La semaine dernière, la presse faisait écho du projet de la SNCB d’introduire des tarifs plus élevés pour les voyages effectués à l’heure de pointe. Concrètement, celui qui prendrait le train dans les tranches 6h-9h et 15h-18h paierait un supplément. La SNCB motive son projet par le fait que le prix actuel est un des plus faible d’Europe. La proposition a –comme on s’en doute- reçu un accueil glacial de la part des usagers du rail.
Pourtant la modulation des tarifs en fonction de la période d’utilisation est une pratique courante : l’électricité est moins chère la nuit, le train est moins cher le weekend et le cinéma est moins cher le lundi. Certains réseaux de transport urbain (Londres, Washington) et de chemin de fer (Grande-Bretagne, Pays-Bas) appliquent déjà un tarif spécifique –plus élevé- durant les heures de pointe. Alors que faut-il penser du projet de la SNCB ? Je vous livre ci-dessous les réflexions d’un économiste (qui est aussi navetteur).
Le transport public est une activité fortement subsidiée. En contrepartie de ses obligations de service public, la SNCB reçoit chaque année une dotation de l’Etat Fédéral. En 2013, cette dotation s’élevait à 1022,3 millions d’euros. A titre de comparaison, les recettes du trafic intérieur étaient de 611,3 millions d’euros (rapport annuel 2013 de la SNCB/ SNCB holding). Malgré une dotation importante, la SNCB est depuis longtemps dans une situation financière délicate : en 2013, la SNCB a réalisé une perte d’exploitation (EBITDA) de 91.3 millions d’euros. On ne s’étonne donc pas que la question de l’évolution des prix revienne régulièrement dans l’actualité.
La question de la tarification doit à notre avis se poser de la manière suivante : comment construire une grille tarifaire qui permette d’une part de couvrir les coûts qui ne sont pas couverts par la dotation de l’Etat et, d’autre part, de réaliser au mieux les missions de services publics que l’Etat assigne à l’opérateur. Les économistes répondent à cette question en disant que le tarif pratiqué doit refléter à la fois les coûts induits par les usagers du rail et les caractéristiques de la demande des usagers (la règle de Ramsey-Boiteux). Analysons tour à tour ces deux composantes. Calculer le coût d’un voyage en train n’est pas chose facile, la Ministre Galant l’a montré cette semaine dans les médias. Pour calculer le tarif, les économistes s’intéressent à une dimension du coût, le coût marginal qu’ils définissent comme le coût induit par un passager supplémentaire. Or ce coût marginal n’est pas le même en heures de pointe et en heures creuses. A l’heure creuse, les trains ne sont pas remplis. Dès lors, embarquer un ou plusieurs passagers supplémentaires augmente peu (ou pas) les coûts. Le coût marginal est donc faible. A l’inverse, à l’heure de pointe, lorsque les trains sont complets (voire bondés), embarquer un ou plusieurs passagers supplémentaires nécessite soit d’ajouter de nouveaux wagons au convoi, soit d’ajouter un nouveau convoi, ce qui dans les deux cas représente un coût supplémentaire substantiel. Le coût marginal est donc élevé. Pour un économiste, un tarif lié au coût marginal a tout son sens. Ceux qui voyagent à l’heure de pointe (quand le coût marginal est élevé) paient plus que ceux qui voyagent à l’heure creuse (quand le coût marginal est faible). |
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Cette logique économique doit intégrer la réaction des utilisateurs du rail. Imaginons diverses possibilités. Si l’imposition d’un tarif plus élevé aux heures de pointe détourne massivement les usagers des transports en commun et les incite à (re)prendre leur voiture, augmenter le prix à l’heure de pointe semble peu judicieux. Si les usagers ne changent pas (ou peu) leurs habitudes, le tarif plus cher en heure de pointe n’est rien d’autre qu’une classique augmentation de prix ciblée sur les navetteurs. Finalement, si une partie de la clientèle réagit en retardant ou en avançant son déplacement de manière à éviter de payer la surcharge, la nouvelle tarification a tout son sens. En effet, en déplaçant des voyages d’une période où ils sont coûteux (l’heure de pointe) vers une période où ils le sont moins (l’heure creuse), on diminue le coût des déplacements. C’est bénéfique pour la SNCB qui peut transporter les passagers à un moindre coût. Les économistes diront que l’efficience économique s’accroit.
Dans le contexte actuel, où le gouvernement a décidé de réduire la dotation de la SNCB, le débat sur la contribution des clients va naturellement refaire surface. L’idée d’un tarif plus cher aux heures de pointe est tout à fait défendable pour un économiste : augmenter les tarifs aux heures de pointe et les réduire pendant les heures creuses (ce dont la SNCB n’a pas parlé) améliorerait l’efficience économique. Reste à savoir comment la SNCB gèrera le tarif d’un client qui embarque dans le train de 8h55 annoncé avec un retard de 10 minutes. |