, les empêche de croître. En d’autres termes, il s’agit d’un puissant désherbant. Biodégradable, qui plus est : les sols contiennent déjà des microorganismes capables de l’utiliser comme source nutritive (5). La thaxtomine, en tant que biopesticide, offre dès lors une alternative intéressante, aux antipodes des pesticides issus de la synthèse chimique.  Plusieurs sociétés possèdent des brevets pour l’exploitation de cette molécule mais commercialiser la thaxtomine est peu rentable car les coûts de production sont très élevés. Une consultation détaillée des fournisseurs de cette molécules révèle qu’un millième de gramme se vend actuellement entre 260€ et 590 €.

La découverte de Sébastien Rigali,  Samuel Jourdan et leurs collègues de l’Université de Floride va changer la donne, puisque grâce à cette manipulation génétique retirant la fameuse clé qui ferme, la bactérie mutante produit massivement la thaxtomine. « Constitutivement », comme on dit dans le jargon.

Streptomyces scabies n’a finalement rien d’un mouton noir… au bout de quelques modifications génétiques ! Qui n’empêcheront en rien l’émergence de la gale commune : les pommes-de-terre remplies de taches le resteront.  « Avec ce que l’on a découvert, on pourrait essayer de mettre au point un inhibiteur. Mais cela ne nous intéresse pas de trouver un remède juste pour que les patates soient belles ! C’est aux gens à changer leurs habitudes de consommation !» Sans doute serait-il plus simple d’arrêter de manger avec les yeux. Les deux Liégeois n’ont pas l’intention de se transformer en marchands de thaxtomine pour autant. Leurs recherches viennent d’être publiées (6) sur mBio, journal en ligne de référence en microbiologie. Une proposition de brevet a été déposée, en collaboration avec l’université de Floride.

Avoir permis l’exploitation de la thaxtomine à l'échelle industrielle est un grand pas en avant pour que l'herbicide soit commercialement viable. Nos résultats arrivent juste au moment où le glyphosate,  l’herbicide chimique le plus utilisé et notamment sous la marque Roundup, a récemment été classé comme cancérogène « probable » par le Centre international de recherche sur le cancer. Des enquêtes sur la toxicité de la thaxtomine doivent encore être effectuées. Toutefois, en raison du fait que la thaxtomine est naturellement présente dans les sols, les plantes et les espèces animales ont appris à vivre avec cette biomolécules et, surtout, les micro-organismes voisins  de S. scabies ont eu des centaines de millions d'années pour savoir exactement comment dégrader ce composé. Nous avons donc de nombreuses raisons de croire que, lorsque l'utilisation d'un agent herbicide sera nécessaire, cette phytotoxine naturelle devrait altérer l'environnement aussi peu que possible.

(5) Doumbou CL, Akimov VV, Beaulieu C. 1998. Selection and characterization of microorganisms utilizing thaxtomin A, a phytotoxin produced by streptomyces scabies. Applied and environmental microbiology 64:4313-4316.
(6) The Cellobiose Sensor CebR is the Gatekeeper of Streptomyces scabies Pathogenicity, Francis and Jourdan et al. mBio, 2015.

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