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La langue comme existence, non comme essence
16/04/2015

C'est peu dire qu'une telle prise de position, à la dimension citoyenne évidente, rompt avec une conception essentialiste de la langue. Pour son auteur en effet, n'en déplaise aux gardiens sourcilleux de l'ordre linguistique arrimés au seul et sacro-saint « Usage », « ce n'est pas elle qui est digne de nos soins, mais ceux qui la parlent ». Et de rappeler combien furent ridicules en leurs temps les guéguerres menées contre les divers décrets et règlements, pris un peu partout dans la francophonie et visant à féminiser les noms de métiers, fonctions, grades et titres. Vous avez dit « cafetière »…? On assista également à une véritable levée de boucliers quand il fut question, avec l'aval de l'Académie française s'il-vous-plaît, d' « un léger émondage de notre hirsute orthographe » : non, le « nénufar » n'aura jamais la grâce du « nénuphar »... ! Quant au casse-tête représenté par l'accord des participes passés, pas touche ! A croire que les marqueurs sociaux, distinction bourdieusienne oblige, font volontiers flèche de tout bois, y compris côté graphies. Ce qui fait dire à Jean-Marie Klinkenberg, resté favorable à ces légères réformes : « Si les groupes sociaux investissent autant dans la langue et la chargent d'un poids symbolique aussi considérable, c'est que, à travers elle, se nouent les relations de pouvoir. [...] c'est parce qu'à travers la langue, qui les a construites, on touche aux règles sociales en vigueur, règles de distribution du pouvoir d'autant plus impérieuses qu'elles ne sont pas écrites. »

Les langues, sources de vitalité

La langue donc, mais de quoi est-elle le nom ? Le chapitre II de l'ouvrage – « La langue, affaire politique. Mais quelle politique ? » – précise l'approche. La Langue, avec « L » majuscule et française en l'occurrence, n'existe pas, et encore moins son prétendu Génie. S'aligner sur cette vision outrageusement idéalisée, qui fut notamment conceptualisée en 1784 par Rivarol dans son Discours sur l'universalité de la langue française, ferait fi des pratiques quotidiennes de ses simples usagers. Il convient d'en prendre conscience : l'existence d'un français un et spécifique, préservé du contingent et du passager, n'est que pure fiction, un effet de discours en somme. Foin de l'esprit de purisme, mais place à l'inventivité des locuteurs, jeunes en priorité. Car si ceux-ci perçoivent la langue comme un diamant serti dans un Saint des Saints gardé par les grands prêtres de la pureté langagière, il ne faudra pas s'étonner outre-mesure qu'ils aillent chercher leur bonheur sur des chemins de traverse autrement plus fleuris. Une politique linguistique digne de ce nom, privilégiant la langue pour le citoyen et non l'inverse, ne devra par conséquent pas être laissée aux soins des seuls linguistes. Au contraire, appel devra être fait – comme au Québec, par exemple – à la participation d'autres instances décisionnelles : enseignants, syndicats, patrons, communautés culturelles, etc.

Après avoir fait un détour par « La francophonie : une mission ou un destin ? », titre du chapitre III de son ouvrage, où il insiste sur les diverses composantes historico-géographiques du français – qui n'est pas (uniquement) la langue de la France – , appelant de ses vœux l'essor de la diversité d'un parler encore trop encombré de centralisme, Jean-Marie Klinkenberg concentre son attention sur un autre de ses sujets de prédilection : la domination linguistique, exercée aujourd'hui comme chacun sait par l'anglais. Dans le chapitre IV, « Dominantes et dominées. Le français sur le marché des langues », s'il est conscient de la régression de la langue de Molière, il n'en rejoint pas pour autant le chœur des pleureuses. Au contraire, le phénomène étant complexe, il s'agit de prendre du champ et surtout éviter de sombrer dans la résignation. Puisque « surestimer l'autre, comme se sous-estimer, c'est bien la pire des fragilités », conclut-il.

Un même refus de céder au catastrophisme ambiant irrigue les chapitres suivants, chacun d'eux retentissant comme une invite à prendre à bras-le-corps les nouveaux enjeux du moment. La linguistique, autre sport de combat en somme. « Une langue en déliquescence ? » (chapitre V) : symptôme de réaménagements sociaux en cours, elle est moins en crise qu'on ne le croit volontiers. « Maitriser la langue ou se l'approprier ? » (chapitre VI) : la rendre plus appropriable et plus performante doit devenir prioritaire, de quoi dissiper les rideaux de fumée masquant trop souvent les rapports entre les citoyens d'une part et, de l'autre, entre ceux-ci et l'Etat. « Moderniser l'équipement linguistique » (chapitre VII) : il est urgent d'y pourvoir, par un apprentissage de l'écriture technique et une production terminologique, ferments propices à « susciter la confiance en une langue qui doit encore nous servir, et nous servir à tout .

dictionnaire academie francaise

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