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La langue comme existence, non comme essence
16/04/2015

L'unité dans la diversité

Mais pour mener à bien cette vaste tâche, encore faut-il que la politique de la langue laisse du jeu aux différences. Le français n'est pas seul au monde. Raison de plus pour qu'il ne reste pas campé dans sa tour d'ivoire, inconsolable de sa grandeur passée. Pour « pouvoir dire le XXIe siècle », il devra lutter avec ses homologues, ces partenaires qui se trouvent dans la même situation que lui face à l'hégémonie linguistique anglo-saxonne. Le huitième et dernier chapitre, « Le français et les autres », examine par le menu les stratégies à suivre pour relever les défis nouveaux sur la scène mondiale. Il s'agira en premier lieu de s'ouvrir au plurilinguisme, l'apprentissage indispensable d'autres langues n'ayant rien d' incompatible avec la fermeté nécessaire pour faire respecter la sienne – au sein des organisations internationales, en particulier. Il conviendra également d'entretenir un dialogue avec les langues de voisinage, les langues de synergie et les langues sœurs : dans le cas des premières, on pense par exemple au processus d'intégration que favoriserait l'association dans l'espace méditerranéen de l'italien, de l'espagnol et du français ; les deuxièmes,  bénéficiant d'un nombre élevé de locuteurs, d'une réelle légitimité historique et d'une grande diffusion géographique, peuvent ici et là damer quelque peu le pion à l'anglais : dans l'espace oriental de l'Europe, l'allemand pourrait jouer ce rôle ; les troisièmes, mettant à profit leur parenté typologique, ont la faculté de démultiplier les compétences langagières, surtout si – comme dans les pays scandinaves – se mettent très tôt en place chez les enfants des pédagogies interlinguistiques. Ce qui fait dire à notre stratège linguistique que « si la langue est un bien collectif, propre à assurer la cohésion de la collectivité, son unité est aujourd'hui parfaitement compatible avec la préservation de la diversité ».

On le voit, tout au long de son argumentation imparable, Jean-Marie Klinkenberg reste habité par des préoccupations, à la fois sociales et didactiques, qui donnent tout son poids au sous-titre de son livre : Vivre et penser l'équité culturelle. On n'en veut pour preuve que la prévenance dont il témoigne, in fine, à l'égard de l'appropriation de la langue – française, en l'occurrence – par les personnes issues de l'immigration. C'est là, rappelle-t-il opportunément, la condition primordiale à leur intégration et un facteur indubitable du renforcement du tissu social dans le territoire d'accueil. Mais, signe tangible de son engagement citoyen, il ne s'en tient pas là. Bien au contraire, il s'adonne à un vibrant appel à la responsabilité des pouvoirs publics, souvent si frileux en la matière, quand ils ne sont pas prisonniers en outre de déplorables stéréotypes. Place donc, sur base de propositions concrètes, à des actions de longue haleine, où l'école doit évidemment aussi assumer tout son rôle, au même titre d'ailleurs que le secteur associatif.

Au terme de près de 300 pages, en guise de conclusion mais aussi de commencement, La Langue dans la cité revient sur les « objectifs pour une politique de la langue ». Comment en effet, de façon explicite, réconcilier le citoyen avec sa langue, tout en insistant sur la réjouissante plasticité que représente cet instrument d'identification et d'expression ? Plusieurs manières sont mises en avant : développer les opérations de sensibilisation comme « La Langue en fête » en Belgique francophone ; faire prendre conscience qu'il existe plusieurs français et non un seul « bon » ; prévoir des accompagnements pédagogiques pour épauler une réforme, comme le guide Femme, j'écris ton nom diffusé en France en guise de soutien à la féminisation de la terminologie publique.

L'enjeu est de taille estime, dans les dernières lignes de son ouvrage, Jean-Marie Klinkenberg. Le moindre des hommages à rendre à cet arpenteur hors pair – et si généreux – des sciences du langage est de lui laisser le dernier « mot », façon de parler : « Il faut d'abord acter qu'une politique linguistique repose sur une conception de la culture rompant avec l'angélisme : non point produit de luxe, mais somme d'énergies et de ressources qui doivent permettre au citoyen de penser par lui-même ses propres situations, et d'agir dans le monde réel et imaginaire qu'il crée pour lui et les autres. [...] Ensuite, que [...] une politique linguistique ne constitue pas seulement un paragraphe de la politique culturelle : elle est aussi une partie des politiques sociales, des politiques éducationnelles, et même des politiques économiques. [...] »
   

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